La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°57  mars 1997

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UNE RECHERCHE EN COURS 
Évaluation et suivi des classes-lecture
 


Les classes-lecture sont devenues une réalité (Voir Que sont devenues les classes-lecture ? A.L. n°44, déc.93 à n°49, mars 95). Si l'A.F.L. est pour quelque chose dans la conception du produit et, sous des formes variées, dans sa mise en œuvre, elle n'a pas le monopole des réalisations. Classes-lecture ou pas, l'AFL reste fidèle à la place qu'elle entend occuper : un lieu d'inspiration et d'expérimentation ; étant entendu que les bonnes idées appartiennent à tout le monde et en tout cas pas  seulement à ceux qui les ont. Nous disions naguère, laboratoire d'idée ...

On lira, ci-après, une présentation par Jean Pierre Bénichou d'une recherche en cours sur l'évaluation et le suivi des classes-lecture menée conjointement par l'AFL, l'INRP et l'IUFM de Versailles et une présentation par Gabrielle Origoni, I.E.N. À Cagnes sur mer, des classes-lecture "sur site" organisées dans le département des Alpes Maritimes.


    
       Nos liens avec l'INRP et avec l'IUFM de Versailles ont permis le montage d'une recherche conduite à parité entre ces deux institutions. Chacune des deux parties était intéressée à l'élaboration d'un outil permettant à la fois de conduire une "évaluation et (un) suivi des classes-lecture". Quatre personnes ont été mandatées pour piloter ce travail. Deux de ces personnes sont des universitaires (Daniel Denis de l'IUFM, Bernard Lété de l'INRP) deux autres appartiennent au corps de l'inspection (J.P. Bénichou de l'IUFM, Jean Foucambert de l'INRP). Seuls les deux derniers sont membres de l'AFL. 
La recherche a été voulue par tous comme brève donc forcément limitée dans ses ambitions : deux années (96 et 97) devront suffire. Elles ont été précédées par une année zéro qui a permis de monter l'équipe, d'arrêter le plan de recherche, de réaliser le partenariat entre l'IUFM de Versailles et l'INRP tout en lançant la pré-expérimentation). L'année scolaire 1995 a donc été consacrée à l'élaboration des instruments dans chacun des quatre axes de la recherche (grilles d'observation, questionnaires, entretiens, batterie de tests,  ...) et à la mise au point des équipes et des procédures. 
Nous sommes au début de la seconde année et le dispositif suffisamment rôdé pour qu'on puisse le présenter à nos lecteurs. 
 
 
 

LES QUATRE AXES DE LA RECHERCHE 

Les acteurs 

Outre le cercle constitué par les membres du groupe de pilotage, un deuxième cercle comprend les équipes des six centres classes-lecture concernés (Nanterre, Roubaix, St Etienne du Rouvray, Nice et Grenoble) et comporte parfois outre les acteurs principaux de l'action, des représentants de l'Inspection académique du département et de l'IUFM de l'académie. Un parti-pris s'est imposé : chaque axe, chaque centre conservait son autonomie. Les "chercheurs" se sont interdit d'ajouter leurs "soucis" à ceux des centres-lecture pour se mettre plutôt à leur disposition ne fût-ce que par le biais d'une information claire des objectifs et du déroulement des travaux. 
 
Présentation générale : 
* Un nombre significatif de centres-lecture se sont ouverts dans plusieurs départements suite à l'initiative prise par l'AFL, il y a quelques années, d'organiser des classes-lecture sur le modèle des classes transplantées. L'initiative prolonge une première innovation : l'implantation de BCD dans les écoles où existent des équipes intéressées, d'une part, à la pédagogie de projet, et d'autre part, à une ouverture sur l'environnement du quartier et de la ville.
Les stages organisés dans les centres classes-lecture permettent de réunir, au profit d'élèves des écoles et des collèges, voire des lycées professionnels, les moyens d'une approche diversifiée de la lecture et de l'écriture. Les tâches proposées visent à intégrer l'écrit dans la vie quotidienne. Lieux de stage pour écoliers et collégiens, ces centres sont, en outre, des lieux de recherche et de formation, du fait des modalités de travail mises en œuvre et des moyens utilisés. 
Au moment où semble se dessiner une extension du dispositif, l'IUFM de Versailles et l'INRP ont entrepris de définir le cadre d'une recherche concernant l'évaluation et le suivi du fonctionnement des centres-lecture en prenant appui sur les centres déjà existants.

L'objectif de la recherche est d'abord un objectif d'évaluation. Il s'agit de se doter d'un instrument d'observation et d'analyse des pratiques en cours et de leurs effets dans les centres. L'objectif est aussi un objectif de suivi. On s'efforce de disposer des éléments de régulation dont chaque centre a besoin pour se développer selon sa logique propre, dans des conditions optimales. C'est parce qu'ils ont des statuts différents qu'il sera possible aux membres de l'équipe d'élucider les points qui font le plus problème dans le fonctionnement des centres. Loin d'être un obstacle, c'est cette différence qui rendra les choses possibles.
 

Les pistes explorées :

Evaluation et suivi des pratiques pédagogiques. 

Les intentions des promoteurs des centres de lecture étaient de rendre possible l'émergence de pratiques pédagogiques innovantes sans pour autant chercher à élaborer un modèle unique. 
Dans cet esprit, cette partie de la recherche a trois préoccupations :

* Définir les grandes fonctions des centres-lecture à partir des activités en cours.  
La production écrite, le rapport aux écrits à travers la littérature de jeunesse, les rencontres de l'écrit en relation avec l'environnement, la prise en compte de l'élévation des niveaux de compétences tant d'un point de vue bibliothéconomique que dans le domaine du savoir-lire. Grâce à un repérage des grandes fonctions des centres-lecture, on se demandera en quoi on est dans une stratégie de transformation. Créer un centre-lecture, c'est pressentir qu'on va modifier à la fois les pratiques et la formation. La recherche vise à déterminer les modèles de cohérence induits par les centres-lecture. 
* Présenter les grands fonctionnements en usage dans les centres-lecture.
La méthode utilisée est celle qui a déjà été employée dans le cadre de la recherche sur l'organisation de l'école élémentaire. Elle porte principalement sur l'analyse des budgets-temps. Il s'agit principalement de définir les modes de fonctionnements présent dans les centres : types de regroupements d'élèves, caractéristiques des activités qui leur sont proposées, thèmes de travail, etc... et, à partir de là, d'élaborer des grilles d'observations fines. 
* Elaborer une typologie de pratiques pour tester l'hypothèse suivante :
Les choix pédagogiques sont déterminés autant (et probablement davantage) par les conditions dans lesquelles évoluent les lieux de la pratique que par l'idéologie de ceux qui les effectuent. L'un des critères principaux d'analyse portera sur la conduite des projets : on les observera sous plusieurs  angles : 
- en quoi ils sont des projets de production répondant aux caractéristiques d'une commande sociale et en permanence retravaillés par cette commande ;
- comment ils se développent dans l'hétérogénéité des savoirs avec l'apport des professionnels extérieurs ;
- comment ils sont des lieux d'apprentissage par rapport auxquels se structurent toutes les activités d'enseignement ;
- quels sont les dispositifs qui permettent aux enfants et aux adultes de "contrôler" les projets comme outils d'un projet pédagogique partagé.
Les équipes des centres seront associées à l'instrumentation que suppose le long travail de recueil d'informations rendu nécessaire par la fabrication de cette typologie de pratiques. 
 
 

Effets des pratiques pédagogiques des classes-lecture sur les acquisitions des enfants.  

Devant la très grande hétérogénéité des pratiques et en raison de la complexité des interactions de celles-ci pendant le stage en centre-lecture, il apparaît impossible d'évaluer leurs effets respectifs. On adoptera donc une démarche classique : on évaluera les acquisitions avant et après le stage.  

* Le plan expérimental :  

Il comporte autant de groupes expérimentaux (les élèves en stage) que de centres-lecture testés. Chaque groupe expérimental est apparié à un groupe-contrôle ayant les mêmes caractéristiques (les variables individuelles et les variables liées au contexte de scolarisation). 
* Les outils d'évaluation : 
Ils sont de trois types : 
- des mesures évaluant des compétences cognitives d'ordre général ;
- des mesures évaluant le savoir-lire (épreuves à effectuer sur ordinateur) 
- des mesures évaluant la réflexion consciente de l'élève quant à sa manipulation de l'écrit.
Deux étapes sont envisagées : un pré-test avant le stage et un post-test effectué après. Tous les groupes seront testés au même moment.
* La méthodologie générale de la recherche : 
Elle doit permettre de répondre aux questions suivantes : la manipulation de l'écrit à laquelle l'élève est confronté produit-elle des effets significatifs sur l'acquisition des apprentissages ? sur quelles acquisitions peut-on les mettre en évidence ?  
À l'étape terminale de la recherche, il sera difficile d'identifier, de façon distincte, les pratiques pédagogiques susceptibles d'avoir été à l'origine de l'amélioration des acquisitions ; en conséquence, les effets ne pourront être interprétés que de façon globale. Cependant, à l'analyse des résultats et en fonction des épreuves utilisées lors des évaluations, des hypothèses pourront être formulées sur la part explicative d'une pratique particulière.
 
 
 

Les Centres-lecture, comme outils de formation des maîtres 
 

. La création des classes-lecture vise deux objectifs : 
*  un objectif de sensibilisation (des enfants) aux techniques d'apprentissage et de développement de la lecture et de l'écriture et un objectif de formation (d'adultes). 

* un objectif de formation des maîtres qui accompagnent les élèves en classe-lecture.
Cet axe de la recherche concernera plus directement les usages des centres-lecture dans les stratégies de formation des maîtres. 
La piste de travail explorée ici est la suivante : pour mesurer les effets en formation d'un séjour en classe-lecture, on regarde du côté des écrits produits, après la classe-lecture, par les élèves des maîtres bénéficiaires de ces séjours. L'hypothèse est que ces écrits, tant par leur nature que par leur volume, sont significatifs d'un effet formation. 
Méthodologiquement, il s'agit de définir un indice composite d'appréciation du rapport à l'écrit (ICARE). On s'appuie sur le travail préparatoire conduit dans le cadre d'une pré-expérimentation par Nathalie Bois et publié sous le titre "Faits et effets des classes-lecture". 
Un second travail aujourd'hui achevé a permis de caractériser trois sous-populations : 
- un groupe de 30 classes ayant participé au cours des années précédentes à une classe-lecture dans l'un des six centres,
- un groupe-témoin de 15 classes n'ayant pas participé à une classe-lecture mais qui aurait souhaité le faire (candidatures rejetées faute de places),
- un autre groupe témoin de 15 classes choisies dans les départements concernés de manière totalement aléatoire. 
L'échantillon des classes du groupe dit expérimental a été constitué après analyse des réponses à un questionnaire d'opinion qui avait déjà été utilisé dans le cadre du travail conduit en 1980 intitulé "Organisation de l'école élémentaire". Il est tout à fait intéressant de noter dès à présent une évolution importante des opinions exprimées par les maîtres : ceux de 1996 s'affirment résolument plus "novateurs" que leurs prédécesseurs de 1980. On en vient à se poser cette question : heureux changement qualitatif ou simple effet de mode ? 

Le rapport terminal décrira le mode de traitement qui a permis de dégager un groupe représentatif de 30 classes parmi les 250 possibles. Nous disposons donc d'un groupe de 60 classes qui 
ont accepté de "relever les écrits produits et introduits" dans leurs classes pendant une période de deux semaines (du 16 au 25 janvier 1997) selon un protocole qui définit clairement la nature de la consigne. 
C'est le produit de ce recueil qui fera l'objet d'une analyse des effets permettant de profiler ce que sont les écrits produits dans une classe dont le maître a participé à une classe-lecture, dans une stratégie de formation. L'analyse du contenu des écrits reçus sera doublée d'entretiens d'explicitation. Une réunion des représentants des 6 centres a eu pour but de se former à la conduite de ces entretiens et de les organiser. 
 
 
 

Les centres-lecture dans le mouvement de l'innovation pédagogique. 

Ce travail se situe dans le prolongement des recherches actuellement conduites par le responsable de cette partie, à savoir l'attitude de l'institution scolaire face aux transformations issues du champ social, travail centré sur l'approche socio-historique de l'institutionnalisation des classes transplantées aux 19ème et 20ème siècles. Ces recherches sont menées selon une méthode de généalogie qui permet d'apprécier les volontés des groupes fondateurs à chaque période de leur évolution. 
Il est proposé l'application de ce modèle à la création et au développement des classes-lecture.
* Monographies très détaillées concernant les processus fondateurs dans 3 sites choisis pour leurs contrastes supposés.
* Présentation des biographies et discours d'acteurs, rôles du mouvement social et politique, des associations pédagogiques, analyse des interventions des collectivités territoriales et de l'Etat).
* Elucidation du rapport à l'Ecole et des positions institutionnelles (rapport à la hiérarchie de l'Education nationale en particulier)
* Analyse des débats critiques et des oppositions éventuelles suscitées dans et hors de l'école.
* Mise en perspective des enjeux théoriques et des innovations méthodologiques.
 

Les points de méthode suivants sont présents :  
- Une part importante du travail est un travail d'écoute et de restitution. Dans la mesure où on cherche à établir comment chaque centre a été conduit ê se constituer, avec quels intentions ; à partir de quelle analyse, avec quels moyens, dans quel environnement, avec quelles alliances, dans quelle adversité, etc... on s'efforce de rencontrer tous ceux qui, au fil de la reconstitution, sont cités. 
- une déontologie est établie : l'accord des acteurs des centres devra être réel, la transcription des interviews (qui sera érigée en principe) devra être autorisée, chaque personne citée disposera d'un droit de réponse, un droit d'interprétation sera reconnu au chercheur assorti aussi d'un droit de réponse.
Le travail en cours sera "une topologie de l'institution qui se crée". 
 

*Les résultats terminaux seront donc publiés de manière distincte pour chacune des 4 parties. Toutefois, une partie commune sera rédigée. Elle permettra de relever convergences et divergences, de formuler des propositions pour le suivi des centres-lecture et d'esquisser éventuellement de nouvelles pistes de recherche, bref de poser les jalons d'une coopération inter-centres. À l'heure actuelle, pour chacun des quatre axes le calendrier est respecté. La dernière phase a commencé : les outils sont élaborés et le recueil des données quasiment achevé. Le pari initial sera tenu. Toutefois, on ne peut que regretter d'avoir dû choisir le parti-pris de l'économie maximum de temps, de crédits, d'échanges. Bref d'avoir dû renoncer à ce travail "en noria" qui a nous a si longtemps caractérisés et qui donnait un sens fort à la notion de recherche-action.

Jean Pierre BENICHOU