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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°16  décembre 1986

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Dans le numéro 14 (juin 1986, p. 34) des « Actes de Lecture», Yves PARENT ouvrait les pistes de recherche de l'AFL en matière de B.C.D. :
« 1. COMPRENDRE pourquoi des idées et des intentions devenues claires, largement diffusées et souvent partagées, se sont rarement incarnées dans la réalité. »
« 2. TENTER de définir des orientations pour transformer les pratiques (en direction notamment des non-lecteurs) et constituer, à l'intérieur de la B.C.D., un observatoire des écrits. »

COMPRENDRE, TENTER

Depuis un an, huit B.C.D.* sont engagées dans des actions de transformation des pratiques actuelles; un de leur représentant s'est retrouvé en stage à Hérouville Saint Clair les 30 juin et 1er juillet derniers pour faire le bilan et définir les orientations à venir.

Nous livrons en l'état le résultat de nos dernières explorations; puissent-elles, malgré leur caractère balbutiant et incertain, aider les responsables de B.C.D. désemparés face aux enfants non lecteurs.

1. COMPRENDRE

L'air des B.C.D., c'est une équipe pédagogique élargie aux parents et autres professionnels du quartier.

Leur nourriture, c'est une politique commune de la maternelle au CM2.

Sans l'un et l'autre

c'est l'asphyxie et le dessèchement.

Nos livres, nos articles, nos interventions vont dans ce sens, tous issus du même constat :

  • C'est l'organisation de l'école en classes autonomes où exercice succède à leçon.

  • C'est l'absence de travail en équipe.

  • C'est l'impossibilité de définir une politique commune pour tous les enfants sur toute leur scolarité.

  • C'est le choix de groupes homogènes.

  • C'est le peu d'intérêt pour la littérature et la presse des enfants:

  • C'est la manière d'apprendre à lire.

C'est le peu de pouvoir véritable des enfants qui menacent les B.C.D.


LEUR ECHEC IRA GRANDISSANT SI ON CONTINUE À S'IN­TÉRESSERÀA L'OBJET QU'ELLES CONSTITUENT ET NON AU PROJET QU'ELLES REPRÉSENTENT.

Cependant, même lorsqu'on bataille en équipe depuis dix ans, qu'on a des classes multi-âges, que les enfants conduisent des projets dans lesquels ils ont du pouvoir, que les ensei­gnants et les parents se sont mis d'accord sur une politique de lecture incluant une autre manière d'apprendre à lire et une bonne information sur tous les écrits jeunesse,

IL RESTE ENCORE DES ENFANTS QUI NE PEUVENT PAS LIRE, QUI NE VEULENT PAS LIRE.

Pour le plus grand nombre, cette attitude n'est pas un choix conscient, mais la conséquence de tout un réseau de facteurs qu'il nous appartient de débrouiller avec ceux qui, refusant de lire aujourd'hui, se préparent à accumuler des échecs, à la longue, insurmontables.

2. TENTER

Premier objectif : les parents !

Plus de doute là dessus, le milieu familial doit être le premier lieu de contact avec les écrits, l'endroit de leur maîtrise.

Toutes les énergies doivent être entreprises pour que le jeune enfant puisse repérer et situer l'écrit familial quelles que soient la qualité et la quantité de cet écrit1. Le rôle de l'école et de la B.C.D. est essentiel dans ce domaine2.

Les tentatives actuelles de travail avec les parents ne permet­tent guère à ces derniers d'introduire des préoccupations étrangères à celles de l'école. On se prête volontiers à des actions d'information sur la lecture ou la littérature enfantine (réunions, expositions, sélection de livres au moment de Noël ou de vacances d'été...) et même à des collaborations au sein des activités prévues à la B.C.D... Mais...

Au cours d'une réunion entre les différents animateurs de la B.C.D et après bien des réticences, une mère de milieu populaire finit par avouer :  « Je n'aime pas trop les livres qui montrent et font aimer es gosses capricieux et désobéissants comme ce Max dans Max et les Maxi-monstres ; je n'aime pas non plus les gosses dans Une girafe à l'école qui ont même été jusqu'à trouer les plafonds pour faire entrer leur bestiole. Ce n’est pas des choses que l'école doit apprendre aux enfants.. Mais les enseignants trouvent que ce sont de bons livres, alors je n'ose rien dire et je les lis aux enfants qui les regardent. »

Les B.C.D. ne sont pas suffisamment des lieux de débats dans lesquels pourraient s'échanger des perspectives d’éducation différente. Toutes les actions tentent, au contraire, d’unifromiser les comportements sur ceux valorisés par l’école. Et pourtant, révélées, les résistances à certains livres cèderont peut-être ou s'affirmeront alors comme des choix délibérés et respectables3.

Deuxième objectif : les alliances avec les autres lieux de lecture

Comment parler de ses lectures et faire partager ses émotions sans que cela ne se transforme en exercice scolaire ou en animation artificielle ?

Il semble bien qu'à Grenoble, on ait trouvé un moyen dans la collaboration avec les libraires4. La FNAC envisage la mise en place de deux grandes manifestations autour de la littérature enfantine, l'une en décembre 1986, l'autre en juin 1987. Elle a chargé une B.C.D. de sélectionner près de trois cents livres pour les 2 à 15 ans et d'organiser deux débats publics sur les sujets de leur choix.4

Aux dernières nouvelles, une autre B.C.D. de Grenoble aurait négocié un contrat d'égale importance avec les magasins Carrefour. Ces derniers auraient accepté d'envoyer tous les mois un exemplaire de chacun de leurs livres afin que les enfants en tirent une sélection exposée dans les rayons. L'école aurait aussi la possibilité de tenir une rubrique régulière sur la lecture et les écrits dans le journal mensuel que Carrefour destine à tous ses clients.

Inutile de préciser, qu'à l'intérieur de tels projets, les prises de distances avec les écrits auront les coudées franches.

Des pistes à suivre pour donner un peu d'air aux B.C.D. trop scolaires !


Troisième objectif : les écrits

Transformer la B.C.D en observatoire des écrits telle était nôtre intention ainsi détaillée :


1. Plutôt que d'amener les enfants sur les positions de l'auteur, il faut les aider à comprendre les mécanismes d'ex­clusion et les inciter ainsi à trouver des textes plus conformes à leurs besoins.

2. L'exposition de modes de vie trop éloignés d'une réalité n'a pas le pouvoir d'aider à faire évoluer cette réalité.

3. La conscience d'une aliénation est préférable à la substitu­tion « littéraire » des valeurs jugées trop libératrices et cou­rantes dans la littérature pour enfants : autonomie, droit d'ex­pression, contact avec les adultes de qualité, reconnaissance de sentiments ou de désirs...

Et ainsi incarnée :

  • analyse d'un certain type de presse pour enfants,

  • analyse de la production d'une maison d'édition.

PRESSE ET LITTÉRATURE

Les B.C.D. se sont mises à explorer les productions des édi­tions Bayard, des éditions Milan et de l'Ecole des Loisirs. Les résultats de cette enquête ont été rassemblés, mais ils n'ap­portent pas encore, malgré le sérieux du travail réalisé, suffi­samment d'éléments capables de nous faire comprendre les résistances de certains lecteurs à des textes, la puissance d'exclusion de l'écrit.

Parmi les obstacles rencontrés, les adultes avouent n'avoir pas assez de compétences pour analyser eux-mêmes la pro­duction écrite.

L'AFL organisera donc trois journées de formation en novembre avec des éditeurs, des auteurs, des critiques litté­raires, des théoriciens qui nous aideront à aiguiser notre regard face à l'écrit, à lire entre les lignes.

Deux réussites

L'équipe de l'école du Lac a réalisé, en collaboration avec la bibliothèque municipale de la Villeneuve de Grenoble et la résidence des personnes âgées, une cassette vidéo sur la représentation de la vieillesse dans la littérature enfantine. Après cette projection, pleine de débats entrecoupés de cou­vertures et de pages de livres, on a envie de lire.

De son côté, l'école Colette d'Auxerre a produit des écrits très intéressants sur le même sujet. L'AFL envisage la diffusion de ces deux productions.

Quatrième objectif : le statut de l'enfant

Quelques B.C.D. se sont lancées dans la production d'un journal ! Des journaux, nous en avons tous connu : expression enfantine, compte rendu de la vie scolaire, panorama de la vie du quartier, du village ou de la ville, reflet des actualités locales et nationales.

Notre but se voulait différent. Comment, à travers un journal scolaire, pourrions-nous aider les enfants à prendre cons­cience du statut qui leur est fait, à le dépasser?

Les adultes présents ont tous évoqué le pouvoir qu'avait l'ac­tualité télévisée sur les enfants. Soumis aux images, aux slo­gans, aux commentaires, ceux-ci avaient du mal à se situer, digéraient les événements de manière insolite et se sentaient complètement impliqués dans une information qui, elle, ne cherchait pas à les concerner.

Nous avons donc décidé de créer des journaux qui feraient part des événements qui auraient le plus marqué les enfants; qui tenteraient de rendre clairs ces événements, qui incite­raient les enfants à les commenter en essayant notamment de leur faire prendre conscience de la place qui leur est réservée à eux.

Un journal d'opinion en quelque sorte.

Ce n'est pas facile, tant par l'organisation que ça demande dans l'école que de la prudence que ça exige. Nous en sommes là.

Très bientôt, nous serons en mesure de vous dire où nous en sommes par rapport aux nouveaux obstacles qui se dressent devant nous!

Pour le groupe B.C.D. 

Yvanne CHENOUF


* École Colette, Z.A.C. St Siméon, 89000 Auxerre. École de la Genolière, 44640 Le Pellerin.

École des Buttes, des Charmes, du Lac. Galerie de l'Arlequin, 38100 Grenoble.

École Pasteur, 95310 St Ouen l'Aumône. École Sommelweiss, 28100 Dreux.

École Prévert, 59650 Villeneuve d'Asq.

  1. Se reporter à l'Opération Lecture organisée par l'École du Lac (A.L, n° 3) et à l'article de Monique Eymard, « Ils lisent ou la vraie vie »

  2. Se reporter aux « Sept propositions pour développer la lecture »(A.L n°8)

  3. Vous pouvez envoyer à Y. Chenouf les cassettes où seraient enregistrés des débats contradictoires sur des livres, débats concernant des adultes et des enfants.

  4. Se reporter à l’article de S.Teillard dans les A.L n° 13 « Suivez Lector »