La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°55  septembre 1996

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LA FORMATION D'ADULTES 
(ou former à l'écrit).
 

C'est dans le cadre du FAS que l'AFL anime un stage de formation de formateurs d'adultes dont le nom est Choix des outils et des méthodes pédagogiques. Il s'agit de réfléchir avec des formateurs aux supports écrits qu'ils utilisent réellement et aux présupposés théoriques qu'ils contiennent. Analyses approfondies des supports (méthodes de lecture, manuels, exercices, textes écrits...), présentations des séquences dans lesquelles ils sont utilisés, productions écrites ou réécrites... tout ce qui est utilisé est passé au crible de grilles d'analyse qui permettent d'en sortir des éléments linguistiques objectifs. (1)

Un outil de formation

Pour un formateur d'adultes, aller voir comment est fait un outil, c'est s'assurer qu'on se pose les questions essentielles : qu'est-ce qu'apprendre ? qu'est-ce que lire ? qu'est-ce qu'un lecteur ? L'avantage principal du fonctionnement de ce stage est qu'il fait travailler les gens sur eux-mêmes, sur leurs travaux, sur leurs propres activités. C'est à la fois un travail de réflexion et de manipulation artisanale de matériau textuel. La théorie et l'action se rejoignent assez bien dans ces moments où la pratique des formateurs fait écho aux pratiques de l'AFL. Permettre de mettre en forme ses convictions personnelles, prendre comme base de travail le savoir-faire de chacun pour continuer à le développer. Les supports de lecture sont soumis à l'analyse. Les débats ont lieu, les idées sont exposées, discutées, réfutées parfois. Finalement, la plupart des formateurs s'en emparent vite pour finir par produire eux-mêmes des outils, des supports et des textes, témoignant combien il est important quand on est formateur "d'adultes de bas niveau" de savoir, dans certains cas, sortir des sentiers battus des méthodes toutes faites. Le travail sur des textes qu'ils écrivent eux-mêmes ou qu'ils prennent ici ou lA (presse, documentaire, récits, nouvelles...) apporte une variété plus grande dans les thèmes abordés, dans les types de textes rencontrés, dans les styles d'écriture observés. L'enjeu est important : la tendance alphabétique, on le voit dans la plupart des méthodes, est trop souvent d'accorder bas niveau de qualification avec bas niveau de l'écrit. Utiliser des textes authentiques qui soient à la fois variés et véritablement écrits, c'est se donner les moyens de contredire le statut qui cantonne le non-lecteur dans la non-rencontre avec l'écrit. La lecturisation

Ce type de formation prend bien évidemment sa source dans la volonté de l'AFL de remplacer la désuète alphabétisation par la lecturisation. Une réflexion sur les supports utilisés à l'écrit doit nous amener à nous demander si aujourd'hui, d'autres façons de mener le travail sur la lecture et l'écriture n'équivalent pas aux "bonnes vieilles" méthodes. De l'urgence affirmée de politiser le rapport à l'écrit des adultes analphabètes et illettrés - pas d'alphabétisation sans conscientisation affirme Paolo Freire -, à des pratiques pédagogiques qui la réalisent concrètement il y a un pas difficile à franchir. Comment le franchir ? Le congrès est un lieu où il est capital de regarder de plus près des expériences qu'on pourrait dire représentatives de la lecturisation. Dans et hors l'AFL, quelles sont celles que l'on peut mettre en avant ? 

N'hésitons pas non plus à puiser dans l'analyse sociologique (2) qui, depuis une dizaine d'années nous alerte sur les risques d'une lutte contre l'illettrisme qui reproduit un mode d'accès à une culture unique, sans penser un seul instant que d'autres savoirs et d'autres valeurs existent avec autant de force. L'ignorer, c'est imposer autoritairement la domination de la culture légitime. C'est au coeur de ce débat que se situe la formation d'adultes analphabètes et illettrés : vers quoi tendent les différentes façons de travailler l'écrit ? En d'autres termes, comme l'avait un jour formulé un formateur : "pour qui roule-t-on ?" 

(1) On trouvera dans la rubrique Formation de ce même numéro la présentation et l'analyse de ce stage. 

(2) La notion de pacte, J.C. Passeron.

La lecture la plus ingénument polymorphe des actes culturels, B. Pudal, Goffman, Stigmate.