Le voyage d'Oregon


Un superbe album de très grand format avec des illustrations somptueuses, une écriture simple en apparence mais laissant planer beaucoup d’implicite pour des interprétations à différents degrés.


 L'auteur

Auteur de livres pour enfants depuis 1992, Rascal suscite rêveries et interrogations. Il traite en peu de mots du rapport de soi au monde, de soi à soi, deux mondes qu’il cherche à ouvrir aux enfants pour qu’ils y fassent leur place.
Parmi ses grands thèmes, il y a celui, récurrent de l’identité : tenter d’être soi-même, coûte que coûte. C’est la quête de Poussin Noir (1) à la recherche de ses vrais parents, c’est le bouleversement de Moun (2) entre ses parents biologiques et ses parents adoptifs, c’est ici le choix du clown, Duke, de s’assumer en tant que nain. Quelle est ma place dans le monde ? se demandent également le corbeau de la décharge publique (3) ou Marguerite (4) ?
Quand il parle de son travail, Rascal fait référence à Matisse répondant à un client, surpris de sa vitesse d’exécution d’un tableau, qu’il n’avait pas mis deux minutes pour le réaliser mais soixante-quinze ans ! « Pour écrire un livre, c’est pareil, il faut savoir que je les nourris de ma vie, des livres que j’ai lus... » Les références aux fables et légendes traditionnelles, aux œuvres artistiques ou à sa vie personnelle parsèment son œuvre. « Par exemple, Moun, c’est une histoire vraie ; c’est celle de Sophie qui est la maman de mes enfants... » explique-t-il et, sur son grand-père, dans Blanche Dune (5), « ... la Drôle de Guerre, il m’en a beaucoup parlé quand j’étais petit, j’ai été marqué par ses souvenirs. » Souvent, des citations d’écrivains sont mises en exergue.
Rascal aime les mots, simples et travaillés résonnant avec ceux des écrivains mais aussi des gens ordinaires comme les bateliers de Princesse de Neige (6) Il se fait parfois illustrateur.

 


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"lecture n°1"

 

 

 

(1) Poussin Noir, Rascal et P. Elliott, Pastel

(2) Moun, Rascal, Sophie, Pastel

(3) Le Corbeau du Paradis, Rascal et Isabelle Chatellard, Pastel

(4) Plume de vache, Rascal et Édith, Pastel

(5) Blanche Dune, Rascal et Stéphane Girel, Pastel

(6) Princesse de Neige, Pascal Nottet & Stéphane Girel, L’école des loisirs


     

 Approches externes

Couverture
Elle présente un ours (Oregon) et un clown (Duke) à califourchon sur ses épaules, dans un immense champ de blé peint à la manière de Van Gogh. Le ciel est traité en dégradés de rose et de mauve. La 4ème de couverture en est le prolongement, elle ne porte aucune indication sur l’histoire.
Le titre nous emmène en voyage. Lequel des personnages est Oregon ? Viennent-ils d’un cirque ? Que font-ils dans un champ de blé ? Où vont-ils ?
Les pages de garde, de début et de fin sont du même jaune étincelant que celui des blés de la couverture.
La page-titre a les mêmes indications que la couverture mais elle introduit un autre lieu : des montagnes enneigées, des forêts. Est-ce la destination ?
Dans l’album, on retrouve les deux personnages de la couverture. La dernière page montre, de dos, le clown seul.
Sur la page de garde, deux strophes d’un contemporain de Van Gogh...
« Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l‘herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l‘âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme. »

Arthur Rimbaud, Sensation, (mars 1870)

...installent le lecteur dans une atmosphère poétique, d’aspiration au bonheur, à la liberté, à l’absolu. Le quatrain champêtre, dans le texte, leur fait écho.
On cheminait sous la grêle.
On festoyait dans les maïs.
On somnolait dans l’herbe tiède.
On rêvait dans les étoiles.

Quatrain aux accents d’une fantaisie toute rimbaldienne :
« Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
- Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était la Grande-Ourse
- Mes étoiles au ciel avaient un doux Frou-frou. »

Rimbaud, Ma Bohême
La référence à Rimbaud, génie précoce, poète maudit, pratiquement méconnu de son vivant, revêt une signification précise : à l’instar de Duke, il symbolise la révolte, la soif de liberté et d’absolu, tout comme Van Gogh qui « comme lui, a connu les vicissitudes de l’artiste bohême. On montrera aux enfants les tableaux qui évoquent ces vers et celui intitulé Le campement des Bohémiens. » (7)

Illustrations
Elles sont l’œuvre de Joos qui a aussi réalisé Eva aux pays des fleurs avec Rascal.
La technique utilisée est le pastel dilué.
L’album est traité en simples et doubles pages. Sur la double page centrale, belle comme un tableau de Van Gogh, la disposition des personnages et du texte, sur la partie droite, ouvre l’espace à gauche, vers l’Ouest, où cheminent les deux amis. La référence à Van Gogh, peintre aux cheveux roux, à la vie tourmentée, incompris de son vivant, est explicite dans le texte : « les tableaux de Van Gogh », « les cheveux rouges au vent...»

Les illustrations présentent le clown et l’ours (Duke sur les épaules d’Oregon, Duke tenant Oregon par la main, Duke et Oregon marchant épaule contre épaule), en différents lieux. C’est par une double page illustrée et sans texte que se termine l’album : le clown, seul, s’enfonce dans une immense forêt couverte de neige. Son nez rouge, au premier plan, est loin derrière lui, dans un décor immaculé.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


(7) Houyel C., Poslaniec C., Activités de lecture à partir de la littérature jeunesse, Hachette Éducation, 2000, p. 77


     

 L'histoire

Résumé
Duke, clown et nain, travaille au cirque à Pittsburgh avec son ami, l’ours Oregon. Quand Oregon lui demande de le ramener dans ses forêts natales, Duke n’hésite pas. Ils traversent les États-Unis d’Est en Ouest et, bien vite, apprécient leur liberté nouvelle. La rencontre d’autres victimes du « rêve américain » fait découvrir à Duke qu’il n’est pas le seul à être un exclu de la société. Lorsqu’ils atteignent l’Oregon, les deux amis se séparent : Oregon retrouve sa liberté et la solitude tout comme Duke.

Personnages
Les personnages centraux sont le clown, et l’ours. Une amitié, une complicité profondes les lie. Duke est un nain. On le découvre d’abord par l’illustration : dans sa roulotte, il doit monter sur un tabouret pour se voir dans la glace, puis, dans le texte, quand il dit au camionneur qui les a pris en stop : « Ce n’est pas facile d’être nain ».
Dans le périple, Duke agit, décide, guide. Oregon ne parle qu’une fois pour demander qu’on le conduise en Oregon.
Les autres personnages rencontrés :
- le camionneur Spike est un noir qui, pour cette raison, a lui aussi des difficultés à vivre dans ce pays.
- le voyageur de commerce, la starlette, le chef indien déplumé, renvoient aux clichés sur les USA, minorités, marginalités, rêves déçus. Ils vont contribuer à faire prendre conscience à Duke qu’il n’est pas le seul à être sur la touche, à faire partie des « loosers », des victimes du « rêve américain ».

Lieux
On reconnaît, à partir de certains indices dans les illustrations qu’il s’agit des États-Unis : ranch, épi de maïs, grands espaces, enseigne « Motel »...
Dans le texte, des noms situent les lieux de l’action : ils partent du Star Circus à Pittsburgh, ils vont à Chicago puis en Iowa, longent la Platte River, voient les Rocheuses, s’arrêtent en Oregon. On peut suivre leur trajet sur une carte. (8)
D’autres indices confirment qu’on est aux USA : Duke, Oregon, Spike se nourrissent de hamburgers, dorment au Sioux Motel, paient en dollars, rencontrent un chef indien déplumé, une starlette de supermarché, arrivent au Cheval de fer... C’est même « le plus grand pays du monde », d’après un des personnages qui suggère la puissance économique de ce pays.

Temps
Il s’agit d’une histoire contemporaine - usines, camions, autos, trains - se déroulant le temps de la traversée des États-Unis, d’Est en Ouest.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


(8) Voir le travail réalisé à partir de cet album en Grande Section sur la base du trajet inscrit sur une immense carte affichée aux murs de l’école dans La Leçon de Lecture, AFL, 1999, pp. 74-83



     

 Organisation

Le récit est structuré en cinq parties.
- Situation initiale : Duke et Oregon sont amis de cirque.
- Déclenchement : Oregon demande à Duke de le ramener dans ses forêts natales.
- Déroulement : ils font la traversée de Pittsburgh jusqu’en Oregon, en passant par Chicago, l’Iowa, les Rocheuses...
- Résolution : ils arrivent en Oregon. L’ours se réapproprie sa forêt. Duke abandonne son nez de clown et part, solitaire.
- Situation finale : Oregon a retrouvé ses origines. Duke se dirige vers une destination inconnue mais « le cœur léger et la tête libre ».
- Transformation : Duke semble s’accepter.

   
     

 Enonciation

Le clown est narrateur. C’est lui qui relate l’aventure, c’est de son point de vue que l’histoire est racontée.
Des traces de ses hésitations intérieures apparaissent : « Je me doutais...» ou « Qui sait ? J’y rencontrerais...» Ses réactions, ses réflexions en cours de route parsèment le récit, «...il me restait bien des chemins à parcourir », « cela tombait bien...» pour dire son soulagement, « Nous étions de la même famille...» quand il comprend qu’il n’est pas seul à souffrir d’être un exclu, « en plus beau » ou « le monde entier nous appartenait » pour exprimer le bonheur et l’intensité de la découverte de la liberté, « J’étais quand même en meilleur état » pour dire sa satisfaction de n’être pas aussi mal en point qu’il le craignait, « elle était là ! » pour évoquer la joie du but atteint, « mes pitreries » pour évoquer sa propre dérision à propos de son métier de clown.
Le récit est construit sous forme de flash-back, d’analepse.(9) Duke remonte le cours d’une longue quête qui l’a mené au seuil d’une nouvelle vie. L’emploi du passé composé, pour rapporter les faits, produit un effet de compte-rendu fait directement au lecteur.
Quant au dernier verbe du texte, il est au futur, « je partirai...» L’histoire n’est pas finie.
Les marqueurs de temps :
- Des formules précises : « Un soir... », pour le déclenchement de l’action, « Un dernier tour de piste... » pour le départ, « Dès l’aube... », « Une nuit au Sioux Motel... », « Au saut du lit... », « Quand j’ai rouvert les yeux... » en cours de voyage, quand il ne faut pas tergiverser, qu’il y a des décisions à prendre.
- Des formules elliptiques : « Bien des kilomètres plus tard… », « Poussés par le vent des plaines... » pour évoquer la longueur du voyage, du cheminement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(9) Analepse : (n.f.) du grec ana, « en arrière », et lêpsis, « action de prendre ». Dans un récit, rupture de la ligne chronologique pour mentionner un événement qui s’est déroulé avant l’action considérée.

     

 Ecriture

Le texte est un récit à « effet de réel » (10) qui met en œuvre un conflit entre le thème (action du personnage qui est de ramener l’ours) et le propos (objet de cette action qui est la quête d’une réalisation personnelle).
Il fonctionne, dans sa totalité, comme une allégorie puisque c’est autour de la substitution d’une volonté à une autre, relatée par des procédés métaphoriques, que le texte prend corps.
La structure syntaxique fait comprendre que Duke a besoin d’une conscience autre pour se réveiller de sa longue léthargie et pour éveiller sa propre conscience, réaliser sa propre captivité, morale et sociale. En effet, bien qu’Oregon « parle » et « demande », l’emploi du « je » nous amène à penser que c’est Duke qui décide : « Un soir, Oregon m’a parlé » et plus loin « Mais, seul au fond de ma roulotte, j’ai su que sa place était parmi les siens, au fond d’une belle forêt d’épicéas ». Cette analyse est confortée, à la fin du texte, par deux phrases, dont une est inachevée : la succession des pronoms personnels sujets (je, elle, il) crée une superposition, voire une confusion des personnages :
« Quand j’ai rouvert les yeux, elle était là !
Telle qu’il l’avait rêvée...»
Rascal suggère les faits plus qu’il ne les décrit : c’est d’ailleurs le procédé majeur qu’il emploie pour faire sentir au lecteur le malaise de Duke. Tout au long du texte, il laisse des « blancs », formes de mises entre parenthèses d’une subjectivité qui se construit, espaces où les souffrances sont à peine évoquées comme en témoigne cette phrase : « Moi qui, enfant, n’avais jamais eu d’ours en peluche...» Ces espaces interstitiels, vertiges de possibles, invitent également le lecteur à projeter en eux l’espoir d’une prochaine réalisation. Tout comme le jeune enfant apprend à se situer par rapport à son environnement, grâce au jeu des couleurs, Duke réapprend la perception première et naïve de sa position par rapport au monde qui l’entoure à travers la découverte progressive et chromatique des paysages traversés. Du gris de Pittsburgh et de son « ciel de suie » et d’une dernière forme de captivité dans la chambre d’un hôtel de Chicago, il (re)découvre l’immensité et la chaleur des champs de blé, la promesse de grandeur des montagnes rocheuses et enfin l’Oregon, majestueuse et vierge de toute présence humaine. Les couleurs parlent autant que le texte en emplissant autant l’espace.
En outre, le contexte du cirque, le dérisoire du personnage de Duke, les allusions permanentes à l’enfance et le recours à des jeux visuels convoquent nos images intérieures, gomment les faits et accentuent les sensations. L’évocation de Van Gogh est explicite dans le texte mais aussi dans la représentation graphique et incite le lecteur à relever dans le lexique les nombreuses références chromatiques.
rouge : nez, rideau, cheveux
blanc : Blanche-Neige, masque, matin
noir : nuit, être noir, ciel de suie
jaune : maïs, gorgées de miel
L’action se déroule de l’ombre vers la lumière, mais aussi, de l’espace clos et intemporel du cirque (cage, roulotte, piste) vers les grands espaces de liberté (montagnes, rivières, forêts, plaines...). Les couleurs ont leur importance dans l’interprétation. « Dans un album, la compréhension doit prendre en compte le texte et l’image sans accorder ni priorité, ni prééminence à l’un ou l’autre.» (11) Le rouge du rideau derrière lequel il se « blotti(t) », fait pressentir le drame. Le noir du malheur, de la détresse, de l’inconscient est présent dans la « nuit noire » du départ, le « ciel de suie » de Pittsburgh, le noir sous le chapiteau pendant les représentations, c’est aussi la vie cachée qu’il mène au cirque, sous son masque ou « au fond de (s)a roulotte ».
à l’inverse, le jaune des blés, du « maïs » et du « miel », exprime l’idée de lumière, de chaleur, d’opulence, de joie. Le blanc, enfin, entraîne vers des sensations de pureté, de virginité, d’espoir : la neige qui tombe sur les montagnes et la forêt va recouvrir et faire disparaître le nez rouge abandonné ; le blanc, couleur de passage, marque celui de l’ancienne vie à la nouvelle, au grand jour, sans masque. Comme l’écrit Kandinsky, «...Le blanc sur notre âme agit comme le silence absolu... Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes... C’est un rien plein de joie juvénile ou, pour mieux dire, un rien avant toute naissance, avant tout commencement...»

Enfin, le choix d’écriture est renforcé par une accumulation d’expressions stéréotypées, aux doubles sens :
« avant mon numéro »
« Un dernier tour de piste »
« Sans bagages inutiles et sans clés »
« Ils me collent à la peau »
« bien des chemins à parcourir »
« nous avons pris le train en marche »
« pour la dernière ligne droite »
Tandis que leur valeur de lieux communs renvoie au propos, leur sens littéral est directement lié aux thèmes. (12) Cette profusion de platitudes donne l’apparence d’une écriture banale, symptomatique de la crise existentielle traversée par Duke contraint par l’ordinaire de sa vie quotidienne. Néanmoins, à l’instar de la poésie mallarméenne, l’auteur use de « remotivations sémantiques » qui obligent son lecteur à prendre conscience de la profondeur cachée des expressions toutes faites : « De la porte à côté » devient « à côté de la porte », « les vaches regardent défiler les trains » devient « regardant défiler les vaches »...
Tout comme le lecteur se doit de dépasser le sens premier et apparent de ces topiques (13) pour trouver, de l’autre côté de la surface textuelle, une autre réalité linguistique, Duke ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le sens de sa vie ; c’est notamment Oregon qui lui en fait prendre conscience à travers l’image qu’il lui renvoie de sa propre captivité, volontaire, puisque c’est lui seul qui s’est enfermé dans le rôle qu’il joue ; à tel point que, même sa représentation achevée, il ne peut se séparer de son nez de clown… Il s’est tellement identifié à ce rôle, qu’il n’est plus que clown (il conserve son nez rouge même après avoir quitté le cirque et ne l’abandonnera qu’à la fin). C’est d’ailleurs Spike, le chauffeur noir qui prend les deux héros en stop qui en fait la remarque au clown, s’étonnant du « nez rouge » et du « masque blanc » dont Duke ne se départit jamais.
Le texte met en scène un personnage à la psychologie fragile qui, sans la présence de l’ours, alibi et soutien, n’aurait pu parvenir à se (re)trouver « le cœur léger et la tête libre ». Dès le début de l’histoire, Duke répond à une injonction que l’ours lui adresserait personnellement : le ramener dans ses montagnes et lui rendre sa liberté. Mais cette demande, introduite par « Comme dans les livres pour enfants » (notons ici la mise en abyme), fait écho au sentiment d’insignifiance de Duke, suggérée dès la première strophe et ressentie comme telle par le personnage :
« mon numéro.
Blotti derrière le rideau rouge,
je perdais mon trac et retrouvais l’enfance.
Mes pitreries terminées...»

 

 

(10) F. SUBLET, recherche INRP poésie, Au vif des mots, au cœur des choses.

























































(11) STOECKLE R., L’album à l’école et au collège, L’École, 1999, p. 57

 

 

 

 

 

 

 


 



 

 

(12) Voir page 32





 

 



(13) Lieux com-muns selon la définition d’Aristote dans «la Réthorique».




 

     

 Les thèmes

Le thème principal, la quête de soi-même, est soutenu par trois thèmes secondaires : le voyage, l’Amérique et de nombreuses références culturelles.
- Le voyage :
Il s’agit du voyage initiatique, thème souvent rencontré dans la littérature américaine chez Norman Mailer, John Steinbeck, Henry James ou encore Hemingway. Le champ sémantique du voyage hante d’ailleurs le texte : « conduis-moi », « nous sommes partis », « descendre jusqu’en », « chemins à parcourir », « traversée », « cheminait », « cent pas », « géographie », « voyage », « roulotte », « bagages », « musette », « kilomètres », « aller simples », « prendre en stop », « prendre le train en marche ».

Pour se réaliser, Duke a besoin de vivre une traversée, celle des États-Unis, qui, à la fois, symbolise et concrétise sa quête. Rascal lui fait parcourir « le plus grand pays du monde » à l’instar des premiers pionniers qui firent la conquête du grand Ouest, mais aussi, dans les traces de Kerouac, « sur la route » de la Beat génération.
Une seule étape suffit, de Pittsburgh à Chicago pour laisser derrière soi « Star Circus », « rideau rouge », « roulotte » et « ciel de suie ». Comme pour Kerouac, le véritable voyage commence, en stop, à Chicago, au seuil des grands espaces (Iowa, garde-manger de l’Amérique). Là, au milieu du voyage, au milieu du récit, on révèle au lecteur que Duke est nain et on comprend alors mieux l’origine de sa souffrance et sa décision de rompre avec son milieu originel, celui du cirque, monde de la marginalité, exutoire de l’altérité aussi, seul univers où il semble qu’il puisse avoir une place : un nain dans un cirque, cela n’étonne personne.
Il s’agit donc bien d’une quête intérieure à travers ce voyage sans retour car c’est effectivement un aller simple que prend Duke. Une fois parvenu au terme de son trajet, il sera enfin libre de faire ce qu’il désire, il se sera accepté tel qu’il est, il ne pourra donc plus revenir en arrière.
- L’Amérique :
Outre les noms des personnages et les situations géographiques permettant de reconstituer l’itinéraire de Duke et Oregon, Rascal utilise des clichés relatifs à l’Amérique : pays riche, grand producteur agricole, très industrialisé, aux grandes étendues et aux paysages variés contrastant avec l’évocation des minorités (Noirs, Indiens...) et de la marginalité, de la peur de l’autre. Mais les États-Unis, c’est aussi la cristallisation de vieux rêves, le mythe du « self made man » non pas tant financier que moral et personnel, la possibilité d’apprivoiser l’immensité des étendues vierges. C’est le pays où tout est possible, le pire comme le meilleur. C’est l’espace des possibles par excellence.
- Des références culturelles :
La plus explicite, c’est évidemment celle de la peinture avec Van Gogh.
La plus permanente, c’est la poésie avec Rimbaud.
La plus lancinante, c’est celle du roman noir, des polars américains, de personnages ou de situations rendus célèbres par les « road movies ».
Et on ne peut bien entendu pas s’empêcher de convoquer Duke Ellington et Spike Lee ...

   
     

 En conclusion

Dans cette lecture experte ont été laissés de côté plusieurs éléments comme : l’absence d’attributs des personnages, l’étude des marginaux, le thème de l’enfance... Néanmoins, ce texte permet des lectures plurielles puisque certains jeunes lecteurs n’avaient pas interprété l’issue du voyage comme une acceptation de soi mais comme un suicide :
« Dans le matin blanc, je partirai, le cœur léger et la tête libre » qui n’est pas sans évoquer le célèbre poème de Victor Hugo des Contemplations :
« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. (…)
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées.»
Il s’agit plutôt d’un deuil, le dernier vers nous invitant à voir en ce texte un hymne de ce qui va enfin pouvoir devenir ; la délivrance étant symbolisée pour Duke par le geste d’abandon de son nez de clown dans la neige, bientôt recouvert par les flocons qui parsèment le sol.

   
     

 Réseau

des albums sur les clowns,
Chico, le clown amoureux, Yvan Pommaux, L’école des loisirs
Depuis que Chico est amoureux de la dompteuse qui ne le regarde pas, il rate son numéro. Il est renvoyé mais son numéro de clown triste est tellement réussi que la dompteuse est éblouie !
Clown d’urgence, Thierry Dedieu, Le Seuil
Une rencontre entre un enfant malade et un vieux clown. Pippo fait rire les enfants malades dans un hôpital jusqu’au jour où il tombe malade et qu’un enfant prend la relève. Histoire forte, pleine d’émotion et magnifiquement illustrée.
Que ma joie demeure, Michel Tournier, Sept contes, Folio junior, Gallimard
Alors qu’il était promis à une brillante carrière de pianiste virtuose, Raphaël Bidoche devient clown pour son plus grand désespoir...
Clown, Quentin Blake, Gallimard
Un clown, jeté à la poubelle, tente de vivre sa vie.
Le clown plus que rigolo, Béatrice Deru-Renard & Louis Joos (illustrateur d’Oregon), Pastel
- des romans sur la conquête de l’Ouest
La longue marche des dindes, Kattleen Karr, Neuf de L’école des loisirs
Un roman d’initiation dans lequel un adolescent orphelin, incompris de son entourage, sauf de son institutrice, traverse les États-Unis d’Est en Ouest pour vendre un troupeau de dindes. Il vivra les péripéties classiques des pionniers et retrouvera entre autre, son père.

Le trésor des O’Brien, M. Morpurgo, Folio junior, Gallimard
Un roman d’initiation. Deux jeunes Irlandais, chassés de leur pays par la famine, partent à la recherche de leur père installé dans l’Ouest américain. Ils vivent la vie et les aventures des émigrants et des pionniers avant de retrouver leur père.
Vers l’Ouest, Martin Waddell & Philippe Dupasquier, Folio Benjamin
Récit de la traversée d’une famille de pionniers vers les terres de l’Ouest où une enfant tient son journal de bord offert par son papa.
- d’autres livres de Rascal
Eva ou le pays des fleurs, Rascal & Joos, Pastel
à l’heure où les enfants s’en vont au doux pays des rêves, Eva commence son travail. Elle vend des fleurs « sous le ciel triste à pleurer de Bruxelles ».
Blanche Dune, Rascal & Girel, Pastel.
Tanguy voit dans le propriétaire de la maison que ses parents louent à la mer, le grand-père qu’il n’a jamais eu. Ce dernier lui raconte la guerre, la mort, l’origine du monde.
Plume de vache, Edith et Rascal, Pastel
Marguerite, célèbre ruminant, découvre l’Amérique.
- un documentaire
Van Gogh, la petite note jaune, J. Loumaye, C. Roucha, Casterman.
Oncle Paul explique la vie de ce peintre qui signait Vincent à deux enfants dont la famille possède peut-être un tableau...
- d’autres poèmes de Rimbaud comme le choix proposé dans Le Rimbaud, Mango.