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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°17  mars 1987

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UN SECTEUR FORMATION À L'AFL ?

Un secteur « formation » à l’AFL. Nous l’avions annoncé dans les numéros précédents et le programme d’activités était encarté dans le n° 16. Marie-France FREY en présente maintenant les objectifs et la philosophie géné­rale et Jean Foucambert, après un rapide historique des pratiques pédagogiques dans les actions d’alphabétisation, essaie d'illustrer ce que pourrait être une pédagogie de la lecture qui, en rompant avec l'étude du code de correspondance oral-écrit et même avec l'approche fonctionnelle des « écrits de marquage », intègre les non-lecteurs « dans les réseaux et les raisons de la communication écrite ». Car seule cette intégration justifie et rend possibles les acquisitions techniques.


Pourquoi un secteur formation vient-il aujourd'hui se rajouter aux activités de l'A.F.L ? S'agit-il de déve­lopper une structure de plus, de créer des emplois dans une période de chômage, de développer des produits de formation performants... bref de se placer dons une logique de concurrence sur le marché de la forma­tion, en profitant que la demande soit faite, et que, effet médiatique oblige, l'A.F.L. tente une percée... au bon moment ?

Que l'on se rassure, s'il en est besoin ! Il faut plutôt lire le démarrage de ce secteur formation dans l'évolution naturelle, « obligée», de l'association, et l'inscrire dans une suite logique :

  • du travail des militants des groupes locaux pour le développement d'une politique globale de lecture,

  • de l'élargissement du champ de la recherche,

  • de l'accompagnement nécessaire des produits informati­ques ELMO, ELMO 0 depuis peu dans les centres de forma­tion.

LA FORMATION, PROLONGEMENT DU TRAVAIL DES MILITANTS DANS LES GROUPES LOCAUX

« Toute politique de lecture commence par la formation des formateurs ! » Cette affirmation n'est pas nouvelle à l'A.F.L ! Des pratiques de formation se développent - dans, et hors secteur école - qui réunissent des groupes hétérogènes d'en­seignants, de parents, d'éducateurs, d'élus. Un travail de sen­sibilisation, d'information, de réflexion et d'échanges sur l'état de la lecture - et de sa pédagogie - a déjà donné lieu à des propositions de stages, s'adressant à des enseignants dans le cadre des Missions Académiques à la Formation des Per­sonnels de l'Éducation Nationale, des CEFISEM et des Écoles Normales.

Toutes ces tentatives ont l'intention de promouvoir la lecture comme une «affaire communautaire». Mais si la lecture, c'est l'affaire de tous, elle ne peut rester l'affaire seule de l'école, on en est bien d'accord!

Et la question se pose alors des conditions et des moyens de la déscolarisation de la lecture. Étendre les politiques de lec­ture à l'ensemble du corps social, et notamment toucher les milieux traditionnellement exclus de l'accès à l'écrit, c'est développer des pratiques de formation dans les entreprises, les bibliothèques, les centres de loisirs, les associations de formation, etc.

Mais quelles formations ?


ATTENTION DANGER !

La dérive viendra si ce secteur fonctionne dans une logique d'offres de produits d'une entreprise en développement, pro­duits de formation à destination de personnes isolées, de groupes homogènes par leur appartenance d'âge, de sexe, de nationalité ou de catégories socioprofessionnelles.

Il est vrai que les propositions de formation contenues dans la « plaquette » formation s'adressent à des publics regroupés parfois selon l'un de ces paramètres : soit parce que les dis­positifs de formation existants sont conçus comme tels (exemple : le dispositif de formation migrants, le dispositif jeunes 16-25 ans, le dispositif chômeurs longue-durée), soit parce que les habitudes sont fortes de réunir, sur un même lieu de travail ou sur une ligne budgétaire, des employés de municipalité, des personnels de bibliothèque, des formateurs migrants ou des salariés d’une entreprise. 

Il est donc indispensable de favoriser, chaque fois que possi­ble, des pratiques de formation interinstitutionnelles qui, d'une part permettent des cofinancements, la confrontation de publics d'origine institutionnel et de statuts divers, et d'autre part, ont des effets sur les interrelations entre les lieux de tra­vail, de formation, de loisirs, géographiquement proches.

Mettre ensemble des réseaux, c'est aussi une des sept propo­sitions de l'A.F.L.

L'A.F.L., un moyen pour ceux qui sont déjà lecteurs, de développer leur savoir-lire grâce à des outils informati­ques performants ?

Inquiétude légitime pour tous ceux qui travaillent depuis long­temps dans la perspective d'une démocratisation de la lec­ture, sur les conditions réelles de l'accès à l'écrit du plus grand nombre en France.

Il ne s'agit pas, pour le secteur formation, de lancer des sémi­naires de lecture rapide pour des cadres. Mais il est important de toucher, dans les entreprises, tous les salariés - décideurs y compris - concernés par la lecture. L'enjeu des formations-­lecture est de taille, aujourd'hui, dans le cadre de la formation en entreprise mais qu'il n'y ait pas de malentendu ! Il ne s'agit pas de développer des modules de quelques heures, de lec­ture fonctionnelle, dans le sens d'une adaptation au poste de travail, avec les écrits techniques ou professionnels qu'il pré­suppose : mais bien plutôt de proposer aux salariés une for­mation qui développe une plus grande maîtrise des situations de travail, une plus grande compréhension du processus de production (et de sa transformation) et ce, par le biais, notam­ment, d'une formation-lecture. En effet, les salariés ont besoin de comprendre beaucoup plus que le fonctionnement des machines pour pouvoir intervenir dessus. Ces activités de dis­tanciation, de théorisation de sa situation de travail sont liées autant comme causes que comme conséquences à l'exercice de la lecture et du rapport à l'écrit. Développer son savoir-lire en participant aux changements technologiques, aux restruc­turations de l'entreprise, c'est élargir sa culture technique, c'est aussi prendre du pouvoir sur sa situation de travail. La formation en entreprise, conçue comme accompagnement des transformations technologiques, des transformations des situations de travail, c'est aussi l'affaire de tous les responsables, les salariés, les partenaires sociaux.


ET LA RECHERCHE ?

Recherche et formation sont liées dans un rapport d'auto-­alimentation nécessaire. Ce n'est pas nouveau! L'habitude est ancienne de renvoyer dos à dos le praticien noyé dans son quotidien rempli des contraintes de celui qui fait (et qui ferait, le plus souvent en aveugle) au chercheur technicien terrorisant qui dirait, écrirait des modèles impraticables.

L'idée simple, et pas bien nouvelle, serait de rechercher les situations de partenariat réel, dans des démarches de recherche-action où chacun mobiliserait toute l'intelligence de sa pratique...

  • d'où l'envie de privilégier des regroupements d'analyse de pratiques de formation, des expérimentations dans des contextes très différents (lecture intégrée dans des formations agricoles, lecture dans le secteur petite enfance, lecture dans des formations de personnels faiblement qualifiés, salariés de municipalité...) ;

  • l'envie de multiplier les occasions de savoir comment lisent les Français, grands et petits, travailleurs ou chômeurs..., de regarder de plus près les raisons de l'illettrisme, du non- par­tage de l'accès à l'écrit ;

  • et l'envie, aussi, de participer à la réflexion - et à l'évalua­tion - des dispositifs de formation continue dans lesquels le rôle et l'enjeu de la lecture ne sont pas toujours clairement définis.

Si l'A.F.L. est en grande partie issue des écoles expérimen­tales de l'I.N.R.P., ce n'est pas un hasard. Ses propositions en lecture sont des conséquences, dans un domaine particu­lièrement sensible, de perspectives précises de transforma­tion globale du système éducatif. Dans les divers domaines de la formation des adultes, on continue trop souvent de fonc­tionner pour répondre aux demandes, sans que s'élaborent des perspectives nouvelles de transformation.

Et tout ce qui touche la lecture des adultes est marqué par la difficulté de définir les actions dans le cadre d'une politique globale. Si la lecture est bien l'affaire de tous, l'A.F.L. peut difficilement être absente du travail d'un réseau d'innovation qui devrait jouer un rôle semblable à ce laboratoire des écoles expérimentales qui lui a permis d’être ce qu’elle est.

ET PUIS IL Y A LES OUTILS !

Depuis quelques années, les logiciels ELMO et ELMO 0 sont diffusés dans des établissements scolaires, dans des struc­tures de formation continue, des bibliothèques.

Et le petit diable dirait... qu'ils sont parfois restés dans les pla­cards, parfois utilisés comme une méthode de lecture rapide. Et c'est vrai qu'il n'est pas facile d'intégrer un outil complexe dans une démarche de formation : les convictions n'y suffisent pas !

Le risque de dévalorisation de l'outil est grand si aucun dispo­sitif d'accompagnement n'est mis en place, et si les équipes de formateurs n'ont pas la possibilité de reprendre à leur propre compte les référents techniques et les positions péda­gogiques qui ont présidé à sa création. Il s'agit donc là de mettre l'accent sur les démarches de formation, les conditions favorables à l'amélioration du savoir-lire mais aussi de rencon­tres avec les écrits que l'on a besoin de lire. Gageure pour une grande partie du public concerné, exclu des circuits de pro­duction, des pratiques sociales du citoyen... exclu d'une grande partie des écrits diffusés aujourd'hui si largement.

En retour, l'A.F.L. compte bien que les utilisateurs d'ELMO ouvrent des champs nouveaux à la recherche, qui aboutissent à la création de produits complémentaires (des instruments d'évaluation par exemple...) : un outil est vivant s'il s'enrichit de chaque expérimentation; et ce serait le banaliser que d'en imaginer un fonctionnement identique auprès des publics dif­férents.

Comment aller plus loin ?

Avec la complicité et la vigilance de tous les acteurs A.F.L, il s'agit maintenant de multiplier les actions de formation de for­mateurs, d'expérimenter des formations dans les lieux très divers..., il s'agit surtout que les militants soient bien les acteurs de ces formations, que l'on capitalise ces expérien­ces, que l'on continue à inventer.

Marie-France FREY