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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°9  mars 1985

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DOSSIER "UNE POLITIQUE DE LECTURE"




Comme nous l’avons indiqué dans l’Éditorial, seule la première partie du “dossier” figure dans ce présent numéro, sans que le choix des articles pour l’une ou l’autre partie et leur succession dans chaque partie obéissent à une quelconque hiérarchie ou progression.


Les auteurs se sont limités à un compte-rendu de « ce qui se faisait » dans les lieux qu’ils décrivent même si certains font référence à des textes parus précédemment dans les A.L. (*) et ils ont essayé de « mesurer » ce qu’ils ont pu constater à l’aune de la conception que I’AFL se fait d’une politique de lecture.


Suite, analyse et conclusion du dossier paraîtront dans notre numéro 10, au mois de juin 85.


(*) voir notamment :

« La lecture, une affaire communautaire » Jean Foucambert. (AL n°3, sept. 83 p.65)

« La lecture, c’est l’affaire de tous » Monique Eymard (AL n°3, sept. 83 p.78)

« Une politique de lecture au niveau local » Michel Eymard (AL n°5, mars 84 p.91)

« Une logique de la lecturisation » Raymond Millot (AL n°5, mars 84 p.105)

« Les centres départementaux » Michel Violet (AL n°5, mars 84 éditorial)

« Nous vivons quand même un époque passionnante » Jean Foucambert (AL n°8, déc. 84 éditorial)

« Sept propositions » Jean Foucambert (AL n°8, déc. 84 p.92)

DANS UNE RÉGION


Une politique au niveau régional, cela existe ; nous l’avons rencontrée.

Certes, il n’y a pas que la Région Rhônes-Alpes, mais il se trouve que notre action militante y a des racines. Alors… Alors nous n’avons pas hésité à « aller plus loin avec » Cécil Guitart qu’Yvanne Chenouf avait interrogé pour le n° 8 des Actes, sur le thème de l’exclusion. Les grand axes choisis par l’AFL ont permis effectivement d’approfondir certaines réponses déjà évoquées, et, bien sûr, d’en obtenir de nouvelles.

Au-delà de l’intérêt très concret de la politique mise en œuvre, ce qui devrait retenir notre attention est la perspective dans laquelle elle s’inscrit, et que nous avons du mal à intégrer, peut-être parce qu’elle bouleverse nos mentalités et nos pratiques : la décentralisation.


DÉCENTRALISATION

Invoquer la Région, c’est à la fois se tenir délibérément dans la perspective de la décentralisation et dans celle d’une mission fédératrice quant aux politiques et aux actions conduites par et dans les communes.

La Direction du Livre va remettre, d’ici à 86, entre les mains des collectivités locales, la totalité de ses institutions et de ses pouvoirs en ce qui concerne les Bibliothèques Centrales de Prêt (BCP) qui fonctionneront, dès lors, sous la tutelle des élus du Conseil Général. Pour réussir, la décentralisation implique la création d’une identité régionale que doivent révéler des institutions spécifiques. Celles-ci sont à la fois interlocutrices pour l’Etat, incitatrices auprès des communes, animatrices d’actions locales en aidant les projets là où ils existent, en intervenant au plan économique auprès des industriels, libraires, éditeurs, en favorisant la création (un prix a été décerné à l’auteur d’un livre pour enfants dans le cadre du Colloque de Grenoble “L’enfant Lecteur”), en créant des relations horizontales à travers la région et entre les institutions dont certaines seront, à partir de 86, coupées de leur ministère de tutelle, donc isolées.


C’est pour répondre à ces préoccupations, en ne négligeant aucun des aspects d’une politique du livre et de la lecture, que Cecil Guitart, chargé de mission au livre et à la lecture pour la Région Rhône-Alpes, a oeuvré et abouti, après les Assises Régionales du livre et de la lecture (Valence - Décembre 82) à la création d’organismes tels que l’Office Rhône-Alpes du Livre (ORAL) chargé de développer une politique de création et de diffusion en liaison avec les auteurs, libraires, les éditeurs, les industries papetières – et que l’Agence de Coopération Régionale pour la Documentation (ACORD) veille à ce que s’établissent des liens, se conduisent des actions concertées entre et par les différents partenaires professionnels et associatifs.


­Essayons donc de saisir, dans ce contexte, quelles réponses sont apportées aux questions que nous nous posons à I’AFL.


QUELS EFFORTS SONT ACCOMPLIS EN FAVEUR D’UNE FORMATION COMMUNE DES FORMATEURS (BIBLIOTHÉCAIRES, ANIMATEURS, ENSEIGNANTS, MILITANTS D’ASSOCIATIONS, PARENTS, etc...) ?


L’AFL sait d’expérience qu’une place de plus en plus importante est réservée aux associations dans les programmes de formation.


Cependant, une action spécifique de formation commune à divers partenaires, mérite d’être mentionnée en particulier. Il s’agit d’une action conjointe de l’Education Nationale et de la Culture touchant les académies de Lyon - Grenoble – Poitiers et CréteiL, visant à l’implantation de BCD et à la formation d’enseignants, de bibliothécaires et de personnes bénévoles intervenant dans le domaine de la lecture. Se reporter à la circulaire parue dans le BO de l’Education Nationale du 1.10.84 ou à la page 28 du n° 8 des Actes de Lecture, ne serait-ce que pour le plaisir de sentir passer un petit vent AFL à travers les lignes.


Mais de la circulaire ministérielle à la formation mise en œuvre, il y a une large plage d’action : trouver une cinquantaine d’écoles et une cinquantaine de communes qui répondent aux conditions énoncées et capables de signer une convention, tenait de la gageure.




Cecil Guitart a donc privilégié trois critères : le caractère prioritaire de l’implantation (notion de site tel que les ZEP), l’ouverture à la population du quartier au-delà du temps scolaire, l’articulation avec la politique du livre et de la lecture menée par la municipalité et/ou la bibliothèque municipale. Il a dû veiller au respect de l’hétérogénéité des stagiaires (50% d’enseignants, 50% d’autres partenaires du livre, dont la moitié sont des intervenants bénévoles) et à ce qu’aucun des formateurs ne confisque la formation au profit de son institution. Trois fois l’an, les stagiaires se retrouvent pour une semaine autour de trois thèmes: littérature enfantine - lutte contre l’illettrisme -qu’est-ce que lire et les écrits sociaux.



On voit bien ici la latitude de l’intervention des instances situées en région, en tant que telles. Celles-ci peuvent, en formulant quelques exigences, empê­cher qu’un projet, riche d’idées novatrices, ne subisse les inerties institutionnelles.


Cependant, toutes ces intentions ne seront que détournées si elles ne rencontrent pas de projets au niveau local pour qui cette proposition deviendra un tremplin.


Autour des B.C.D., deux partenaires : l’Éducation Nationale et la Culture. A eux deux, ils n’ont pas le monopole ni de la lecture ni de la formation. Il fallait donc imaginer un instrument efficace, utile à tous : c’est l’AG3I (Association pour la Gestion Inter­Institutionnelle du Projet sur l’Illettrisme) qui, pour le département du Rhône, se propose “de créer en rela­tion avec les collectivités locales des conditions d’implantation de projets permettant d’associer des partenaires institutionnels ne travaillant naturel­lement pas ensemble, de réunir des responsables institutionnels afin qu’ils puissent faciliter la mise en oeuvre de projets locaux, les soutenir et les financer, de s’articuler à toute initiative nationale lancée pour lutter contre l’illettrisme”.


Tout projet de formation, ou qui entraîne une demande en formation, peut trouver auprès de l’AG3I l’aide nécessaire à sa réalisation et avoir connaissance des capacités formatrices disponibles dans la région.

Enfin un projet de formation inter-professionnel à l’intention de tous les partenaires du livre, vient d’être lancé, auquel participent le Centre de Formation des personnels communaux, la Direction du Livre, La Direction Régionale des Affaires Culturelles, l’Office Rhône-Alpes du Livre, la Chambre de Commerce de Lyon, l’Association Régionale de service aux Entreprises Culturelles et le Foyer d’Éducation Permanente de Grolles (Isère). Rien qu’au nombre des participants, on peut mesurer l’ambition du projet qui se concrétise par cinq stages arrêtés, cinq à venir, et qui voudrait déboucher sur des IRELM (Instituts Régionaux d’Etude pour le Livre et les Médias).



COMMENT S’OPERE LA MISE EN RESEAU DES ÉQUIPEMENTS, ÉTABLISSEMENTS, EN FAVEUR D’UN MEILLEUR ACCES À L’ÉCRIT (ET AUX ­MOYENS DE PRODUCTION DE CELUI-Cl) ?



Les BCP vont très certainement devoir jouer un rôle important de ce point de vue. Elles ont déjà un rôle de diffusion extensive ; elles auront la responsabilité du regroupement des petites unités de la lecture publique.


Mais les BCP ne couvrent qu’un secteur. Il fallait développer celui des Comités d’Entreprise. Pour cela deux bibliobus - Comités d’entreprises circulent, pris en charge par Travail et Culture. Ils permettent aux petites entreprises de profiter de la politique d’extension de la lecture publique. L’idée la plus originale est probablement celle de l’Agence de la Coopération Régionale pour la Documentation, mentionnée ci-dessus. Nous y revenons.


Le service de l'ACORD se limitera à 3 fonctions


- l’accès à l’information bibliographique et aux documents

- la promotion du patrimoine documentaire régional

- une fonction de communication, regroupant l’information, la sensibilisation, le conseil, la formation, l’évaluation et la recherche.



Dans le domaine de la littérature enfantine un groupe se charge actuellement de définir les besoins, de rassembler les éléments du contenu de cette coopération. Il est constitué de professionnels des bibliothèques et de représentants d’associations (CRILJ – AFL – FRANCA - FOL - MJC - ABCD). Il bénéficie de la présence et de l’aide du Centre National du Livre pour enfants (Joie par les livres).


QUEL RAPPORT S’ÉTABLIT ENTRE QUALITÉ DE LA VIE SOCIALE, ASSOCIATIVE, ET LE DÉVELOP­PEMENT DE LA LECTURE ?


L’hypothèse qu’une Société qui vit est une société qui lit, conduit à considérer l’usage d’écrits sous l’éclairage des “écrits nouveaux” ; ces écrits qui tirent leur force, leur pouvoir de communication dans l’adé­quation de leur forme et de leur contenu à la condition de leurs auteurs et de leurs consommateurs.


Sans doute, cette perspective est un peu trop neuve pour que l’on puisse citer des démarches faites très explicitement dans ce sens. Mais la formulation claire d’un problème ne le précède jamais. Aussi parlerons-nous de deux entreprises qui bénéficient du soutien du Ministère de la Culture, le projet de films lancé par l’Association “COMME UNE IMAGE”, et “L’ÉCROU”, journal d’information des détenus des prisons de Lyon.



Des histoires, des histoires écrites en prison, filmées en prison ou dirigées de la prison.

Des histoires qui diraient aux autres ce qui se passe au fin fond de soi et de sa cellule.

Des histoires dont la mise en image et son serait le lieu de confrontation entre des détenus et des acteurs professionnels, des techniciens, des cinéastes, des musiciens” (Association “Comme une image”).




Ce projet et les conditions particulières du fait de la prison, ont conduit “Comme une image” à faire de l’écrit, produit et lu, un instrument indispensable à la réalisation des films : 1200 lettres expédiées - une à chaque détenu qui la lit ou se la fait lire, une cinquantaine de textes produits, des autobiographies. des nouvelles, des lettres, des poèmes, des scénarios, écrits avec ou sans aide, “HISTOIRES EN PRISON’ publié et distribué à tous les détenus.


Une petite révolution dans les cellules. Pendant 15 jours, cet écrit n’a cessé d’être lu, relu, discuté, commenté. Puis est venu le temps du tournage où des écrits plus techniques ont circulé.


Les films sont terminés. Au dire de “Comme une image” c’est réussi, efficace et beau, toutes les rêveries, les regrets, les espoirs, les maladresses, les médiocrités propres à la vie carcérale,


Nous sommes en pleine “pédagogie du projet” bien qu’il ne s’agisse pas, pour les animateurs, d’un projet “pédagogique”. Les détenus se sont senti représentés, exister et, même avec des compétences de lecteur parfois très minces, ils ont lu. D’autres aussi, non concernés. N’est-ce pas là une caractéristique des écrits nouveaux qui font l’objet de nos préoccupations.


Histoires en prison’ est une amorce, un premier pas sur ce terrain. “L’écrou” va beaucoup plus loin. Les rédacteurs qui sont détenus, informent les détenus, traduisent et expriment les problèmes propres aux prisons, mais de plus, ils s’adressent aux autres avec une intelligence et une efficacité manifestes. Les colonnes sont ouvertes à n’importe quel prisonnier, donc possibilité d’expression ; le journal est vendu par abonnement à de nombreux détenus et à l’extérieur de la prison, donc possibilité de se faire entendre.


Les détenus qui constituent l’équipe de rédaction ont atteint un niveau professionnel. Ecrits nouveaux certes ! Volonté évidente de qualité au nom de l’efficacité. Mais certains des destinataires, parmi les plus concernés, pourront-ils lire, de façon autonome, le journal ? C’est souligner combien la production d’écrits nouveaux devrait être accompagnée d’une politique de formation des lecteurs et, en tous cas, d’une préoccupation de lisibilité. L’AFL imagine bien le rôle que les éducateurs pourraient avoir à partir de ces écrits.


COMMENT S’OPÈRE L’INFORMATION DES PUBLICS SUR LES DIFFÉRENTS PROBLÈMES CONCERNANT LA LECTURE ? QUELLE FORMATION DES ACTEURS EST PROPOSÉE ?

Cecil Guitart met plutôt l’accent sur l’incitation, l’aide, l’organisation, la création de structures associatives et coopératives. C’est aux terrains qu’il convient de répondre à cette question. Le chargé de mission, de son côté, s’applique à découvrir les lieux et les groupes où naissent des projets. Il met ensuite son énergie à les aider. Telle petite association (Association pour le Développement Communautaire de la Lecture en Milieu Rural de St Siméon de Bressieux, par exemple) se voit vigoureusement soutenue pour équiper ses locaux, constituer son fonds, acheter un Goupil III et Elmo et telle commune qui ne peut faire face à l’exigence d’ouverture de la BCD après les heures de classe, bénéficie du T.U.C. mis en place par la Culture.


L’exemple, peut-être le plus probant, est celui du Projet de lutte contre l’illettrisme dans le dépar­tement du Rhône qui comprend un chapitre sur “l’aide à l’élaboration de projets, mise en relation avec les recherches en cours”.


quatre secteurs d’intervention :

  • le quartier de mineurs de la prison St Paul de Lyon

  • les SES et CPPN

  • les ZEP en relation avec les collectivités locales à Vénisseux, St Fons, Givors, St Priest et Vaulx en Velin,

  • des ZUP à Rillieux avec la Confédération Syndicale des familles, à la Duchère avec ATD Quart-Monde, à St Priest avec l’Éducation Nationale.


Ce qui frappe en premier lieu, est l’effort dans chacun de ces secteurs pour provoquer une rupture salvatrice avec l’expérience scolaire du rapport à l’écrit. C’est aussi l’appel à des technologies ou à des démarches pédagogiques nouvelles pour créer une autre approche de la lecture. On a recours à l’informatique, à ELMO, aux BCD, à des liens interpersonnels nouveaux entre le public et les promoteurs de la lecture. Sur ce dernier point, il faut souligner le rôle de la CSF et la tentative d’une « bibliothèque familiale » dans le quartier Mistral à

Grenoble.


La CSF qui cultive particulièrement le contact au niveau des montées d’escalier dans les cités a lancé des réunions “tuperware” de la lecture. Les séances diapos et discussion se passent à domicile avec un petit groupe de gens.

Dans ce quartier Mistral - bien connu pour les difficultés de sa population en matière de lecture - JF

Carescoral (bibliothécaire) a lancé un système de “bibliothèque chez le voisin”.

Il faut connaître les non—lecteurs” dit—il et c’est plus facile dans un rapport de voisinage. Des livres chez le voisin ne suffisent pas, mais le chemin du lecteur au livre est moins raide.


Notre dernière question n’a pas eu de réponse. Elle touchait à la désacralisation de l’écrit, de la littérature et au développement d’une « lecture ethnographique ». Peut-être ne l’avons-nous pas bien re­formulée. Peut-être est-elle trop récente et qu’aucune action n’y répond encore. À l’AFL d’avancer des propositions…



Rolande MILLOT