La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°56  décembre 1996

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...DU PRODUCTEUR D'ÉCRIT.   
Des essais de mise en place d'une autre 
pédagogie de l'écrit arrivent à proposer des 
situations assez authentiques. 
 
   

PRÉ-TEXTE 

On écrit souvent, peut-être toujours, par obligation. Dans nos études, dans notre vie professionnelle ou privée, 
partout nous n'écrivons que contraints par une situation ou par un tiers. Cette "dictature pré-texte" ne freine 
en rien notre liberté d'écrivain, au contraire, elle la sollicite en secouant notre apathie graphique. Plus grave est 
notre "soumission textuelle" qui naît ensuite de notre incapacité à prendre le pouvoir, à déterminer nos propres 
raisons graphiques. Nous nous astreignons bien souvent à la rédaction des raisons des autres : nous faisons  "impression" au lieu de faire "expression". Quels que soient les motifs de notre servitude, nous nous réfugions dans la tranquillité d'être guidés. Cette activité dans l'absence du risque, se déroule d'autant plus sereinement que nous avons appris à la maîtriser. Le souci de la conformité a toujours été l'âme de notre éducation à l'écrit au point de frelater notre représentation de l'écriture. Peut-être arrivons-nous parfois à nous approprier un peu de ce "pouvoir d'écrire", mais jamais nous n'avons été enseignés à l'oser ; nous n'avons 
donc jamais appris à écrire. 

Exercice d'écriture

L'école, n'est pas plus critiquable que la société d'imposer le devoir d'écrire : l'apprenti ne va pas se mettre à écrire de lui-même, il faut donc d'un moyen ou d'un autre le "forcer". Le tort de l'école serait plutôt de se presser à définir une méthodologie, sans s'interroger suffisamment sur l'acte d'écrire. Alors, on confond souvent exercice et écriture. Les méthodes se justifient par l'évidence apparente que l'on ne peut aller que du simple au complexe. Il s'agirait donc d'entraîner l'enfant pour qu'il acquière des compétences bien définies et bien graduées et de faire le pari qu'il collera petit à petit les morceaux pour devenir plus tard un écrivain. 
L'apprenti perçoit l'exercice d'écriture comme une obligation institutionnelle à laquelle il se soumet ou non. Il a peu de chance d'en percevoir la finalité, à moins qu'il ne soit très au clair sur les enjeux de l'école. Il en saisit souvent les objectifs immédiats, même quand le maître ne les a pas clairement explicités. Mieux encore : l'élève ne se laisse pas tromper par le semblant de projet prétexté par son maître ingénieux. Il déploie parfois un zèle remarquable pour montrer les capacités demandées et obtenir la bonne note, les félicitations du maître qu'il considère comme l'effet légitime de son travail d'écriture. 

Il faut quand même reconnaître la cohérence de cette pédagogie. La planification, la détermination des objectifs, le déroulement, l'évaluation, tout ce système bien huilé, laborieux, fonctionne et peut afficher sans honte sa maîtrise, ses résultats en termes de progrès dans les compétences entraînées. Hélas, on constate que dans cette routine sécurisante, on apprend beaucoup de choses sauf à écrire. Les productions des élèves sont, dans le meilleur des cas, conformes aux attentes, mais décevantes. On sent bien que l'élève a fait son travail, mais l'enfant n'a pas écrit. Il y a fort à parier que les rares écrivains qui émergent d'un tel système sont des gens qui apprennent à écrire malgré l'école. Quant aux autres (et encore pas tous !), ils auront acquis quelques modèles "bien suffisants" pour répondre de façon conforme aux obligations ordinaires de la société. 

Pour autant, il ne faut pas rejeter l'exercice d'écriture, et savoir l'utiliser pour ce qu'il est : un entraînement destiné à développer des capacités défaillantes, un entraînement d'autant plus efficace que l'apprenti lui-même en aura déterminé le besoin. Pour cela, le futur écrivain doit se confronter véritablement à l'écrit : ce n'est qu'en écrivant qu'on apprend à écrire. 

Pouvoir d'écrire

Cette critique rappelle un certain langage sur "La manière d'être lecteur". L'apprentissage de la lecture a bien évolué grâce à lui. Hélas, l'apprentissage de l'écrit, reste à la traîne, comme s'il s'agissait d'un axe secondaire (réservé ?). On peut dire que la lecture est maintenant reconnue vitale pour tout le monde, mais l'apprentissage de l'écrit ne serait encore que "remarquable", et, pour le commun des enseignés, un auxiliaire destiné à mieux se "lecturiser". C'est une vision à sens unique qui tend à fabriquer de simples récepteurs d'écrits. L'écrit est un tout qu'il faut appréhender dans les deux sens. Le "pouvoir de lire" restera dérisoire s'il n'est assorti du "pouvoir d'écrire". 

Instinctivement, nous distinguons plus ou moins produire de l'écriture et produire un écrit. Tout le monde peut s'accorder sur le fait que recopier n'est pas écrire. À la lecture d'un plagiat, il peut y avoir désaccord : certains commenceront à invoquer une certaine "appropriation graphique"... À l'autre extrémité, si ce n'était une utopie, l'émanation de l'écrivain libéré de toute influence serait reconnue unanimement comme un "pur écrit". Sans arriver à définir précisément de dosage, nous concevons que l'acte d'écriture doit comporter de 
l'individuel, et nous cherchons dans les écrits des traces d'émancipation comme autant de preuves d'authenticité. Celui que nous reconnaissons comme écrivain a donc osé prendre le pouvoir. En conséquence, ce qu'il produit comporte du nouveau, de l'original donc du précieux. 

Si l'on veut avoir une chance d'enseigner l'écrit, il nous faut concevoir que le pouvoir d'écrire n'est pas une 
conséquence de l'apprentissage technique de la langue écrite. De même que nous avons compris que le déchiffrement n'a que très peu de rapport avec la lecture, il nous faudra admettre que la "scriptation" n'apprendra jamais à personne à écrire (Le terme de "scriptation" s'applique, on l'aura deviné, à toute activité synthétique procédant de l'application de techniques "scriptives" élémentaires pour tenter d'écrire). 

Vers une pédagogie de l'écrit

Jusqu'à présent, des essais de mise en place d'une autre pédagogie de l'écrit arrivent à proposer des situations 
assez authentiques. Ces situations engendrent des productions plus ou moins originales. Ces productions sont admises comme écrit bien trop imprécisément. L'aide technique apportée à l'enfant (dictée au maître, réécriture...), tente d'annuler les effets parasites d'une mauvaise maîtrise de la langue. Elle veut valoriser d'autres aptitudes à écrire, mais quelles aptitudes ?! Le pédagogue comme l'apprenti ne peuvent se contenter de définir des situations et d'y répondre : pour progresser, ils doivent cerner, nommer, solliciter, détecter les compétences réinvestissables qui témoignent de l'acte d'écriture. 

Lors des réunions de comités de rédaction du journal de l'école, les enfants doivent sélectionner des articles. 
Quand on leur demande de motiver leurs choix autrement que par un "c'est bien" ou "c'est mal", ils arrivent à citer quelques critères de réussite textuelle. Ils détectent le ton de l'auteur  "c'est drôle, c'est triste, c'est touchant, c'est choquant... ", son intention " Il donne son avis, il a voulu se défendre, il a voulu répondre... ". 
Dans les écrits eux-mêmes, on trouve aussi quelques pistes de réflexion : " ça m'a appris quelque chose, ça a changé ma façon de voir, ça m'a posé des questions, je suis d'accord, pas d'accord avec ... ¯. Toutes ces remarques, aident le "jury" dans sa prise de décisions, mais sont-elles aptes à évaluer des compétences d'écrivains ? Et encore une fois : lesquelles ? 

Un gros effort de théorisation reste à faire. Il nous faut au moins régler ces questions de compétences et d'évaluations si souhaitons construire une pédagogie de l'écrit crédible et applicable. 

Claude FAVIER