La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°52  décembre 1995

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Hommage à Claude Boujon 

On a volé Claude Boujon !

Le bon petit orgre nous a annoncé que la grosse bête noire  a mangé Claude Boujon.
La fée Tignasse n'en croit pas ses cheveux. 
Verdurette a perdu son prince charmant.
Les escargot n'auront plus d'histoire.

 

 
C'est drôle, on n'arrive pas à faire triste avec la mort de Claude Boujon. Ni à s'appesantir.
Je ne peux pas dire que j'aimais follement ces livres mais le bonhomme, lui, m'avait appris à les regarder.
Ancien dessinateur chez Pif, il plaçait cependant son principal intérêt dans la peinture : "Les histoires pour les enfants, vous savez, c'est pour qu'ils s'amusent tout en réfléchissant sur la vie." On retrouve là la conclusion d'Un beau livre :

"Les livres, c'est très utile.
- Il faudra en trouver un autre, dit Victor.
- Oui, un gros, bien solide, avec de belles histoires dedans." conclut Ernest.

Claude Boujon était venu un jour à l'AFL, plus intéressé par notre manière de travailler que par l'entretien sur son propre travail. Et puis, il est reparti, comme ça. Sans s'appesantir... J'ai, depuis, perdu mes notes. Pas de traces, juste des instants. Boujon n'est décidément pas doué par la postérité. Juste pour les souvenirs.

Yvanne Chenouf.
 
 
 
 
Ils voient des Claude Boujon partout...
Les enfants de Grande Section dont j'avais la charge m'avaient demandé de questionner Claude Boujon que j'allais rencontrer peu de temps après.
En effet, ils étaient intrigués par la silhouette au sourire carnassier de la dernière page de Musique : qui donc se marrait en catimini pendant que les souris dansaient ?
- C'est moi qui me moque de moi-même.
Quelle phrase énigmatique pour des enfants de 5 ans !
Est-ce possible que l'on puisse être dans ses propres livres ?
Reprenant tous les albums, ils interrogèrent les sourires carnassiers et en conclurent que le bon petit ogre et tous ces renards ne faisaient que croquer la vie.
Thierry Opillard.
 
 

J'appréciais tant ses albums, la découverte des nouveaux titres me donnait si vite l'envie de les présenter à mes élèves que je me suis méfiée de moi et de lui. Sans le lui cacher. À Montreuil, en 1990, je lui demandais s'il travaillait consciemment pour les enseignants, en tenant compte de leurs attentes... Il se récriait gentiment, et je m'y attendais. "Je traite le problème qui me préoccupe" déclarait-il en d'autres termes. Des lapins, des renards, un singe à la queue cassée, des illustrations sobres, des histoires simples, mais jamais simplistes : mine de rien, il posait sur le papier les difficultés de la vie sociale. Un crapaud plus savant que sa sorcière, (parce qu'il lit), un lapin que le rêve rend héroïque, deux voisins qui ne supportent pas la proximité du terrier de l'autre attiraient les enfants dans les mailles de l'écrit, du plaisir de rire et de lire, et de la réflexion.

Mais pas seulement les enfants. Imaginez un stage de formation continue sur la littérature de jeunesse et un groupe d'instituteurs de cycle 3 dépouillant de nombreux albums de Claude Boujon. Ils avaient affiché les différents personnages dans la luxuriance de leurs désignations à la Boujon, jubilant de cette langue facile et intelligente, moqueuse et distante, cruelle et séduisante. Ils découvraient un système de désignation différent pour chaque album, la richesse de l'un était multipliée par le nombre des autres. Ils découvraient les trésors cachés d'une écriture qui pourrait laisser les traces chez de futurs producteurs de textes. Ils lisaient et relisaient des textes qu'ils avaient cru lire.
Croqueur de dessins, Claude Boujon était aussi un bon croqueur de mots.
De l'enfant au livre pour son plaisir propre et du livre à l'enfant, double plaisir grâce à la médiation de l'adulte.

Dommage qu'une telle réussite soit si brutalement interrompue. Hommage !

Annie JANICOT.
 
 

 
Les enfants de ma classe aimaient ses personnages auxquels 
ils pouvaient s'identifier :
- Verdurette, la grenouille, cherche le Prince Charmant,
- le Cousin Ratinet, différent mais accepté après une dure épreuve,
- la Sorcière Ratatouille veut être la plus belle et ressembler à une image de magazine,
- les deux lapins (La Brouille) ne se supportent pas mais s'unissent face au danger et apprennent la tolérance.
Avec des histoires simples, de tous les jours, illustrant la différence, l'amitié, l'acceptation de l'autre, des textes drôles, émouvants, un graphisme dépouillé, les livres de Claude Boujon nous ont accompagnés tout au long de l'année.
Dominique DUFOUR.
 
 
 
 
 
Au cours d'une correspondance avec ma classe, Claude Boujon nous avait écrit : "Quand vous pensez que mes lapins sont beaucoup humains, c'est un grand compliment que vous me faites. C'est qu'à mon avis, un bon livre, c'est celui où on parle de la vraie vie, des vrais gens, même à travers des personnages et des aventures qui ne peuvent exister que dans l'imagination".

Claude Boujon "se servait d'animaux pour instruire les hommes" mais il ne donnait pas explicitement la morale de ses fables. Et c'est en cela que la lecture de ses albums est une "vraie lecture" : la recherche de points de vue sur le monde permettant la confrontation avec les siens et avec d'autres.

A chaque nouveau livre se posaient donc ces questions : quelle histoire va-t-il encore nous raconter ? mais aussi et surtout : que veut-il nous dire et comment s'y est-il pris ? Car ouvrir un de ses albums, c'est bien sûr aller à la quête de sens, mais c'est aussi rencontrer une écriture. Celle de Boujon est généreuse, drôle, subtile et témoigne du respect que cet écrivain avait pour ses destinataires.

Gilles MONDEME.

 
? Y. Chenouf, T. Opillard, A. Janicot, D. Dufour, G. Mondémé