retour

 

La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°9  mars 1985

___________________

LES "ECRITS NOUVEAUX" SONT EN CHANTIER

Le projet de production d’écrits susceptibles de combattre l’exclusion - né à l’Université de Nantes et décrit dans le n°8 des Actes - se précise comme prévu. En faisant régulièrement le point sur les dévelop­pements - même modestes - de cette recherche, nous souhaitons non seulement recueillir critiques et suggestions, mais aussi entraîner d’autres éducateurs dans le projet lui-même. Raymond MILLOT présente ici quelques voies issues de situations vécues par les élèves d’une école.


L’école des Charmes de la Villeneuve de Grenoble (connue par « B,A BA ou B.C.D. », 1er prix du concours national) a fait de la production d’écrits moins excluants, un projet d’équipe. Elle a répertorié des situations très diverses où le statut de l’enfant se trouve en jeu, et qui engendrent des prises de consciences, des pratiques nouvelles, des projets d’action. Ce répertoire a été présenté lors d’une réunion du groupe local spécialement consacrée aux écrits nouveaux.

Certaines situations sont propres à l’école des Charmes, à la place qu’elle a su prendre dans la vie du quartier, des familles, de l’utilisation et la production de l’écrit social nécessaire à la vie de la collectivité scolaire et aux projets d’action sur le milieu. D’une manière souvent explicite, il s’agit de faire partager au corps social l’idée - devenue évidence à l’école – que l’enfant est une personne à respecter, capable d’assumer de véritables responsabilités dans la vie sociale et d’être un acteur conscient de sa propre éducation.

On peut souhaiter que de nombreuses écoles s’engagent dans une telle politique, mais c’est encore rarement le cas. Des écrits nouveaux, issus de cette situation particulière, ne pourraient donc avoir un retentissement sur d’autres enfants par trop étrangers à un tel vécu.

Nous avons donc examiné le potentiel de trois situations qui peuvent se retrouver partout :

1ère SITUATION

Un maître malade et non remplacé. A son retour les enfants ont discuté des conséquences vécues, révélatrices de l’autonomie qu’on leur accorde ou qu’ils sont capables d’utiliser, de leur perception du monde adulte. Discussion non enregistrée et sur laquelle on ne pourra revenir. Je la cite pour mémoire car elle pourrait être reprise par d’autres collègues.

2ème SITUATION

Une employée de la restauration scolaire est gravement caractérielle - les relations avec les enfants sont très tendues - ceux-ci réagissent de différentes manières - leurs alliés adultes, les maîtres sont impuissants. Ce sujet fait l’objet de discussions continuelles. On a donc décidé de le retenir. On envisage de procéder de la manière suivante :

* faire part aux enfants (de cycle 3) du projet de production d’écrits nouveaux, explicitation du pourquoi et de l’hypothèse : tout ce qui concerne leur statut les intéresse...

       * faire part du comment :

  • recueil de situations vécues à l’école (il nous a semblé qu’il serait délicat et discutable de parler, directement, des situations familiales)

  • nécessité de distancier, d’accepter la déformation, à travers la fiction d’un vécu particulier pour le rendre universel, donc nécessité d’une écriture « profession­nelle »

  • établissement d’une collaboration entre “l’écrivain” (les écrivains, éventuellement) qui propose et les enfants qui critiquent et suggèrent, qui testent l’impact de l’écrit.

On pourra envisager, ultérieurement, qu’ils jouent un rôle dans la réalisation matérielle, la diffusion, la recherche du feed-back, rendu possible par la diffusion “en réseau” évoquée à Nantes.

On voit ici, se dessiner le profil de “l’écrivain” qui doit avoir, en plus d’une certaine compétence en écriture, le souci de lutter contre l’exclusion par la forme, de contribuer réellement à la transformation du statut de l’enfant, la capacité d’intégrer les critiques, et d’accepter une diffusion en réseau (au moins dans un premier temps) peu “prestigieuse”...

On retrouve la situation des écrivains en osmose avec leur public des salons du XVIII évoqués par J. FOUCAMBERT.

Avis aux amateurs...

3ème SITUATION

La production d’écrits non excluants par les enfant du cycle 3 à l’intention du cycle 2 (5-6-7 ans). On retrouve la situation qui a donné naissance aux écrits de l’école du LAC (Collection “je lis tout seul” bien connue des militants de l’AFL). La différence se trouve au niveau du contenu : ces écrits devraient sous des formes “imaginaires” évoquer des situations dans lesquelles les enfants s’interrogent sur leur place et leur rôle dans le monde des adultes. Le projet étant défini (voir plus haut) les enfants du cycle 3 seront invités à se remémorer des situations qu’ils ont vécues lorsqu’ils étaient “petits” : exemple de l’angoisse de l’entrée à la “grande école”, les rites et règles nouvelles imposées arbitrairement, incompréhensibles, les conséquences de la timidité ou de la spontanéité, la débilité de l’écrit scolaire, etc...

Les conditions d’écriture se trouvent inversées, les écrivains sont, cette fois, les enfants et ce sont les maîtres engagés dans le projet qui critiquent, suggèrent, invitent à la distanciation, décrivent les règles de lisibilité, facilitent le testage auprès des enfants des petites classes...

Il ne s’agira pas de “correction de texte libre”, mais mise en commun des compétences et apports par les enfants et les adultes, au profit d’une qualité littéraire réelle.

Le projet semble donc bien engagé, mais il dépend néanmoins de la réaction des enfants à qui il va être proposé...

On peut souhaiter que d’autres projets, dans cet esprit, naissent en différents lieux sans attendre les résultats obtenus à la Villeneuve, et envisager que ce travail sur les écrits nouveaux soit suivi lors des Conseils d’Administration de l’AFL.

Raymond Millot