La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°55  septembre 1996

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LA BIBLIOTHEQUE D'ELSA...le nouvel ELMO  
 

Dans le numéro 52 de décembre dernier, un dossier de présentation du nouveau logiciel d'entraînement à la lecture, maintenant appelé ELSA avait pour titre L'ELMO nouveau va arriver. Songeant, au moment d'écrire ces lignes, à celui où elles seront lues, nous l'intitulerons ELSA est arrivé !

ELSA, Entraînement à la Lecture SAvante. Les pages qui suivent sont consacrées à sa "bibliothèque, à savoir plus de 350 textes extraits d'environ 250 livres et d'une trentaine de périodiques. ELSA, le nouvel ELMO, s'appuie sur la littérature jeunesse. 

La totale refonte du logiciel exigeait une économie générale moins austère et plus conforme aux nouvelles possibilités de l'informatique et des exercices tenant compte d'autres manières de concevoir l'entraînement. Sur ce dernier sujet, nous renvoyons nos lecteurs au dossier du n°52.

Mais cette refonte, c'est aussi le changement complet des textes sur lesquels on s'entraîne. Pour des raisons qu'il convient d'expliquer.

La première raison est née d'une désillusion. ELMO, le frère aîné d'ELSA, a été conçu au début des années 80, au moment où, la période de leur expérimentation se terminant, les BCD se multipliaient. On assistait à une généralisation encouragée par les textes officiels. Pour les auteurs d'ELMO - à l'origine des BCD, rappelons-le - les deux "outils" étaient complémentaires, liés par leurs objectifs et leurs usages, instruments d'une même politique. La BCD introduisait la littérature de jeunesse (fiction, presse et documentaire) dans les activités scolaires... ELMO répondait aux besoins que cette introduction faisait naître. " Il est temps de lire ailleurs et autrement (...) que dans les manuels et les livres de lectures suivies " écrivions-nous alors à propos de la première. " ELMO, remède miracle qui dispense de toute autre action se révélera probablement peu efficace " disions-nous du second. Les exigences d'une autre lecture donnaient, aux yeux mêmes des enfants, sa légitimité au logiciel et à l'entraînement sa fonction. La BCD était en outre le lieu désigné de réinvestissement des acquis de l'entraînement. La littérature pour la jeunesse que les deux permettaient de bien connaître trouvait ainsi une fonction sociale et propédeutique.

On sait ce qu'il en a été, bien souvent, de l'usage de l'un et de l'autre et de leur difficile association au sein d'une même pédagogie. Difficultés à rompre avec un fonctionnement scolaire assez incompatible avec les conditions d'un bon entraînement... réticences à introduire les écrits sociaux à l'école et méconnaissance de la production jeunesse. Les résultats d'une enquête rapide qu'on pourra lire plus loin montrent qu'il en est certainement de même aujourd'hui quant à la connaissance de (et au recours à) la littérature enfantine par les enseignants.

ELSA a donc, en partie, été conçu pour remédier à ce constat, en conjuguant 2 objectifs : perfectionner les stratégies de la lecture, utiliser la littérature de jeunesse et faire qu'ainsi puisse être davantage connue et utilisée, par l'enseignant et par les enfants, l'édition enfantine, des classiques les plus avérés à la production la plus récente.

Choisi par une équipe d'enseignants, de bibliothécaires, de chercheurs et d'enfants, l'écrit sur lequel on s'entraîne est issu de 215 livres écrits par 117 auteurs et édités par 48 maisons d'édition et de 31 journaux différents (magazines et presse quotidienne). La sélection fut difficile qui voulait substituer à des textes datés un ensemble réflétant autant que faire se peut la diversité d'une littérature ayant beaucoup évolué, moins conventionnelle et plus ambitieuse dans les sujets qu'elle aborde, dans sa manière de les présenter, dans sa représentation implicite de ses lecteurs. Qui voulait ne retenir que des textes suffisamment complexes (et non pas nécessairement difficiles !) pour permettre des entrées et des interprétations différentes, pour qu'on puisse les soumettre à un questionnement qui ne se limite pas à l'anecdotique et au factuel. 

Mais c'est une sélection... opérée par l'AFL... et on lira aussi dans ce présent "dossier" ce qu'en pensent des spécialistes de l'édition enfantine au regard de l'ensemble de la production disponible et ce qu'Yvanne Chenouf leur répond au nom de ceux qui l'ont faite. 

Autre innovation destinée à familiariser avec la production jeunesse : chaque texte apparaît sur l'écran de l'ordinateur comme un fac simile c'est-à-dire tel qu'il est mis en page et illustré dans le livre dont il est extrait. Il est en plus précédé d'une fiche d'identité (titre, auteur, maison d'édition, collection) et d'une reproduction de la couverture de sa dernière édition. Hors des exercices proprement dits, 180 livres sont cités en références et peuvent aider à une mise en réseau (selon leur genre, leur thème, etc.), base d'une lecture "littéraire", de tous les livres utilisés et des lectures à venir.

La deuxième raison résulte d'un autre constat, de nature différente, officiel celui-là puisqu'il ressort de l'analyse des résultats des évaluations ministérielles CE2/6ème (Cf. Quand se décidera-t-on à enseigner la lecture ? Jean Foucambert, A.L. n°54, juin 96, p.66). 21,4% des élèves de 6ème, y est-il indiqué, maîtrisent en lecture des compétences dites remarquables. Compétences qui ne sont remarquables que parce qu'elles ne sont précisément manifestées que par une minorité... mais qui, en réalité sont celles d'un authentique savoir-lire. Celles d'une lecture qui, dépassant la seule possibilité de comprendre un texte, en découvre l'implicite, les intentions et, à dire vrai, le véritable intérêt. 

Le terme SAvante dans le sigle du logiciel, indique que l'objectif d'ELSA est précisément d'aider au développement de ces compétences remarquables, de ce qui est essentiel dans la lecture. Lecture savante, donc... À l'aide de la littérature de jeunesse. Et nous revenons à ce qui nous occupe ici. 

Dans la présentation des exercices (A.L. n°52), nous notions que même ceux qui pensent que l'écrit sur lequel on s'entraîne n'a pas d'importance (les actes réels de lecture se faisant ailleurs et plus tard) conviennent que le fait de s'entraîner sur des écrits semblables à ceux qu'on sera appelé à lire ensuite ne sera sans effet sur la manière de les lire. Mais c'est surtout à travers le type de lecture et l'attitude distanciée par rapport aux textes qu'exigent les questions (et qu'induisent les "aides" à leur effectuation) notamment sur la nature et le fonctionnement des textes, les intentions de l'auteur, le statut du lecteur, etc., que peuvent se constituer une sensibilité aux processus et aux formes d'écriture, la capacité d'interpréter un texte au-delà de ce qu'il contient, une "culture de l'écrit"... c'est-à-dire les compétences qui semblent faire défaut à tant d'enfants. " C'est seulement parce que la lecture est posée d'entrée de jeu et tout au long de son apprentissage comme l'activité par laquelle se découvre l'implicite du texte que cette compétence va pouvoir se développer " rappelait Jean Foucambert dans l'article cité plus haut.

Cet appui sur la littérature enfantine ne signifie aucunement, de la part des auteurs du logiciel, une adhésion inconditionnelle à ce qu'elle est et qu'ils la considèrent comme une valeur intrinsèque, indiscutable et destinée à être promue. Mais ils n'imaginent pas non plus un perfectionnement de la lecture qui l'ignorerait. Robert Caron rappelle opportunément plus loin que la littérature de jeunesse, par les personnages qu'elle met en scène, les situations qu'elle présente, les sytèmes d'explications qu'elle avance, est une production socialement marquée et... bien souvent "politically correct" ! Ce qui justifie encore qu'un apprentissage à sa lecture soit mené, qui conduise certes à des préoccupations esthétiques mais surtout à l'exercice d'un sens critique et à l'examen des modèles qu'elle véhicule.