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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°5  mars 1984

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TYPES DE BCD ET VIE DE L'ÉCOLIER


Nous présentons dans ce document une observation des bibliothèques-centres documentaires (B.C.D.) .

Les B.C.D., par définition, fonctionnent au niveau de l'école : c'est une institution dont s'est doté l'ensemble des classes et des enseignants. La description que nous en donnons se situe donc au niveau de l'établissement. Par contre, les effets de cette institution concernent ici les seuls élèves des cours préparatoires et la description portera sur les groupes de base.


I - DESCRIPTION DES B.C.D.

26 groupes de base (sur les 41 concernés par l'observation) fonctionnent dans des écoles qui se sont dotées d'une B.C.D. Cette proportion (63%) est sans aucun rapport avec l'implantation effective de cette institution dans l'école élémentaire française; en effet, pour l'ensemble du territoire, on peut estimer que moins de 500 écoles (1) ont, aujourd'hui, un tel équipement. Cette disparité montre l'intérêt d'un échantillon non représentatif qui groupe les pratiques rares puisqu'il faudrait observer bien plus de 2000 écoles tirées au hasard pour recueillir la même information...

Une circulaire de 1973 rend obligatoire une salle documentaire dans toutes les constructions nouvelles.

     1. LES DONNÉES DONT NOUS DISPOSONS.

Pour décrire les B.C.D., nous utilisons actuellement 6 variables :

          - Importance des BCD évaluée à partir du nombre d'ouvrages

6 groupes de base utilisent une BCD de moins de 500 livres,

10 groupes de base utilisent une BCD de 500 à 1000 livres,

10 groupes de base utilisent une BCD de plus de 1000 livres.

          - Ouverture de la BCD et durée de l'accueil

18 groupes de base utilisent une BCD ouverte en permanence

6 groupes de base utilisent une BCD ouverte seulement une partie du temps

          - Comment est assuré l'accueil à la BCD

4 groupes de bases utilisent une BCD sans qu'il y ait une personne responsable de l'accueil. C'est l'enseignant de la classe qui accompagne ses élèves,

9 groupes de base utilisent une BCD dont une seule personne est en permanence responsable,

10 groupes de base utilisent une BCD dont l'accueil est assuré par 2 personnes mais pas nécessairement en même temps,

3 groupes de base utilisent une BCD dont l'accueil est assuré par 3 personnes.

          - Diversité des genres l'ouvrage à la BCD

5 groupes de base utilisent une BCD qui n'a pas plus de trois catégories d'écrits (par exemple: romans, documentaires, B.D.),

16 groupes de base utilisent une BCD qui a quatre catégories d'écrits (par exemple: presse, usuels, etc.),

5 groupes de bases utilisent une BCD qui a cinq catégories d'écrits (par exemple: écrits produits par les enfants, etc.).

          - Type d'accès et mode d'utilisation de la BCD

4 groupes de base accèdent à la BCD par classe entière selon une grille d'utilisation établie pour l'école. C'est le même type d'accès que pour une piscine ou un gymnase !

13 groupes de base permettent à leurs élèves d'accéder individuellement ou par petits groupes à la BCD mais seulement dans des moments décidés dans le groupe de base (par ex. : pas pendant les leçons de mathématiques, ou pas avant 10h, etc.).

9 groupes de base laissent leurs élèves avoir un accès individuel libre à la BCD. Les enfants peuvent y aller à n'importe quel moment lorsqu'ils le désirent et aussi longtemps et aussi souvent qu'ils le souhaitent.

          - Diversité des activités proposées à la BCD

6 groupes de base utilisent une BCD qui n'offre pas plus de trois activités (par exemple: prêt, lecture sur place, heure du conte),

12 groupes de base utilisent une BCD qui offre de quatre à six activités (par exemple: heure du conte, poésie, club lecture, etc.),

5 groupes de base utilisent une BCD qui propose plus de six activités.


     2. LES TYPES DE B.C.D.

En utilisant l'analyse de correspondance sur ces données nous parvenons à isoler quatre types de B.C.D.

Il est, dès lors, possible de recenser les caractéristiques associées à chacun de ces types.

Type 1

- BCD moyennement dotée (entre 500 et 1000 livres),

- ouverte en permanence,

- proposant peu d'activités,

- prise en charge par une personne,

- d'accès rigide, par groupe de base selon un horaire établi dans l'école.
Type 2

- BCD assez petite (moins de 500 livres),


- plutôt en accueil temporaire,

- pas d'autre activité que le prêt,



- d'accès semi-rigide, par petits groupes ou individuellement selon un horaire établi selon le groupe de base.
Type 3

- BCD bien dotée (plus de 1000 livres),

- ouverte en permanence,

- proposant de nombreuses activités,

- libre accès individuel.
Les enfants s'y rendent sans aucune contrainte et à tout moment.
Type 4

C'est un groupe moins homogène que les trois autres.

Les BCD de ce type ressemblent beaucoup à celles du type 3 mais en diffèrent sur un point essentiel : l'accès n'y est pas libre mais sur le modèle de type 2, c'est-à-dire semi-rigide.


II - LES ÉCOLES OÙ EXISTENT LES DIVERS TYPES DE B.C.D.

  1. LES ÉCOLES QUI N'ONT PAS DE B.C.D.

Ces écoles ont beaucoup des caractéristiques des écoles ordinaires.

Un maître par classe qui suit ses élèves une année. Une équipe éducative très peu diversifiée qui ne s'ouvre guère aux non-enseignants, où les diverses tâches ne sont pas prises en charge par l'en semble des maîtres et au sein de laquelle on prône une spécificité de la responsabilité éducative de l'école par rapport aux familles.

Sans doute l'isolement plus grand des maîtres crée-t-il des conditions défavorables dont on perçoit les effets dans un fort taux d'absentéisme. Une école réduite aux cinq années de l'élémentaire, sans contact avec la maternelle ou le CES, et n'animant pas de vie associative autour d'elle.

Le redoublement y apparaît comme la solution privilégiée aux difficultés des élèves.

Il n'existe enfin pas d'Institution commune à l'école, que ce soit des ateliers ou une BCD; la lecture y est alors prise en charge au sein des bibliothèques de classe.

     2. LES ÉCOLES QUI ONT UNE B.C.D. DU TYPE 1

(moyennement dotée, d'accès rigide)

Une équipe enseignante fortement masculinisée, avec une moyenne d'âge assez élevée; des maîtres qui ont souvent fréquenté l'enseignement supérieur et qui ont peu d'activités politiques ou syndicales.

L'organisation adoptée correspond à un maître-une classe; mais avec des échanges dus à une forte spécialisation des enseignants laquelle ne provoque pas un fort suivi des élèves. L'importance des moyens mis en oeuvre (groupes de niveau-soutien) pour aider les élèves en difficulté ne parvient pas à réduire une forte pratique du redoublement. Sans doute faut-il en voir la cause dans la multiplicité des bifurcations qui sont en permanence posées devant les enfants pour leur affectation dans des groupes de niveau différents.

L’idéologie est marquée par une forte conception pédagogique traditionnelle : spécificité des responsabilités éducatives de l’école, affirmation de la nécessité d’un savoir et d’un enseignement disciplinaire, forte subordination de ce que vit l’enfant à son intérêt futur supposé.

On observe également une absence de prise en charge des diverses tâches par l’ensemble des maîtres, en même temps que la division traditionnelle des fonctions entre hommes et femmes y demeure très forte.

     3. LES ÉCOLES QUI ONT UNE B.C.D. DU TYPE 2

(plutôt petite, d'accès semi-rigide)

Une école moins facile à caractériser. A la fois grande et avec des effectifs chargés; Un peu empêtrée dans des problèmes de moyens; essayant d'accroître les contacts avec les parents, mais développant malgré tout, sans doute du fait de sa taille, une idéologie assez autoritaire et une organisation individuelle.

     4. LES ÉCOLES QUI ONT UNE B.C.D. DU TYPE 3

(bien dotée, libre accès individuel)

Une école assez grande, elle aussi, mais avec des effectifs peu chargés. Les enseignants se recrutent sur un projet assez clair; ils ont une formation professionnelle importante et sont très homogènes par l'âge, les tâches ne sont pas différenciées entre eux selon le sexe.

La commune où est implantée l’école a, elle-même, de nombreuses activités sociales et culturelles et le "coût" annuel de l'élève y est élevé.

Les enseignants sont sur des positions très ''éducation nouvelle". De nombreuses activités de production permettent à l'école de financer une partie importante de ses dépenses; et la tendance n'est pas, au sein des nombreux ateliers, à multiplier des moments assez passifs de consommation.

On consacre peu de temps dans l’organisation générale, aux pratiques de soutien ou à l'organisation en niveau. Et pourtant, on n'observe pas de redoublements, le taux d'enfants en retard est très faible et l'âge d'entrée en sixième est conforme à la scolarité normale.

Un très petit nombre de bifurcations (organisation en cycles) dans le cursus permet à plusieurs enseignants de suivre plusieurs années les enfants.

     5. LES ÉCOLES QUI ONT UNE B.C.D. DU TYPE 4

(bien dotée - accès semi-rigide)

Une école assez petite mais moins facile à caractériser que la précédente.

Les maîtres y sont plutôt jeunes et certains ont exercé une autre profession avant d'entrer dans l'enseignement.

La vie associative autour de l'école est importante mais les maîtres ne multiplient pas les activités parascolaires. Ils s’expriment clairement contre une spécialisation des responsabilités éducatives, et c'est le sens de leur ouverture aux parents.

L'école utilise, par ailleurs, largement les équipements extérieurs mis à sa disposition.

Le redoublement est très peu pratiqué dans cette école; les élèves y sont suivis longtemps (cycles) grâce au très petit nombre de bifurcations.

Il ne faut pas chercher à travers ces 5 portraits des causalités rigoureuses qui permettraient de déduire l'existence d'une BCD de la présence ou de l'absence de certains traits généraux. Ce qu'il faut plutôt remarquer, c'est la concomitance des caractéristiques qui crée un climat général, à l'intérieur duquel une BCD existe ou non et, lorsqu'elle existe, avec un tel mode de fonctionnement.

On peut avancer une interprétation assez synthétique. Par rapport à l'école traditionnelle qui n'intègre pas dans son mode de fonctionnement une BCD, il existe une conception de la BCD (type 1) développée par des équipes expérimentales qui ont cherché, non pas à transformer, mais à pousser à la limite les présupposés théoriques de l'école traditionnelle.

À l'opposé, les types 3 et 4 correspondent à des tentatives de transformer plus radicalement l'approche habituelle de l'école. Le type 3 représente une forme plus épanouie, plus sereine, qui accepte les contraintes du libre accès, à la limite même, s'organise en fonction d'elles. Le type 4 en revanche, a, sans doute, une adhésion plus ambiguë, acceptant la BCD mais en tentant de l'intégrer - et éventuellement de la subordonner à un projet pré- existant. C'est d'avantage un oui- mais que dans le type précédant.

Il est intéressant d'observer maintenant si ces types motif lent ce que les enfants vivent réellement.


III- LE BUDGET TEMPS DES ENFANTS DANS CES DIVERS TYPES DE B.C.D.

Il est bien évident, là encore, qu'il n'est pas possible d'attribuer les différences que nous observons à la seule présence d'une BCD, mais bien à une organisation générale cohérente dans laquelle la BCD est un élément établissant avec les autres éléments des relations d'un certain type.

Précisons également qu'il s'agit de la vie des seuls écoliers des cours préparatoires alors que nous avons, jusqu'à maintenant, considéré le niveau général de l'école.

  1. LES ÉCOLIERS DE CP DANS LES ÉCOLES QUI N'ONT PAS DE B.C.D.

C'est un écolier comme nous en connaissons beaucoup. Au CP, il passe beaucoup de temps à écrire, à faire de la copie et du travail systématique ; en revanche, il reçoit peu d'information et il est peu producteur. Au sein de la classe, il ne se déplace guère.

    2. LES ÉCOLIERS DE CP DANS LES ÉCOLES OÙ EXISTE UNE B.C.D. DE TYPE 1

(moyennement dotée, d'accès rigide)

L'écolier, ici, se déplace peu, essentiellement pour des raisons scolaires, et n'a guère d'autonomie sur son espace.

D'une manière générale, un pouvoir centralisé dans le groupe lui laisse peu de responsabilité et le degré de coopération avec les autres enfants est faible. Aussi, cet écolier est souvent amené à transgresser les consignes et à désobéir.

Les méthodes pédagogiques sont elles aussi directives et correspondent assez bien à ce que nous connaissons de la méthode interrogative.

Notre écolier passe du temps à chercher, d'une manière ou d'une autre, la réponse qu'on lui pose.

Il écoute ou voit beaucoup d'informations et est amené à appendre assez souvent le point de vue des autres. Mais parle peu pour argumenter confronter ses idées sur des problèmes à résoudre. En fait, il reçoit beaucoup plus qu'il ne fabrique.

Il passe un temps important à copier mais pas à rédiger et une partie notable des moments de lecture le contraint à suivre d'autres enfants qui lisent à voix haute.

Enfin, son temps d'exercice physique est réduit.

     3. LES ÉCOLIERS DE CP DANS LES ÉCOLES OÙ EXISTE UNE B.C.D. DE TYPE 2

(plutôt petite, d'accès semi-rigide)

Il y a peu de choses à dire sur la vie de cet écolier, mais un certain nombre de signes laissent penser qu'il connaît déjà quelque chose d'un peu différent, sans qu'il y ait pour autant de traits vraiment caractéristiques. Il semble avoir une grande autonomie dans l'espace et il a de nombreuses activités de fabrication. Dans l'ensemble, il parle peu pour des raisons scolaires et est assez peu soumis à l'information.

     4. LES ÉCOLIERS DE CP DANS LES ÉCOLES OÙ EXISTE UNE BCD DE TYPE 3

(bien dotée, libre accès individuel)

Ce qui marque d'abord la vie de cet écolier, c'est qu'il a un assez fort pouvoir dans les domaines qui touchent l'administration de son groupe de vie, les attitudes pédagogiques et éducatives. Il a réellement la possibilité de choisir et d'organiser ses activités.

En conséquence, il se déconnecte peu et à peu de comportements de fuite; il se replace beaucoup de son propre chef, pour mener à bien ses divers projets.

Il lit beaucoup, essentiellement pour s'informer et se distraire, mais aussi pour répondre à des questions; dans l'ensemble, il reçoit beaucoup d’informations.

On peut dire qu'il vit dans un milieu riche.

Il contribue d'ailleurs à l'enrichir en ayant de nombreuses prises de parole qui visent à informer.

En contrepartie, il consacre peu de temps à l'écriture, à la copie et aux exercices systématiques.

     5. LES ÉCOLIERS DE CP DANS LES ÉCOLES OÙ EXISTE UNE B.C.D. DE TYPE 4

(bien dotée - accès semi-rigide)

Cet écolier vit certainement quelque chose d'assez différent. Au niveau global, le rapport de son temps d'émission-production sur son temps de réception-consommation le décrit comme exerçant une réelle activité. Lorsqu'il parle, c'est pour informer, et lorsqu'il écrit, c'est pour rédiger. Il a de nombreuses activités qui le conduisent à classer, trier, ordonner, bref, à mettre en oeuvre des opérations intellectuelles plus que des mécanismes. Enfin, il s'engage souvent dans de multiples échanges à travers des jeux collectifs.

La juxtaposition de ces cinq écoliers laisse perplexe : gageons qu'en se rencontrant ils ne parleraient pas de la même chose.

De même qu'aux cinq types de fonctionnement de la BCD correspondaient cinq types d'écoles couvrant, sans doute, aujourd'hui, l'éventail des possibles, de même, à ces cinq types d'écoles correspondent cinq vies d'écoliers nettement contrastées. Et la même interprétation peut être proposée.

La vie de l'écolier 2 est une systématisation de ce que connaît l'écolier traditionnel : c'est ce que l'école aujourd'hui peut faire de mieux lorsqu'elle se fait bien; et ce grossissement fait apparaître clairement ses options.

L'écolier 4 et l'écolier 5 représentent des alternatives à ce choix traditionnel ; mais certainement dans des axes différents et il est remarquable que la conception de la BCD y joue un rôle important.

L'écolier 4 vit une forme dans laquelle prédomine un modèle très individualiste : l'organisation favorise la juxtaposition des cheminements individuels en apparence librement choisis. L'ensemble est assez élastique pour encaisser cette multiplicité et ce côtoiement, et la BCD est un recours, une soupape et un symbole. C'est un rêve d'une société d'un certain type où chaque individu peut vivre sa vie sans que la somme de ces vies ait une apparente signification collective autre que l'affirmation de la volonté individuelle.

L'écolier 5 vit sur des positions certainement différentes. Ce qui est posé d'abord, c'est moins la recherche d'un épanouissement individuel, que la vie et le fonctionnement d'un groupe qui se donne aussi comme règle le développement des individus. Mais ce développement doit être défini par le groupe, alors que l'épanouissement du type précédent est un peu une idée magique préexistante et indiscutable en fonction de laquelle, de l'extérieur, le groupe a été organisé. Et la BCD, pour cet écolier 5, constitue une institution davantage soumise à la nécessité de la vie du groupe et, s'il le faut, remise en question.

Tandis que pour l'écolier 4, cette BCD est un équipement qu'il faut utiliser le mieux possible.

Et toutes ces approches modifient très sensiblement la vie même de l'écolier, au niveau de ses rythmes et de son budget temps.


Jean Foucambert

(1) Ce texte date d'avril 1981. On estime à 2000 le nombre d'écoles maintenant pourvues de BCD.