La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°55  septembre 1996

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ANALYSE DE TEXTES  
(ou une mine à exploiter)  

 

 
Pourquoi "Analyse de textes" ?

L'idée de départ de ce module d'ELMO 2 000 remonte au congrès de Strasbourg. À la suite de l'information donnée sur les possibilités de ce logiciel, une suggestion fut faite en référence aux pratiques recommandées depuis quelques années en lycée pour l'étude de textes littéraires : en faire une aide à la lecture méthodique... L'étude de documents concernant ce type de lecture fut convaincante : l'AFL décida de créer un module spécialisé. Suivit, après une phase de réflexion, un énorme travail de réalisation informatique, puis 4 années d'expérimentation. Celle-ci déborda rapidement le cadre prévu : des professeurs comprirent l'intérêt d'analyser non seulement des textes d'auteurs, mais les productions écrites de leurs élèves. Par ailleurs, des formateurs imaginèrent diverses applications : étude de projets permettant d'en dégager les présupposés, évaluation des écrits des stagiaires et de leur évolution grâce aux bilans du logiciel... C'est ainsi que Lecture méthodique prit le titre plus général d' Analyse de textes.


Que fait-il ?

Les menus du logiciel ont été décrits (A.L. n°37). Le texte peut être étudié globalement ou selon un découpage précisé. Son type (narratif, théorique, en situation) est recherché au départ d'après 27 variables définies par le linguiste Bronckart : emploi des pronoms-adjectifs, temps et modes des verbes, organisateurs de temps, de syntaxe, d'argumentation, modalisateurs (auxiliaire d'aspect, pouvoir, devoir, falloir), emphases, anaphores... On peut obtenir des relevés rapides sur le lexique (fréquence des mots, noms, verbes...), les structures syntaxiques, les indices d'énonciation, la fréquence de sons isolés ou regroupés. Enfin, à partir du dictionnaire analogique Robert sont définis par recoupements les thèmes et champs intervenant dans le texte. L'article du n°38 (ELMO 2 000, où en sommes-nous ? Denis Foucambert) donne des précisions sur les pistes de recherche en 1992. 

Des erreurs ou des résultats surprenants dans le domaine sémantique sont, on le comprend, inévitables étant donnée la complexité de la langue. Toutefois, Analyse repère avec exactitude au moins 95% des mots, et l'étude des "erreurs" peut avoir un grand intérêt. Elle est facilitée car les caractéristiques d'un mot, y compris les champs sémantiques auxquels il appartient, sont proposées sur simple clic de souris. 

Si l'on demande à visualiser un relevé, un tramage du texte le fait apparaître dans une couleur différente. Ainsi la répartition des éléments saute au yeux d'emblée. Ce phénomène a récemment enchanté une stagiaire travaillant avec des malentendants : faute d'écouter l'harmonie d'un texte, il pourront l'apprécier par le jeu des couleurs !  

Ainsi l'outil informatique peut éviter un long et fastidieux travail de relevés, et met à notre disposition une somme de connaissances utiles. Il s'arrête où commence le travail propre à l'homme : décisions sur le type de recherche à mener, interprétation des résultats, synthèse des procédés éclairant le texte, sa situation de production, ses présupposés, ses objectifs, sa part de non-dit... 


Que pouvons-nous en faire ?

Dans le dossier Recherches-actions (A.L. n°45) se trouve un article de Francine Mazières, spécialiste de l'Analyse des Discours qu'elle oppose à celle des contenus ; partant de corpus de textes pour observer les déterminations de la langue, ses "pré-construits", elle souligne l'intérêt de "délinéariser le texte", afin de travailler sur "un discours qui peut traverser un texte" d'intérêt politique, social, historique... Tout en reconnaissant l'intérêt de procédures automatisées pour le relevé de variables linguistiques, elle invite à la prudence : l'utilisation de l'outil influe sur les résultats, on va extraire UN sens, non LE sens, le retour au texte doit aller de pair avec l'interrogation de la machine...  

Des applications variées ont déjà été réalisées. Je rappelle rapidement plusieurs de celles qui ont fait l'objet d'articles dans les actes de lecture : 

- Exploration du dictionnaire d'un texte, permettant 

. un regard critique et objectif sur l'écrit : dans son article du n°38 (juin 92) Quelques usages d'Elmo 2000, Robert Caron évoque un travail mené avec des stagiaires du GREF, retraités de l'Education Nationale et désirant intervenir dans des pays en voie de développement : la comparaison des dictionnaires de deux groupes de textes, traitant les uns de l'Afrique, les autres de Bessèges, a permis aux stagiaires d'avoir ce regard critique, de découvrir "la face cachée de la technique d'écriture" 

. la mise en évidence de représentations : dans le n°45 (mars 93) Anne Mahé présente Analyse des écrits : une recherche sur les textes circulant dans un organisme de production s'avère révélatrice. Le dictionnaire, par la fréquence de "lecture", "texte", "écrit", et l'absence ailleurs que dans les titres et préfaces de "lecteur", "lire", "écriture", "écrire" met en évidence un intérêt porté aux objets plus qu'aux processus. De l'étude du contexte de ces mots se dégage une représentation de l'écrit comme transcription de l'oral (on "passe à l'écrit"), comme objet d'apprentissage et d'effort (avec insistance sur les difficultés rencontrées), jamais comme outil de pensée ou de théorisation...

- Lecture/écriture : pistes de réécriture après observation de textes littéraires 

Toujours dans son article Quelques usages d'ELMO 2000, Robert Caron montre, à partir d'un travail sur des portraits de Maupassant, comment le repérage de techniques de l'écrivain permet de réécrire ses propres textes avec la conscience des effets à produire, de "rendre le lecteur plus perspicace et l'écrivain plus sûr d'une technique enrichie " 
 

- Initiation à la lecture méthodique en lycées et collèges 

(Cf. dossiers Recherches-actions A.L. n°45 et 46) 

. Présentation par Denis Foucambert en mars 93 des premiers résultats et des méthodes de la recherche-action : enrichissement des relevés, exploitation des résultats, examen du dictionnaire pour dégager les objectifs d'un texte, confrontation des démarches de groupes travaillant avec et sans le logiciel, des relevés des élèves et de ceux de l'ordinateur... L'objectif est de développer les capacités d'analyse mais aussi le degré d'autonomie des élèves. 

. En juin 94 Yvanne Chenouf souligne les diverses difficultés rencontrées au cours de cette recherche : outre le manque de locaux disponibles et les problèmes liés au matériel, on se heurte à des questions d'ordre pédagogique : l'élève, qui devrait investir en effort d'interprétation le temps gagné sur les relevés, risque au contraire de s'y perdre. Comment peut-il maîtriser cette abondance, éviter les pièges de l'automatisme ? Ce danger, qui existe dans toute démarche de lecture méthodique, est d'autant plus grand que les relevés sont aisés à obtenir, rapides et variés.  
 

Et dans les écoles ? André Virengue, à Villeneuve d'Ascq, associe Analyse à Genèse du texte pour aider ses jeunes élèves à observer et améliorer leurs productions écrites. Récemment, à l'issue d'une présentation de logiciels à Bordeaux, un participant écrivait qu'Analyse de texte, dès le primaire, permettant de pointer des éléments sémantiques ou grammaticaux, pourrait être un support pour "jouer" à partir d'un texte sur les mots, leurs fonctions... un véritable outil d'apprentissage de la langue, très visuel. 

Le champ de recherche est donc largement ouvert, et c'est grâce aux idées et aux expériences de tous que pourra s'élaborer un panorama plus complet des utilisations. Souhaitons que l'atelier prévu au congrès y contribue activement.  
 

Marie Claude DOQUET