Les écrits de l'AFL :
Extrait de
La manière d'être lecteur
extrait
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Position du problème

L'enseignement de la lecture a mille ans de retard.
François Richaudeau


Puisque ce livre a pour objet de présenter un ensemble de pratiques pédagogiques en rapport avec l'apprentissage de la lecture chez l'enfant de deux à onze ans, il est nécessaire de situer sa démarche et ses principes parmi les tendances qui se manifestent en ce domaine ; et puisqu'il propose une autre approche de la lecture, et qu'il tente de la justifier sur le plan théorique, il est nécessaire de montrer qu'un tel changement est appelé par les résultats médiocres qu'obtiennent les méthodes habituelles. C'est la seule raison pour vouloir autre chose.

D'où proviennent les mauvais résultats ?

Je passerai vite sur la critique de la situation actuelle car il est désagréable et facile de prendre pour cible une institution ou des personnes dont l'honnêteté n'est pas contestable. En outre, le problème de la lecture dépasse largement le cadre de l'école : la lecture est une pratique sociale qui remplit une fonction de communication, mais son apprentissage, à travers l'école, est une réalité sociale qui permet une sélection. Or, ces deux aspects, le rôle de la lecture dans la société, le rôle de l'école dans la sélection, s'il concerne le citoyen, échappent au pédagogue. Qu'adviendrait-il si tous les individus avaient accès, grâce à une lecture efficace, à tout ce qui s'écrit ? Qu'adviendrait-il de l'école si tous les enfants y réussissaient également ? Le niveau de lecture dépend au moins autant du rôle que le système social entend faire jouer à la lecture que des pratiques pédagogiques elles-mêmes. Il est illusoire de croire que des techniques nouvelles peuvent modifier profondément des comportements (ici, une manière d'être lecteur) indépendamment de transformations dans le même sens des éléments extérieurs à la pédagogie : c'est un combat à mener sur un large front.
En bref, ce n'est pas le fait d'un hasard malheureux si les résultats en lecture sont ce qu'ils sont ; mais il est important de chercher à comprendre comment l'école s'y prend pour qu'ils soient ainsi ; autrement dit, la politique de la lecture dépasse la pédagogie, mais c'est toujours la pédagogie qui est l'instrument de cette politique. Comment ? Peut-on faire autrement ?

L'actuelle pédagogie de la lecture est l'aboutissement d'une histoire. Lorsqu'au début de l'essor industriel, la Troisième République a mis en place l'école obligatoire, les méthodes de lecture ont été reprises de ce qui se faisait avant ; améliorées, puisque les longues années nécessaires pour déchiffrer le premier texte ont été progressivement réduites. Le dispositif s'est révélé efficace comme moyen d'alphabétisation ; Il a permis à l'ensemble du corps social de déchiffrer les avis, ordres de mobilisation, interdictions que les pouvoirs publics apposaient, ainsi que les modes d'emploi essentiels ; il a permis à une minorité d'accéder à une lecture efficace, délicate, cultivée ; et c'est cette possibilité, très dépendante des pratiques familiales, qui garantissait et garantit encore la sélection scolaire.
Mais ce processus d'alphabétisation se révèle mal adapté dès lors qu'il s'agit d'augmenter le nombre d'enfants susceptibles de tirer profit d'une scolarité longue. Si bien que depuis une quinzaine d'années, les efforts se multiplient pour améliorer le rendement des méthodes de lecture ; sans beaucoup de résultats, et il devient capital de savoir pourquoi. Pour évaluer grossièrement le niveau atteint en lecture par la population, il est commode de se référer au fait que chez un individu normalement entraîné à la lecture, celle-ci a une efficacité, pour transmettre de l'information, plus que double de celle donnée par l'audition de la même information. Si l'on prend ce critère comme objectif, et c'est un critère modeste comparé aux performances de lecteurs très entraînés, et si l'on regarde quelle est l'efficacité de la lecture sur une tranche d'âge récente, on peut estimer que le dispositif actuel ne permet guère d'atteindre plus de 50% de cet objectif. La moitié des enfants à la fin de l'école élémentaire atteignent un niveau de lecture qui ne dépasse pas en efficacité (vitesse et compréhension) ce qu'ils obtiennent à l'audition ; ils resteront quelque temps à ce stade puis régresseront très vite. Moins de la moitié des autres parviendront au critère indiqué ; or il est nécessaire de répéter que ce critère ne suppose aucun don particulier, seulement un apprentissage correct.

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La manière d'être lecteur
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