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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°17  mars 1987

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note de lecture

CE QUE JE PENSE
François RICHAUDEAU
Éd. Retz

François RICHAUDEAU vient de livrer, aux éditions Retz, un recueil de notes et de réflexions, « Pièces en vrac d'une mosaïque dont le lecteur pourra peut-être reconstituer le motif... ». Ce petit livre est une mine de raccourcis et de clins d'œil pour tous ceux que les «mille ans de retard des méthodes scolaires» de lecture préoccupent... Quelques citations pas tout à fait au hasard.

« Complexité

L'esprit humain préfère la complexité à la simplicité. Même celui du jeune enfant.

Ce sont les scientifiques et les pédagogues cartésiens qui prétendent le contraire. Et se (nous) trompent.

Cube

Quand on me présente un cube, je pense et je dis "cube". Sans avoir à compter le nombre d'arêtes ou de faces. Instan­tanément. Et cela déjà quand j'avais 4 ans. Mais l'on voudrait que cet enfant de 4 ans - et qui ne sait pas encore compter jusqu'à 6 - ne lise "cube" qu'après avoir perçu et enregistré chacune de ses quatre lettres. Malheur de Descartes... et des pédagogues cartésiens.

École

Son péché : Croire que ces jeunes enfants sont moins intelligents et moins précoces (Piaget) qu'ils le sont. 
Sa réussite : Parvenir à les rendre conformes à cette vision et, de la sorte, prouver qu'elle a raison.

Harlequin

Des romans fabriqués à la chaîne: tous pareils; prototypes des textes que pourra bientôt cracher un ordinateur! Je les ai lus: il y a autant de variétés d'écriture entre dix d'entre eux qu'entre dix des titres d'une très sérieuse collection de sciences humaines. Mais il faudrait que les censeurs méprisants les aient lus (d'ailleurs ont-ils lus les ouvrages sérieux qu'ils encensent?)

Car c'est probablement dans le domaine de la critique litté­raire sociologique que les préjugés sont les plus pesants, appuyés sur les recherches les plus légères.

Langage et pensée

Je sais ce que je veux dire ici. Mais pas comment je vais le dire : dans un langage simple ; ou avec les mots du jargon linguisti­que ; sous une forme directe, poétique... ?
Autants de vêtements différents : ordinaires, snobs, fonction­nels, brillants... mais sur le même corps: un corps de pen­sées.
Des parures qui - si le corps était absent - ne seraient qu'un petit tas informe de chiffons.
C'est ma pensée qui existe. Je puis penser indépendamment des mots. Je ne puis aligner des mots sans une pensée.

Mépris des autres

Le sentiment le plus fréquent (et lucide) que l'on découvre et ressent après un grave échec.

Oral

On peut entendre, écouter avec plaisir, la lecture à haute voix, d'un texte écrit.
On ne peut pas lire silencieusement avec plaisir- vraiment lire - la transcription d'un texte oral.

Regrets

Comme j'ai été prudent dans mes précédents livres sur la lec­ture, la lisibilité, l'écriture...
En espérant ainsi la considération d'un certain establishment.
Naïveté ! 
Mais en me privant sans doute d'une adhésion plus humaine et plus profonde des autres.
Solitude ? »

Jean Foucambert