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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°17  mars 1987

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LE POINT DE VUE D’UN CRITIQUE :

DANS L’EXERCICE DE MES FONCTIONS…


« Vous me demandez ce que j’appelle une bonne littérature pour la jeunesse. Un récent questionnaire, transmis par le Centre de Recherche sur la Littérature de Jeunesse, pose la même question à tout le « Gotha » du livre pour enfants (dont je fais partie, apparemment…). J’ai sorti ma vieille machine à écrire (c’est finalement plus snob qu’un banal écran avec imprimante) et me suis donc interrogée en me posant les questions suivantes :

  • Comment abordes-tu la littérature jeunesse dans ton travail ?

  • Comment choisis-tu les livres que tu souhaites « promotionner » ?

  • Quels sont les lieux que tu sollicites pour t’informer sur la production ?

  • Quels sont les critères qui te guident dans tes relations au « Gotha » ?

  • Quel type de productions(s) aimerais-tu trouver ou conseiller aux éducateurs ?

  • Enfin, quelle démarche serait la tienne pour sélectionner des livres ? »


Voilà la quatrième année que je suis à Rouen, chargée des P.A.E, pour les écoles, les collèges et les lycées. J'ai été responsable pendant trois ans de la commission aca­démique lecture-écriture. Cette année, une nouvelle répartition des fonctions fait que, en tant que Conseillère

technique pour les P.A.E, auprès de l'Inspecteur d'Académie de la Seine-Maritime, le territoire d'intervention est réduit mais le champ d'action élargi à toutes les pratiques culturelles.

Depuis quatre ans donc, mes interventions se situent dans le sec­teur de la formation, de l'animation et de l'Information. C'est hors Éducation Nationale que l'aspect recherche et formation per­sonnelle a pu (dû) se mettre en oeuvre.


RÉPONSES A MA QUESTION N° 1

Je pourrais être entièrement ignorante de la production édito­riale pour la jeunesse et organiser, comme cela a pu être fait, des rencontres entre les enseignants et les professionnels de la diffusion et de l'édition. Il suffit de solliciter les organismes spéciali­sés, de préférence, et logiquement ceux qui habitent dans la région. Il y a à cela de nombreux avantages puisqu'ils devien­nent partenaires réguliers, que leur investissement est à long terme et que leurs interventions peuvent se démultiplier à la demande du «terrain». Nombreux sont ceux qui ont déjà répondu aux sollicitations réitérées de l'« Action culturelle en milieu scolaire » : bibliothèques municipales, écrivains, illustrateurs, poètes, librairies, centres documentaires, associations spéciali­sées en lecture, en B.D., en ateliers d'écriture, en littérature de Jeunesse, en presse écrite, en radio,... et ce, à tous les niveaux.

Quels seraient alors les obstacles à surmonter?

  • Comment accueillir les propositions des uns ou des autres dans le domaine de l'édition? Comment s'informer sur les innovations, les initiatives nouvelles et « différentes »,

  • Puis-je compter sur les outils d'animation et d'information des partenaires? Conviennent-ils aux besoins des enseignants et leur parviennent-ils?

  • Comment faire émerger un projet commun alors que tous les partenaires ont des orientations variées?

  • Comment répondre aux demandes des enseignants et docu­mentalistes et conseiller tel illustrateur, tel écrivain, tel éditeur peu connu du grand public?


Ce qui revient à dire que sans information sur le monde de la création, de l'édition et de la diffusion, il ne me paraît guère pos­sible de mettre sur pied des actions de formation et d'animation et que si je veux favoriser le développement de la diffusion de la littérature de jeunesse je dois la connaître aussi. Ou sinon avoir quelques contacts privilégiés qui débroussailleraient le terrain et me guideraient vers l'essentiel,

Ce qui me conduit tout droit d la deuxième question,


COMMENT CHOISIR ?

II est clair que je ne peux maîtriser toute la production. Et pour être franche, celle-ci n'est pas si enthousiasmante qu'elle mérite d'être consultée dans son ensemble... (Voilà comment on se fait des amis…)

Quel est le matériel de références à ma disposition et quels sont les lieux où je peux trouver ce matériel ? Ici, il y a la revue de la Joie par les livres. Là, il y avait Trousse-Livre, mais il n'y a plus Griffon, au C.R,D.P. il y a Livre-Hebdo. Il y a, principale source d'information, les catalogues d'éditeurs, reçus (merci). Par ailleurs il y a le rayon de ma librairie préférée mais ce n'est pas si aisé de le consulter régulièrement sans en acheter quelques miettes... Globalement, rien qui ne soit vraiment satisfaisant tant il est vrai que l'information ne prend sens que si elle naît du croisement de plusieurs « messages » et d'autre part, également, si l'on connaît déjà la plus grande partie du message délivré : il faut que le lecteur soit « en phase » avec le locuteur du message pour l'en­tendre.

C'est là la principale difficulté. Nulle part je ne trouve et ne peux trouver dans l'état actuel des pratiques de la critique les sélec­tions qui me sont nécessaires. Pourquoi ? Parce que, d'un côté, il y a une critique qui ne regarde que les écrits (et qui les regarde partiellement) ; de l'autre, il y a des praticiens de la lecture qui travaillent sur la maîtrise technique et sociale de la lecture.

Situation qui conduit à consulter des sélections faites par des per­sonnes dont on ne connaît pas l'investissement social et culturel (comme dans la revue Griffon). «D'où tu parles, toi ? », ai-je envie de demander à Catherine LELEU ou à Martine DESCOUENS ? Idem pour la revue de La joie par les livres, car il ne suffit pas d'être bibliothécaire pour être identifié(e) dans ses choix péda­gogiques et de société.

Pour être honnête, c'est encore dans le catalogue des éditeurs que je me retrouve le mieux; j'ai acquis une connaissance qui n'a pas à être modulée tous les matins! Dans leur désir de « ven­dre » leur produit, ils se livrent à fond dans leurs intentions et j'orga­nise ma lecture en fonction de chaque éditeur. Une sorte de pacte, selon Jean-Claude PASSERON, le pacte qui naît d'une longue fréquentation, évidemment, mais surtout d'une clarté dans le message.


LE « GOTHA

Là où je puise aussi mes renseignements, c'est, à l'occasion, auprès de « personnes » qui ont le suprême mérite de livrer leurs « clefs ». Ils sont rares, car chacun a plutôt tendance à utiliser le charme ou à pratiquer l’œcuménisme. J'évoquerais François RUY VIDAL, Raoul DUBOIS, Bernard SPIN, Christian BRUEL, Nicole MEY­MAT, Isabelle JAN, Jean FABRE, Gisèle BIENNE et Jacques CASSA­BOIS… qui me semblent pratiquer une clarté d'intention et une honnêteté évidentes. Et pour clore la liste de mon centre de res­source perso, je citerais aussi deux bibliothécaires qui « savent » me renseigner, Bernadette FROSTIN et Françoise LEGENDRE. Qu'ont donc en commun toutes ces personnes qui me satisfasse dans leur communication ? Ils disent ce qu'ils cherchent et pour­quoi ils le cherchent. Car finalement à quoi sert un livre ? Et pour­quoi chercherais-je à signaler tel ou tel écrit ?

Je n'ai finalement que peu de contacts avec les organismes dont la vocation serait de m'informer : C.R.I.L.J., Joie par les livres, Astéroïdes, PROMOLEJ qui se crée actuellement car ils ne m'ont pas encore livré leur identité. De loin en loin, je lis leurs bulletins, les listes qu'ils publient et utilise leurs services comme les « malles » du C.R.I.LJ. et les vidéos de la J.P.L mais en dernier recours.

UNE SÉLECTION POUR QUOI FAIRE ?

Partant du principe qu'aucun écrit n'est en soi, parfait, mais que cet écrit prend du sens dans un projet, je tenterais aujourd'hui une démarche de recherche, en situation, dans le cadre d'un projet vraiment défini, où les objectifs seraient réellement préci­sés. Chacun aura constaté que plus la recherche est pointue (exemple : la souris dans la littérature de jeunesse) plus on découvre de variables, et plus on tend vers une meilleure analyse des objets. Il s'agit dans ce type de démarche, de ne pas se reposer sur une personne qui opérerait une sélection avant l'ac­tion, mais d'associer tous les partenaires de l'action à la recherche des écrits.


Du coup, les sélections faites par des organismes ou des per­sonnes prendraient du sens si leur classification par thèmes, par mots-clefs, par genre existait. La revue Trousse-Livre était encore ce qu'il y avait de mieux dans le genre ! Un thème, une sélection éclairée par des articles et par des comptes rendus d'expé­rience.

Aujourd'hui encore, m'intéressent les présentations et sélections d'ouvrages, faites collectivement, par des groupes qui explicitent les pourquoi de leur recherche, les pratiques autour des livres. Le travail, conduit par Michel EYMARD et les enfants de sa classe, à Grenoble, avec des personnes âgées de la résidence, sur le thème de la vieillesse est un exemple parfait de ce que je souhai­terais voir figurer dans mon guide de la littérature pour la jeu­nesse. Idem pour le travail fait avec des enfants d'Auxerre sur le roman policier.

L'aide essentielle qu'auraient alors à apporter les organismes spécialisés, c'est un apport méthodologique, avant, pour guider les équipes dans leurs recherches, après pour les amener à une évaluation et à une communication sur leurs pratiques.


Aides sur l'analyse des contenus et des formes. Quelle revue, (quel organisme) ferait ce travail ? PRATIQUES ou les C.R.A.P., peut-être ?


Aides sur les recherches documentaires (tous écrits confondus): l'A.D.B.A.R pourrait y aider. Aides sur la pédagogie de projet de l'évaluation. Pourquoi ne pas solliciter l'Éducation Nationale qui a créé des outils sur l'exploitation des P.A.E.? Pour conclure, je ne pose pas la question de que choisir ? mais pour quoi faire choix et pour quelle action de communication, de production, d'apprentissage, de recherche, de plaisir... de vie.

C'est sans doute une déformation professionnelle ou plutôt c’est l'enseignement que je tire des Projets d'Actions Éducatives, supports qui ont participé à l'entrée effective de la littérature de jeunesse dans les écoles et collèges, à partir de projets explicites.

MANUELLE DAMAMME (intervention à un stage B.C.D. de l'I.N.R.P.-A.F.L.)


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GRILLE D'ANALYSE


Ceci est un outil pour commencer une réflexion plus approfondie. Cette proposition est née après le tra­vail de deux groupes lors d'un stage regroupant des bibliothécaires, animateurs d'associations, parents et enseignants et animé par Bernadette FROSTIN et Manuelle DAMAMME.


I. APRÈS LA LECTURE (impression générale) :

  • L'adulte est-il interpellé par le livre ? Si oui, pourquoi ? Comment ? Met-il en évidence les problèmes qui le préoccupent directement ? Voit-il une possibilité de dialogue avec l'enfant ?

  • Imagine-t-il que le livre pourrait être pour les enfants comme pour lui séduisant ou rébarbatif ? Pourquoi ? Le livre lui parait-il sécurisant, dérou­tant questionnant, informatif, etc. ? Décèle-t-il un discours ou un message direct ou faut-il d'autres lectures ? Déceler les interrogations, les ambiguïtés, les non-dits ? Quels avantages trouve-t-on à des lectures ?

  • Du texte ou de l'image, quel support dominant ?

  • Dégage-t-on d'emblée une bonne relation texte-image ?


II. ANALYSES PLUS PRÉCISES

  • Le sujet :

Sans faire un compte rendu et sans raconter l'histoire, peut-on dégager des mots-clé de type : racisme, solitude, famille, révolution, quête d'identité, etc.

  • Le genre de livre :

Quelle est la forme utilisée ? Conte, fable, fiction, aventure, policier, his­toire morale, histoire réaliste, roman, poésie, etc. Quel apport le genre utilisé apporte-t-il spécifiquement ?

  • L’écriture du livre :

À propos du langage, du style, du vocabulaire. Repérer : la difficulté, la facilité, la richesse, la forme constructive (linéaire ou plus complexe), les apports plus humoristiques, le didactisme ou le discours.

  • L'histoire :

Que véhicule-t-elle ? Que sous-tend-elle ? Quelle est sa dimension affec­tive, sociale de communication, d'internationalisme, d'individualisme ? Les valeurs véhiculées par l'histoire sont-elles d'ordre positif ou négatif ? (en sachant que) une transgression peut être du positif ou du négatif suivant la façon dont elle est abordée.

En quoi facilite-t-elle l'expression des fantasmes de l'enfant ?

Exemple : Son désir de tuer, de partir, de mourir, de nouer l'existence de tout ou parti de son corps ou au contraire, de mettre en valeur telle pulsion ou tel désir.

Quelle est la véracité de l'histoire racontée ?

Qui est l'auteur de l'histoire : un individu, un collectif, quelles sont les autres oeuvres?

  • L'illustration

Les mêmes questions sont posées pour l'illustration que celles précé­demment signalées pour l'histoire ou si possible une mise en relation de l'image aux différents courants graphiques et culturels repérables :

- surréalisme, naïveté, cinéma, etc.

  • Le rapport illustration-image:

- Y a-t-il un pléonasme ? Dédramatisation d'un support par rapport à l'autre ou apport complémentaire ?

- Format, qualité technique, solidité, rapports, qualités précises, etc., sont les dernières questions à se poser par rapport aux livres..

  • Impression finale à dégager

L'utilisation possible du groupe devant peut-être imaginer s'il s'agit de livres à faire prendre en compte par l'école ou parles lieux d'animations collectives.