Ernest et Célestine

C’est en 1981 que Gabrielle Vincent crée les personnages d’Ernest, le bon gros ours et Célestine, la mignonne petite souris et que sort, aux éditions Duculot, le premier album de la série : Ernest et Célestine ont perdu Siméon. La série a été reprise par les éditions Casterman qui procèdent à des rééditions des premiers ouvrages parus dans la première maison d’édition.
Entre 1981 et 2000, date de la disparition de Gabrielle Vincent et de la sortie de son dernier album, Ernest et Célestine ont des poux, paraissent 23 titres. La plupart des titres sont actuellement disponibles chez cet éditeur dans un format réduit, à couverture souple et à prix réduit dans la collection Les Petits Duculot qui fait une large place à Gabrielle Vincent. L’éditeur signale l’objectif de cette collection : Nos meilleurs albums, au format réduit, sous couverture souple et à petits prix ! Une présentation soignée et pratique pour des histoires illustrées qui ont fait leurs preuves et qui constituent le fonds incontournable non seulement de notre catalogue, mais aussi, pour beaucoup d’entre eux, de la littérature de jeunesse.


 L’auteure-illustratrice

Gabrielle Vincent, pseudonyme de Monique Martin est née à Bruxelles en 1928. Elle y fait ses études à l’Académie des Beaux-Arts. Peintre et aquarelliste, elle est remarquée pour la force et le pouvoir d’évocation de ses croquis et de ses portraits, qu’ils soient de personnes (Brel, 24 portraits ; Moi, je t’offrirai des perles de pluie et Au Palais où elle rend compte des couloirs du palais de justice de Bruxelles) ou d’animaux (Un jour, un chien où elle décrit, par le seul dessin, la longue errance d’un chien abandonné et Au bonheur des chats où elle raconte comment quinze chats viennent tenir compagnie à un vieil homme lui aussi abandonné).
Les dessins aquarellés de l’illustratrice tirent leur force de la justesse du trait, d’une précision, d’une puissance évocatrice remarquables. Les couleurs, dans des tons pastel avec des dominantes de gris et d’ocres plongent dans un univers de douceur et de tendresse, sentiments et ambiances sont bien rendus.
En plus de la série Ernest et Célestine qui a remporté un grand succès dans le monde entier et dans laquelle l’auteure s’est démarquée résolument de la mièvrerie habituelle du nounours et de la souricette qui étaient jusqu’alors proposés aux jeunes lecteurs, Gabrielle Vincent a conçu la série Papouli et Fédérico et d’autres albums.
Ce sont les éditions Rue du Monde qui publient ses deux derniers ouvrages posthumes : Nabil et Le violoniste.
La plupart des albums de la série Ernest et Célestine ont un format de 24,5 X 21,5 ; quelques-uns ont un format différent, ainsi La naissance de Célestine de 26,5 X 19 et Cet été-là, 26,5 X 20,5. Ces deux albums comportent un nombre bien plus important de pages que les autres.
La couverture porte le nom des « héros » de la série et les représente tous les deux, souvent seuls, dans des lieux et des situations variés.

 















     

 Les personnages

Pas de « héros »... mais deux personnages principaux liés par une relation d’une qualité remarquable : Ernest l’ours, Célestine la souris, un « couple »12, que tout devrait séparer, que rien ne semblerait devoir permettre de vivre ensemble, ils ne sont pas de la même espèce : un bon gros ours et une mignonne petite souris.
Ce n’est qu’en 1990, avec La naissance de Célestine que les circonstances de leur rencontre sont dévoilées aux lecteurs : Ernest, balayeur de rue, a un beau matin trouvé Célestine abandonnée dans une poubelle, et n’écoutant que son grand cœur, l’a recueillie, nourrie, a guetté son premier sourire, s’en est émerveillé et depuis ne peut plus se séparer d’elle.

Au fur et à mesure de la parution des albums, on apprend qu’Ernest (Mr Lebon, comme par hasard !) a été violoniste, qu’il a été clown dans un cirque, qu’il vient d’un autre pays, la Roumanie, pour lequel il éprouve parfois une grande nostalgie... Il déborde d’amour pour Célestine, « ... il y avait une grande place pour toi dans ma vie... » ou « Célestine... mes plus beaux souvenirs de Noël, ce sont les souvenirs de Noël avec toi, depuis que tu es là... Rien qu’à nous deux ». Plein de force et d’amour, il est solide, protecteur, rassurant, il enserre et tient à la fois avec fermeté et tendresse la petite souris abandonnée.
Heureusement pour elle qui, de par la violence du drame survenu à sa naissance, est taraudée par le besoin dévorant d’être aimée, le besoin de savoir d’où elle vient et la certitude qu’il veut la garder. C’est sans doute pour cela qu’elle aime rejouer sans cesse à être perdue et retrouvée (Au musée, Le labyrinthe). C’est une petite « fille » futée, dynamique, pleine de ressources, elle agit, réfléchit. Elle est sensible, délicate et généreuse, en cela l’exemple d’Ernest, n’y est certainement pas pour rien.

Le lecteur adulte se surprend souvent à se reconnaître dans Ernest et il y a fort à parier que les jeunes lecteurs puissent se reconnaître en Célestine, ses incessantes questions sur ses origines et sa peur d’être abandonnée.
à travers la série, on voit les transformations de Célestine : elle grandit, elle apprend à écrire, à compter...
Avec Ernest, ils vivent une relation qui peut par certains côtés ressembler à une relation père-fille (bien que le mot papa ne soit jamais utilisé. Célestine sait depuis toujours qu’Ernest n’est pas son père). Mais Ernest se comporte comme un père solide, qui a la responsabilité de l’organisation de leur vie à deux. Il est rassurant, aidant, se mettant en quatre pour lui faire plaisir (Ernest et Célestine ont perdu Siméon, Le sapin de Noël). Célestine se comporte, elle, comme une fille, elle l’écoute, lui fait confiance, commet des maladresses (Ernest est malade), le perd de vue (Au musée), a peur quand elle est perdue (Le labyrinthe), le harcèle pour jouer alors qu’il est fatigué (Rataplan plan plan). Pourtant cette relation dépasse largement ce cadre : c’est un véritable compagnonnage, chacun a sa place d’initiative sans domination de l’un par rapport à l’autre.
Ernest a ses fragilités, il doute, n’est pas toujours sûr d’être dans le vrai, le « bon » pour Célestine, il se pose des questions, hésite, a peur : « J’ai toujours eu peur de ses questions... » (Les questions de Célestine). Il pleure même parfois quand sa peine est trop grande (nostalgie de son pays natal). Comme on le comprend ! Et comme on partage ses craintes ! Quand on lui enlève Célestine (La naissance de Célestine), on le voit même traîner au bistro et s’enivrer.
Célestine n’est pas toujours dans le rôle de l’enfant qui ne sait rien et doit tout apprendre de l’adulte. Elle peut comprendre et épauler Ernest, ainsi, elle lui fait décrocher son violon pour aller jouer dans la rue et gagner l’argent qui lui manque pour faire réparer le toit de sa maison avant l’hiver (Musiciens des rues) ou elle parvient à le consoler de sa chute qui les empêche d’assister à un mariage pour lequel ils se faisaient toute une joie, de sa honte aussi de s’être étalé devant tout le monde : « Ne regarde pas les gens. Ferme les yeux, Ernest ! Je te conduis. » (La chute d’Ernest), elle trouve un truc pour lui faire oublier son trac (Musiciens des rues). Elle est active, débrouillarde, capable de prendre des initiatives. Quand Ernest est blessé ou malade, elle le soigne, le distrait : « Ne te fatigue pas, Ernest. Repose-toi. C’est moi qui fais tout. Tu n’es pas guéri. » (La chute d’Ernest ; Ernest est malade). Elle lui facilite les choses en abordant le problème délicat la première, (comme bien des enfants dans ce cas). Ayant ressenti puis compris, à la gêne d’Ernest, l’approche de la mort de leur amie, Gazou, elle attaque d’emblée : « Tu ne me racontes plus d’histoires et tu ne me parles plus de Gazou. Nous n’allons plus la voir... Alors c’est que Gazou ne va pas guérir... » et un peu plus loin, alors qu’Ernest tourne autour du pot et n’arrive pas à répondre oui, c’est elle qui prononce le mot tabou, « Elle va mourir Ernest ? »
Deux personnages qui nous touchent, au sens fort : ils nous atteignent. Cette originalité et la qualité de cette mise en scène d’une relation offre une excellente possibilité de discussion, de réflexion, d’échange entre lecteurs.
Quelques personnages secondaires les accompagnent : leurs amis, leurs voisins, ceux qu’ils rencontrent, ce sont aussi des ours (des mâles et des femelles) et les enfants, des souris. Il y a aussi un être humain, une femme, amie de longue date d’Ernest, Gazou (Cet été-là).

   
     

 Les histoires

Ce sont de petites tranches de vie souvent problématiques dans lesquelles Ernest et Célestine agissent tous les deux ou avec d’autres. L’ossature pourrait paraître simple (Ernest et Célestine vont au musée, Célestine se perd, Ernest la retrouve ; Ernest et Célestine doivent aller à un mariage, Ernest tombe et ils doivent renoncer ; Célestine a perdu son doudou, Ernest fait tout ce qu’il peut pour le lui remplacer...) mais la qualité de l’écriture (comme on le verra plus loin), la force de l’illustration et la vision du monde proposée font tout l’intérêt de ces ouvrages.
Quelques albums sont à remarquer particulièrement pour la gravité des thèmes abordés et l’ampleur donnée au volume : Les questions de Célestine (son abandon, ses origines), Cet été-là (la maladie et la mort d’un être cher), La naissance de Célestine (l’adoption de Célestine par Ernest). Il s’agit moins de raconter des « aventures » que d’aborder des problèmes existentiels.

   
     

 Les lieux

Il y a d’abord et surtout la maison, il y règne un joyeux désordre : du linge pend un peu partout, des bassines, des balais, des jouets traînent, des placards débordent... on voit bien que le ménage n’est pas le principal souci des ses habitants ; mais on y est bien, d’ailleurs, voisins et amis aiment bien y venir car on y est bien accueillis : « ...Ils vont sûrement nous inviter comme l’autre jour... »... Parfois, cependant, on préfère y être seuls, pour savourer la joie, le bonheur d’être tous les deux, à se réconforter : « ...ce soir nous ne faisons entrer personne. » (La chute d’Ernest)
Il y a aussi la ville et la rue et ceux qu’on y rencontre : les badauds, le clochard, le musicien des rues (roumain en exil), le gardien de musée, le pharmacien...
Parfois, des endroits de nature : la forêt (Le sapin de Noël), les labyrinthes du jardin public.

   
     

 L'époque

C’est la nôtre, européenne, avec un petit air vieillot, d’avant la société de consommation. On pourrait penser à la période correspondant à l’enfance de Gabrielle Vincent.

   
     

 Les thèmes

Il y a le quotidien : les sorties (au square, au cirque, au musée), la maladie, Noël, les poux, le doudou qu’on perd, la honte (de s’être étalé)... thèmes qui, sans être traités avec légèreté, n’ont pas la gravité des grands thèmes de la vie et de la littérature : l’amour, l’abandon, l’adoption, la mort, la jalousie constituent le centre des albums (La naissance de Célestine, Les questions de Célestine et Cet été-là).

   
     

 Les illustrations

On est émerveillé par la formidable adéquation entre illustration, événement raconté et psychologie des personnages : la justesse avec laquelle les scènes sont campées, la lisibilité du trait, la distribution dans la page, tout concourt à les faire vivre, à les rendre formidablement présents et vrais. Parfois, le dessin seul suffit pratiquement à raconter (La naissance de Célestine). Les sentiments, les réactions, les attitudes, les gestes, les mimiques, l’évolution des personnages, tout y est. à travers les portraits d’Ernest, on ressent toute sa tendresse, sa bonté, sa générosité, sa douceur, sa force rassurante, mais aussi sa fragilité, son côté « enfant ». On a envie de s’enfouir, comme Célestine, dans la douce chaleur du col d’Ernest, de se laisser bercer dans ses bras si tendres et fermes à la fois, de participer aux jeux qu’il organise, lui qui est si joueur, si enthousiaste, on ressent ses inquiétudes, ses joies...
Tour à tour mutine et sérieuse, espiègle et profonde, impatiente et attentive, la petite souris nous est présentée avec sa vitalité, sa détermination, son extrême sensibilité, sa fêlure qui demeure au fond d’elle.
On peut lire toute la palette des sentiments, des relations : bouderies, élans de gratitude, suppliques, complicité, bonheur partagé, surprise, soulagement, entêtement, consternation, colère parfois...
On rit, on se réjouit, on danse avec eux dans les fêtes, on espère, on vibre, on pleure avec eux dans les moments graves d’inquiétude, de peur, de doute, de tristesse.
L’illustration joue un rôle extrêmement important : non seulement elle double le texte et le renforce mais elle fait avancer l’histoire. Le lecteur a de l’espace pour laisser libre cours à son imagination et mettre des images, des mots sur les pensées, les émotions secrètes des personnages. Il assiste à leur cheminement intérieur.
Le fond blanc, les illustrations non cadrées et pastel, leur positionnement dans la page ne sont pas étrangers à ces effets.

 

 

     

 Le monde présenté

« ...Les histoires que je dessine, sont souvent des histoires vécues ou observées. » dit Gabrielle Vincent. Ce qu’elle vit (ou a vécu) et observe, c’est un monde qu’« on ne voit bien qu’avec le cœur » comme on peut lire dans Le Petit Prince. Elle exprime avec intensité toute la tendresse qu’elle porte à  ses personnages.
Dans ce monde, amour et générosité dominent. Entre Ernest et Célestine d’abord. Ernest, parce qu’il a découvert l’amour paternel, n’a de cesse de chercher comment faire plaisir, comment faire des surprises. Cet amour l’a transformé, il ne va plus boire un coup avec ses copains même quand Célestine est absente (Cet été-là). Il va jusqu’au bout des questions de Célestine et même jusqu’à rejouer avec elle la scène de sa découverte dans une poubelle, tellement il comprend l’importance pour elle de connaître ses origines, de combler ce grand trou noir au fond d’elle : « Le soir, je suis fatigué mais heureux. »
Célestine, parce qu’il l’a recueillie et gardée, aime profondément Ernest.
Ce qui compte c’est de se montrer inlassablement qu’on s’aime, ce qu’on fait pour l’autre : Ernest remercie Célestine de l’avoir si bien soigné : « Tu es une excellente petite infirmière », et peu importe qu’elle ait cassé de la vaisselle alors qu’on est pauvre : « ...ce sera ma première sortie : au vieux marché, pour chercher de la vaisselle avec toi. », la rassure-t-il.
Beaucoup d’amour aussi chez les voisins, les amis (ils s’inquiètent en voyant Ernest triste sans Célestine : « Il y a quelque chose qui ne va pas ? Où est Célestine ? »... « Mais non, tu n’es pas comme d’habitude ! » et se concertent pour l’aider : « Alors, il va boire un verre avec nous comme dans le temps ! »)
Beaucoup de joie de vivre, de fantaisie (Noël en forêt, Rataplan plan plan), on invite souvent les amis, les voisins pour faire la fête : « Regardez, les enfants. C’est encore la fête chez Ernest et Célestine. Ils vont sûrement nous inviter comme l’autre jour ! » (La chute d’Ernest)
Une réelle importance est accordée à l’art (le musée, la musique), à l’écriture (échange de lettres dans Cet été-lA, Le sapin de Noël, journal intime tenu par Ernest pour noter les progrès de Célestine bébé dans Les questions de Célestine). Quelle qualité de vie !
Mais on est aussi confronté à la mort et on apprend à accepter la douleur, à la dépasser (Cet été-lA).
On n’est pas dans un monde conventionnel, idéal, « bien pensant ». On est chez les pauvres, (pas malheureux mais ô combien généreux) : Ernest donne tout son argent au musicien roumain, on rencontre des marginaux (un ancien professeur, devenu clochard et qui de plus apporte des poux !, un SDF qui vient squatter la cabane au fond du jardin dans La cabane). L’argent n’a pas une importance considérable : « Pourquoi tu lui as donné tout ton argent ? » s’étonne Célestine lorsque Ernest donne tout ce qu’il a sur lui au musicien roumain (Une chanson).
On sait se tenir, Ernest a honte de sa chute, d’être vu en train de se rechausser : « Il faut que je trouve un endroit discret... Les gens me regardent. » (Cet été-lA)
Parfois les rôles sont inversés, le fort peut être faible et la faible se montrer la plus solide, ainsi Célestine secoue Ernest qui, plongé dans les souvenirs de son pays, ne voit plus ce qui l’entoure, « ...Mais il y a tellement de désordre chez nous. Tu m’entends ? Tu m’entends ?... » (Une chanson). Il lui demande conseil : « Tu crois vraiment que je peux m’habiller comme ça à mon âge, Célestine ? » (Musiciens des rues). Et si Ernest sait la féliciter, la remercier : « Cette fois-ci, Célestine, c’est toi qui as sauvé la situation. », Célestine sait lui rendre la pareille : « ...mais c’est toi qui m’as appris comment il faut réagir quand on est fâché et qu’on boude. » (La chute d’Ernest).
Jamais de tragique, de désespoir malgré les difficultés ; on trouve toujours une solution : pour réunir l’argent nécessaire à la réparation du toit, pour dépasser la douleur de la séparation due à la mort, pour faire des cadeaux quand on n’a pas beaucoup d’argent...

   
     

 L'écriture

Une écriture qui peut sembler simple, mais qui ne l’est qu’en apparence seulement, car...
- beaucoup de style direct, le jeune lecteur suit le déroulement des événements en même temps qu’il entend les paroles rapportées des personnages et regarde les images, mais... sans bavardages, sans papotages avec force questions, de ces questions qui sont au centre de tout fonctionnement humain : « La relation commence et recommence avec les questions. Toute une éthique du langage, de l’enfance, de la vie, de l’art... » (13)
- des dialogues pour faire avancer le récit, mais... « ...le dialogue n’est pas qu’échange de paroles ; ou s’il l’est, il est plus qu’échange de mots, de phrases : échange de sujets. » (14)
- des répétitions de questions ou de mots ou de pensées mais... ce sont des effets pour bien montrer la détermination de la souris ou insister sur le sentiment évoqué
- des constructions souvent simples, mais... ce sont de vrais récits avec début, déroulement et fin ; mais... parfois plus complexes : déroulement en plusieurs endroits, avec échanges de lettres ou passages de journal intime pour faire avancer le récit (Cet été-là, Le sapin de Noël)
La narration est faite par un narrateur extérieur sauf dans La naissance de Célestine où le narrateur est Ernest lui-même et qui annonce d’entrée de jeu : « Comment nous nous sommes rencontrés, Célestine et moi ? C’est aux parents que je vais le raconter... »
L’emploi de typographies différentes est intéressant à  repérer : italique pour marquer les pensées, les monologues intérieurs d’Ernest : « Pourquoi insiste-t-elle ainsi ? Sait-elle que Gazou ne va pas bien ? » (Cet été-là, Une chanson) ; « Quand elle est comme ça c’est qu’il y a quelque chose qui se prépare » (Les questions de Célestine) ; gros caractères en majuscules pour les questions de Célestine : « COMMENT ? où ? QUAND ? » ou pour insister sur la difficulté d’Ernest à lui répondre : « DIRE : DIRE LA VÉ-RI-TÉ » (Les questions de Célestine).
La finesse de l’analyse psychologique des personnages est remarquable, bien qu’ils soient traités avec simplicité et délicatesse, leurs réactions, leurs sentiments dans les diverses situations, jours de joie et d’insouciance ou jours d’inquiétude et de tristesse, sont abordés avec toutes les subtilités. Ainsi, dans Les questions de Célestine, Ernest explique à  Célestine avec une patience infinie et force détails, où il l’a trouvée, comment elle était (« Tu étais tellement petite... tellement jolie... Je t’ai entendue... et je t’ai prise... et je t’ai déposée là, dans mon col. »). Puis, sans se lasser, il évoque tout ce qu’il a fait pour elle, toutes ces preuves d’amour qu’il peut lui fournir. Enfin, à travers les questions de Célestine, sont évoquées les raisons possibles d’abandonner un enfant. Les illustrations nombreuses et d’une puissance évocatrice remarquable renforcent le texte.
Bien que se voulant de l’oral transcrit, le niveau de langue est soutenu avec :
- des structures complexes : énumérations de GN, groupes nominaux : (« ... trois bols, six assiettes et le grand plat... ») mais aussi de subordonnées (« quand on reste au lit, qu’on fait la diète et qu’on boit des tisanes... »)
- un vocabulaire « soigné » : les sentiments sont nommés : « me voilà jaloux », reconnaît et répète Ernest, ou « je suis préoccupé, je ne suis pas présentable », (Cet été-là), « Je suis content... heureux » (Les questions de Célestine) ; « Je ne serai pas un peu ridicule ? Je suis trop déçu... » (La chute) ; « Je suis trop ému... » (La cabane)
On trouve même parfois des mots plus rares ou savants : « diète, labyrinthe, copies de tableau, L’infant Balthazar Carlos à cheval de Velasquez... »

   
     

 Conclusion

Un univers est créé, il s’adresse à des enfants qu’on ne prend pas pour des êtres fragiles qui doivent être protégés du monde mais pour des êtres capables d’ouvrir les yeux et le cœur pour le ressentir, le partager car ce qui compte, ce n’est pas tant le sujet traité que montrer la vie avec ce qu’elle a de bon et d’essentiel : l’amour qu’on donne et qu’on reçoit, la solidarité.

   
     

 Des séries originales

Des séries originales
Ces deux collections, on vient de le voir, sont très différentes par le monde présenté, la place laissée au jeune lecteur, à sa sensibilité, son imagination et à son statut.
POB est destiné à des tout petits qu’il ne faut pas traumatiser, et le modèle familial, hyper traditionnel (et aimant) est donc valorisé. Les histoires s’articulent autour de petits tracas quotidiens qui trouvent des solutions dans l’échange et la compréhension sans que ne soit gommée une certaine fermeté parentale. On grandit dans un monde juste où les règles, justifiées, doivent être respectées. Comment le lecteur pourrait-il éviter de s’identifier au personnage et à ses comportements dans le monde idéal auquel il lui a été donné d’appartenir ?
Comment vivre dans le monde tel qu’il est tandis qu’on est pauvre, seul, voire abandonné ? Comment se dire qu’on s’aime alors que c’est si compliqué à exprimer ? Gabrielle Vincent, par son dessin et son texte, réussit le tour de force de montrer à la fois la difficulté pour deux personnes de se confier leurs sentiments et montrer la compréhension et l’amour qu’elles ressentent. Chacun a son histoire et le passé n’a pas été tout rose pour chacun d’eux. Le présent n’est guère plus brillant mais il se dégage une telle force de vie, une telle tendresse qu’Ernest et Célestine peuvent affronter toutes les situations du quotidien avec philosophie. Chaque épreuve (problèmes existentiels, maladies, galères...) semble transcendée et renforce le profond attachement qui les unit.
Un adulte et une enfant, la vie à deux, c’est un échange permanent. Chacun profite de l’expérience de l’autre mais prend en compte ses aspirations, comprend ses difficultés à être et se trouve renvoyé à sa propre construction. Mais, même si les « histoires » sont centrées sur les deux personnages, elles restent en prise avec le monde.
Le travail sur une collection plutôt que sur un album isolé permet de dégager et d’approfondir l’univers d’un auteur, une ligne éditoriale : thématique, psychologie des personnages, en procédant par recoupements, comparaisons... La langue (images et mots) ne sont pas que des véhicules, ils sont solidaires du projet qu’ils réalisent et participent à leurs enjeux (15). La présentation de ces deux séries permettra aux enfants de découvrir des univers sociaux différents : la comparaisons des deux organisations « familiales », de leurs cadres intérieurs, de leurs activités, leurs soucis, la façon dont ils y répondent ne pourra qu’aider les enfants à trouver leurs propres prises dans le monde qui les entoure et à y chercher des ouvertures tout en développant un esprit critique, sans manichéisme mais sans idéalisme non plus.

   
     

 Bibliographie

Bibliographie de la série
Ernest et Célestine

Duculot Casterman
(2001) Les questions de Célestine
(2000) Ernest et Célestine ont des poux
(1999) La cabane
(1999) Un caprice de Célestine
(1998) Le labyrinthe
(1998) Une chanson
(1995) Le sapin de Noël
(1994) Cet été-là
(1994) La chute d’Ernest
(1994) Ernest et Célestine ont perdu Siméon
(1993) La naissance de Célestine
(1992) Ernest et Célestine au jour le jour
(1990) Ernest et Célestine... et nous
(1989) Ernest est malade
(1988) Ernest et Célestine au cirque
(1986) La tasse cassée
(1985) Ernest et Célestine au musée
(1985) La tante d’Amérique
(1984) La grande peur
(1984) Rataplan plan plan
(1983) Noël chez Ernest et Célestine
(1982) Ernest et Célestine vont pique-niquer
(1982) Ernest et Célestine chez le photographe
(1982) Le patchwork
(1981) Ernest et Célestine, musiciens des rues

 Les Petits Albums Duculot
(2006) Ernest et Célestine vont pique-niquer
(2006) Rataplan plan plan
(2005) Les questions de Célestine
(2005) La tasse cassée
(2004) La naissance de Célestine
(2004) Ernest et Célestine ont des poux
(2004) Ernest est malade      
(2003) Le sapin de Noël        
(2003) Ernest et Célestine au musée
(2003) Ernest et Célestine chez le photographe
(2003) Ernest et Célestine ont perdu Siméon
(2003) Ernest et Célestine, musiciens des rues

Autres titres de G. Vincent (Duculot)
(1999) Un jour, un chien
(1996) La montgolfière
(1995) J’ai une lettre pour vous
(1995) Au bonheur des chats
(1995) Je voudrais qu’on m’écoute
(1994) Papouli et federico, dans la forêt
(1994) Papouli et federico, à la mer
(1994) Papouli et federico, le Grand Arbre
(1993) Au bonheur des ours
(1992) La petite marionnette
(1989) Désordre au paradis
(1987) La chambre de Joséphine