La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°52  décembre 1995

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LIRE, C'EST COMPRENDRE
ou l'ELMO Nouveau va arriver...

ELMO, qui fut à l'avant-garde, a paraît-il vieilli ! Toujours efficace, il est en réalité victime de cette injustice du temps : à ne retenir du poids des ans que les marques visibles on oublie les vertus cachées de l'âge. Toujours est-il que l'AFL s'est engagée dans le rajeunissement ! Les pages qui suivent sont donc consacrées à la présentation de ce "Nouvel ELMO". Ou plus exactement, à expliquer en quoi cette refonte - outre les modifications dont nous ne parlerons pas, évidentes et obligées, concernant son économie générale, son aspect, son ergonomie et sa convivialité - a été dictée par tout ce que nous évoquons ci-dessous et qui est le fruit de 10 années d'expérience en matière d'entraînement, de 10 années au cours desquelles nos conceptions de la lecture d'une part, de l'écrit support de l'apprentissage d'autre part, se sont affinées à la lumière de nos recherches sur la nature et la constitution des compétences des débutants quand l'apprentissage n'emprunte pas le détour de la voie indirecte.

 
 
I - La lecture.

Indépendamment des querelles sur l'apprentissage et les méthodes d'enseignement, il semble maintenant y avoir accord pour considérer que le lecteur expert emprunte ce qu'il est convenu d'appeler la voie directe et que les diverses opérations élémentaires auxquelles il se livre dans son traitement de l'écrit afin d'en tirer des informations sont caractéristiques d'un comportement particulier qui ne doit rien à celui requis par l'oral. 

C'est pourquoi on peut parler de bilinguisme. En effet, si l'écriture ne se réduit pas à un système de notation et d'encodage de l'oral, la lecture suppose la maîtrise d'un système langagier autonome, une familiarité avec les règles spécifiques qui le régissent, avec les éléments singuliers qui le constituent.

En d'autres termes, le lecteur utilise l'écrit pour ce qu'il est : un langage pour l'oeil. La lecture accomplie est un traitement automatisé d'unités graphiques permettant un accès direct au sens. L'activité de compréhension s'élabore à partir d'informations de nature lexicale organisées en propositions et en phrases elles-mêmes agencées en textes selon les règles de la syntaxe de l'écriture. Elle se déploie en fonction des intentions, des capacités cognitives et de ce qu'il est convenu d'appeler la "culture de l'écrit" du lecteur ; elle dépend des types de textes et de leurs niveaux de difficulté ; elle s'effectue dans les conditions qui sont celles de la lecture (flexibilité, vitesse modulée...).

Il ne vient à l'esprit de personne de distinguer, chez qui "connaît" une langue, l'écoute de la compréhension. À l'instar de celui qui comprend une parole - et qui entend non pas des sons mais une pensée - le lecteur voit une pensée. La complexité de ces exercices intellectuels sur le langage que sont l'écoute et la lecture est bien dans cette simultanéité inconsciente d'une activité perceptive et d'une construction mentale. Ce n'est que dans l'inaboutissement (l'incompréhension) que ces opérations se disjoignent et que la parole ou l'écrit redeviennent des assemblages d'unités sonores ou écrites. L'auditeur entend et le lecteur voit alors des signifiants et non plus des signifiés.

LIRE, C'EST COMPRENDRE. Ce n'est pas un processus préalable à la compréhension. On ne lit pas pour - ou avant de - comprendre. Il a semblé utile de le rappeler ici et on verra dans les présentations des séries d'exercices comment on s'est efforcé d'en toujours mieux tenir compte.
 
 

2 - Les écrits.

Un acte de lecture accompli ne peut s'exercer que sur un texte, c'est-à-dire un système signifiant complexe et autonome. Les travaux les plus récents sur la textualité et l'intertextualité ont conduit nombre d'enseignants à utiliser des textes complets et diversifiés comme supports à l'apprentissage de la lecture (Cf. Apprendre à lire avec des textes. Yvanne Chenouf. A.L. n°46, juin 94, p.76). Bornons-nous ici à rappeler que ce choix n'est pas dicté par le seul souci d'une fonctionnalité, mais que c'est par l'étude des différents types de textes que se découvrent " l'existence, le rôle et les relations de l'ensemble des éléments de la communication écrite, des modes de production et des usages sociaux des discours ".

C'est aussi par un commerce, dès le début, avec les textes et singulièrement les écrits pour la jeunesse que s'acquiert une connaissance de la production écrite. Connaissance des genres, des thèmes, des auteurs... mais aussi des relations qu'un texte peut avoir avec d'autres, connaissance qu'une aide appropriée permettra d'organiser en insérant chaque nouvelle lecture dans le réseau des lectures antérieures, créant progressivement une "culture de l'écrit", constitutive du savoir-lire au même titre que les autres compétences.

Or, aux critiques sur les textes composant la "bibliothèque" du logiciel actuel, il était souvent répondu : qui s'entraîne ne lit pas car les rapports à l'écrit qu'implique l'entraînement n'ont rien à voir avec les conditions de la lecture. L'entraînement a pour buts la prise de conscience et le développement de conduites qui devront être mises en oeuvre plus tard, ailleurs, dans des actes réels de lecture. Et d'évoquer les pratiques sportives (Un boxeur qui saute à la corde ne boxe pas, il développe dans des conditions autres que celles du ring une aptitude nécessaire à la boxe !). L'existence progressive de versions différentes du logiciel selon les publics destinataires (16/25 ans, adultes) a déjà prouvé que ce principe n'était pas si évident et intangible.

C'est donc par un renouvellement complet des textes qu'on s'est efforcé d'intégrer l'importance qu'il convient d'accorder à l'écrit sur lequel on s'entraîne, considérant que le fait de s'entraîner sur des écrits semblables à ceux qu'on sera appelé à lire ensuite ne sera pas sans effet sur la manière de les lire. Et même pour ceux qui continuent à penser que les textes sur lesquels on s'entraîne n'ont pas d'importance, cette actualisation sans importance pour l'entraînement a au moins le mérite de permettre, grâce aux informations qu'on y a jointes, une introduction à la lecture de la littérature de jeunesse. La "bibliothèque" du nouvel ELMO reflète donc la diversité des écrits et l'évolution de l'édition... les affichages des textes à l'écran avec leur iconographie sont de véritables fac-similés des pages des livres dont ils sont extraits... la mesure de la compréhension des écrits/tests va bien au-delà du contrôle de la mémorisation d'informations ponctuelles mais évalue la familiarité avec le type d'écrit proposé... des informations bibliographiques et des conseils sont annexés aux exercices et permettront cette mise en réseau indispensable des lectures à venir.
 
 

3 - L'entraînement.

Si la finalité des exercices n'a pas changé, leur déroulement a été modifié. Il s'est agi dans ce Nouvel ELMO et pour la plupart des séries d'apporter des aides multiples au cours de l'exercice jusqu'à ce qu'il soit réussi. Les informations sur les réussites et les échecs fournies jusqu'alors sous forme de "résultats" prennent l'allure d'évaluations et transforment peu ou prou les exercices en épreuves. De là sans doute cette fâcheuse consigne apparaissant régulièrement à l'écran : "Demande conseil à ton professeur" et l'injonction de consacrer beaucoup de temps à des séances de "théorisation". Non pas que ces périodes de réflexion sur la manière dont on s'y est pris deviendront inutiles mais l'intégration de conseils sous forme d'aides à l'effectuation dans le cours de l'exercice - aides que les progrès de l'informatique permettent de diversifier - et notamment l'introduction des "historiques" qui en restituent en l'explicitant le déroulement, sont assurément plus conformes à ce qu'on entend par entraînement. Grâce à ces aides, l'accomplissement des exercices est assuré et la progression se manifeste par un recours moindre aux aides.

Tous ces changements opérés feront assurément de ce logiciel un instrument encore plus puissant à la condition encore plus indispensable qu'il soit intégré dans une action cohérente et de longue haleine. Outil pour l'élève, il sera aussi une aide à l'enseignant ou au formateur engagé dans une politique de lecture tant reste vrai que " les séries d'exercices ne sont que des occasions privilégiées de faire prendre conscience de ce qui est mis en jeu lorsqu'on lit et qu'on lit bien et c'est cette prise de conscience qui est génératrice de progrès et non le gonflement mécanique d'habiletés partielles ". 
  Michel VIOLET