La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°59  septembre 1997

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La différence 
chez Brigitte Smadja 



Lectures en réseau. Les deux textes qui suivent, comme ceux qui les ont précédés sous cette rubrique depuis notre numéro 49, participent À la présentation d'auteurs, d'illustrateurs, de collections, d'ouvrages de mêmes thèmes ou de mêmes genres. Ils se veulent une aide aux médiateurs afin que leurs animations fassent que " chacune des nouvelles expériences des enfants s'intègre À leur expérience précédente " et que leurs lectures comme toute lecture littéraire soient " référentielles ".

Dans le premier, Sylvie Mergy montre À partir de son expérience avec de jeunnes enfants en quoi les thèmes qu'aborde Brigitte Smadja dans ses livres peuvent aider de jeunes lecteurs À prendre conscience de la "différence" et À la tolérer.

Le second d'Hervé Moëlo est consacré aux 4 premiers ouvrages parus de la nouvelle collection Le Bestiaire Divin (Éditions Favre), réalisée en collaboration avec le Muséum National d'Histoire Naturelle qui, en réunissant chacun des textes " À la fois littéraires et scientifiques " sur un animal, se veut " pédagogique autant que ludique " et " un support idéal pour entraîner les jeunes dans le monde de la lecture ".

  LA DIFFERENCE CHEZ BRIGITTE SMADJA Certains thèmes, tels que le racisme, la justice, la drogue... peuvent difficilement être abordés avec les enfants sans pour autant faire un cours d'éducation civique ou tomber dans un discours moralisateur. Or, je crois qu'il est pourtant indispensable de trouver un éclairage qui soit proche de leurs préoccupations pour les sensibiliser À ces thèmes. Dans ces conditions, ma rencontre avec les livres de Brigitte Smadja s'est imposée d'elle-même comme une ouverture possible.

Née en 1955 À Tunis, B. Smadja nous livre au travers de ses histoires une image de la société, de la vie et de ses points d'ancrages. Parmi tous les thèmes qu'elle aborde (famille, amitié, amour...), celui de la différence m'est apparu comme l'un des plus marquants. C'est ainsi que je me suis lancée dans la présentation, auprès d'enfants, de quelques-uns de ses livres. 

En effet, que ce soit À travers mon expérience d'enseignante en classe de perfectionnement ou de quelques remarques spontanées entre enfants que j'ai pu entendre :

" J'l'aime pas... et puis on comprend rien quand elle parle, faut qu'elle apprenne le français. "

" Eh, t'as vu ses fringues, quel naze, il n'est vraiment pas À la mode ! "

" Non, moi, je ne suis pas comme eux ! "

" Allez, va-t'en, tout le monde sait que les noirs, ça pue ! "

" Laisse tomber, ce sont des Perfs, ils sont nuls... "

... il apparaît que quel que soit l'âge de son auteur, les différences gênent, attisent le mépris, la mise À l'écart.

Mon choix s'est ainsi porté sur six ouvrages de Brigitte Smadja :

- J'ai décidé de m'appeler Dominique (Mouche, Ecole des Loisirs, 1991)

- Maxime fait de la politique (Neuf, Ecole des loisirs, 1991)

- Le Cabanon de l'Oncle Jo (Neuf, Ecole des Loisirs, 1996)

- La tarte aux escargots (Neuf, Ecole des Loisirs, 1995)

- Billie (Médium, Ecole des Loisirs, 1991)

- Une Bentley boulevard voltaire (Médium, Ecole des Loisirs, 1995)
 
 Une écriture qui fait la différence... Pour B. Smadja, il n'existe pas de littérature enfantine. Cette distinction l'incommode même. D'ailleurs, elle ne privilégie pas une approche féerique ou fantastique et ne raconte pas des histoires qui font simplement appel À l'imagination des enfants. Au contraire, elle choisit d'aborder des sujets plus ou moins complexes qui concernent tout le monde, mais toujours vus par un enfant. Cette démarche correspond certainement À un souci de ne pas réduire l'univers de l'enfant À un monde ludique, dérisoire, mais d'y intégrer des problèmes sérieux auxquels ils sont amenés À faire face.

Lorsque B. Smadja traite de la différence, elle évite une fois de plus de parler avec un ton pédagogique ou professoral. Elle parvient judicieusement À glisser dans le corps d'une histoire un éventail d'exemples vécus qui sont liés À la différence, que ce soit la différence choisie ou celle imposée par les coutumes, la culture,... Mais À aucun moment, elle ne s'autorise des leçons de morale. Bien au contraire, l'impact de ses histoires réside sûrement dans sa manière de toucher la sensibilité du lecteur et de développer implicitement chez lui une forme de réflexion. Ce cheminement peut se faire grâce au style d'écriture de B. Smadja qui présente un certain nombre de caractéristiques.

B. Smadja ne se contente pas de narrer les aventures de son ou ses personnages. Elle s'exprime le plus souvent À la première personne du singulier ; elle se met donc À la place de son personnage principal, qui est toujours un enfant. " ... Je ne peux pas m'empêcher d'espérer que Ferdinand sera professeur un jour au collège, même si papa m'a dit " n'y compte pas " le jour de la rentrée où j'étais tellement malheureux parce que j'avais Marie-Hélène comme maîtresse. J'ai compris ce jour-lA que papa ne croyait pas que l'espoir fait vivre et qu'il n'était pas très fort pour remonter le moral. " (Maxime fait de la politique, p. 28) S'il est vrai que de nombreux auteurs pour enfants utilisent souvent le " je " dans leurs ouvrages, B. Smadja parvient vraiment, À mon avis, À créer une intimité entre le lecteur et l'auteur. Ceci débouche par conséquent sur une relation fusionnelle avec le héros de ses livres. En revêtant tour À tour les habits et la personnalité de Lili, Maxime, Samuel... elle s'attache À les rendre plus réels et alimente ainsi la gourmandise du lecteur qui savoure les aventures de ses héros et subit peut-être par procuration les vicissitudes de leur existence. Et même lorsqu'elle utilise la troisième personne du singulier, elle semble parvenir À impliquer le lecteur dans les pensées de ses personnages. " Peut-être qu'il arrive un moment où on ne pense plus À rien, où la vie n'a plus aucun sens et où toutes les pensées de la jeunesse font sourire, disparaissent ? Théo ne veut rien oublier. Il s'acharnera À ne pas mourir. " (Billie, p. 27). 

La personnalité de ses personnages est marquée, souvent peu commune ; on peut retenir celle de Théo (dans Billie) qui possède une façon d'être et de penser peu ordinaire pour un adolescent, comme le laisse supposer l'extrait précédent. Mais notre auteur ne s'arrête pas lA puisqu'elle les dote d'une vie qui évolue au fil des histoires. Ses héros grandissent, sont confrontés À de nouvelles difficultés, À de nouveaux émois. Ainsi, si Samuel est présent dans de nombreux livres de B. Smadja, où l'on découvre entre autres son amour pour une certaine Marie, il apparaît vraiment au coeur du récit dans Une Bentley boulevard Voltaire, comme un adolescent solitaire qui retrouve À la fin de l'histoire son amour d'enfance. Le lecteur ne peut donc que se satisfaire de redécouvrir les acteurs des livres de B. Smadja dans de nouvelles histoires, avec de nouveaux problèmes À gérer. B. Smadja plonge d'ailleurs rapidement ses personnages dans un contexte plus ou moins de crise, de malaise, de mécontentement, qui servira de trame pour bâtir son récit.

En revanche, pas de différence significative avec celui d'autres auteurs de littérature enfantine en ce qui concerne le vocabulaire utilisé. Comme eux, elle emploie des mots simples et d'accès aisé pour les enfants. Il y a néanmoins, À mon sens, une authenticité dans ses textes, qui ne laisse pas indifférent. Est-ce dû au caractère fortement autobiographique de certains d'entre eux ? De plus, les phrases souvent courtes et la place non négligeable accordée aux dialogues apportent un dynamisme. On peut cependant observer que la priorité accordée au dialogue est plus marquée dans ses ouvrages destinés aux tranches d'âge les plus jeunes. En effet, dans la collection Médium (pour les adolescents), elle adopte une écriture plus descriptive, un vocabulaire plus riche, tout en conservant le style direct des collections Mouche (7-8 ans) et Neuf (9-11 ans). Mais elle ne se prive jamais d'intégrer dans ses textes de nombreuses touches humoristiques, même lorsqu'elle parle d'un thème aussi sérieux que la différence.

" - Qu'est-ce qu'il s'est passé, cette fois-ci ? a demandé M. Brun.

- Il m'a traité.

- De quoi ?

- D'Arabe.

- Ah bon ? Et toi tu l'avais traité de quoi ?

- De cannibale. Àïe ! j'ai mal. Je vais être moche sans oreille. Je crois qu'il en a coupé qu'un seul bout. Demain, je lui coupe les deux.

- Ne bouge pas. Pourquoi de cannibale ?

- Richard m'a dit qu'Alain mangeait tous les dimanches le corps du Christ et qu'il buvait son sang. Àïe ! " (La Tarte aux escargots, p. 47).
 
 
 
 
 Des histoires... des différences... quelles sont-elles ?  Lorsque - lors de ma présentation des livres - j'ai demandé aux enfants ce qu'évoquait pour eux la différence, voici les premières réponses que j'ai obtenues :

" Par exemple, les garçons et les filles sont différents : ils n'aiment pas les mêmes jeux. "

" Des fois, on n'est pas d'accord, on ne pense pas pareil. "

" Quand on va dans un autre pays ou dans une autre ville, on voit des choses qu'on ne voit pas dans son pays. "

En s'observant, les enfants ont parlé des différences de couleur de peau, des différences vestimentaires, des différences de taille, d'âge.

À partir de leurs remarques, je leur ai présenté les livres de B. Smadja en mettant l'accent sur la diversité des formes de différences ( physiques, sociales, culturelles, entre générations) et sur la manière avec laquelle elles étaient vécues par les personnages, tout en essayant régulièrement de susciter chez eux des réactions et des échanges de points de vue.
 
 Les différences physiques  Si les différences physiques apparaissent comme les plus évidentes au regard de chacun et surtout pour les enfants, B. Smadja n'en parle que de manière allusive dans ses livres. Ce sont principalement les cheveux et les yeux qui retiennent son attention et qui sont décrits de façon brève dans chacune de ses histoires. Leur couleur est souvent marquée (yeux très noirs ou très bleus, par exemple), les cheveux sont souvent très longs " Je ne comprends pas ton obstination À vouloir garder tes cheveux longs, c'est encombrant, ça ne sèche pas " (Une Bentley boulevard Voltaire, p. 30 ). Parfois, elle ajoute À ces critères une petite remarque sur la silhouette du personnage, de façon isolée " Mais j'ai bien réfléchi. Ferdinand ne peut-être amoureux de Marie-Hélène : elle est vraiment trop maigre. " (Maxime fait de la politique, p. 35) ou combinée " Il devra se trouver face À elle, affronter les yeux noirs et les cheveux blonds, les jambes immenses et fines " (Billie, p. 111).

Mais B. Smadja s'attache plus À la tenue vestimentaire de ses héros et plus encore À leur psychologie. Les différences physiques sont elles, passées sous silence. C'est par exemple le cas des différences de couleurs de peau, qui sont pourtant source de discrimination et donc de rejet. Par cet acte, B. Smadja souhaite peut-être montrer que les critères physiques ne constituent pas de différences fondées. Pourtant, les enfants des écoles où j'ai enseigné sont autant sensibles aux différences physiques (port de lunettes, défauts inesthétiques, coupe de cheveux,...) qu'À la manière de se vêtir par exemple.
 
 
 
 Les différences sociales  À son arrivée de Tunisie, après la mort de son père, Lili est immédiatement confrontée À ces différences. Dans La tarte aux escargots B. Smadja décrit la lutte de son héroïne pour se faire accepter de Laeticia et Irène, toutes deux issues d'un milieu bien plus aisé que le sien. Alors que Lili traîne comme un fardeau son duffle-coat beige (offert, comme la plupart de ses vêtements, par la mairie), ces deux dernières sont vêtues de manière coûteuse voire ostentatoire (chemisier À col Claudine, écharpe écossaise, chaussettes À pompons). À défaut de pouvoir les suivre dans leurs choix vestimentaires, Lili poursuit ses peurs, son handicap social qui pourrait l'empêcher de chanter À la chorale et de réaliser ses rêves. C'est également par sa tenue vestimentaire que Gabriel (Une Bentley boulevard Voltaire) qui donne l'impression " de voir le monde de très haut " se démarque : " Il porte toujours la même tenue : un jean qu'il doit avoir en plusieurs exemplaires, un shetland ras-du-cou bleu marine ou vert bouteille et une chemise blanche qui lui donne l'air d'un employé de banque débutant " (p.10). En outre, il n'hésite pas À offrir À ses amis des cadeaux de valeur (blouson en cuir,...) dont le prix dépasse de loin leur budget. 

Lorsqu'elles ne suscitent pas l'admiration, les différences sociales engendrent inévitablement humiliation et rejet. Les enfants en sont conscients et quelques-uns d'entre eux nous ont raconté une anecdote À ce sujet. Ainsi, les changements qui s'opèrent lorsque le père se retrouve au chômage (plus de loisirs, disputes À la maison plus fréquentes,...) sont souvent évoqués. Dans La tarte aux escargots, Lili n'échappe pas aux remarques méprisantes et blessantes de personnes qu'elle rencontre : " Pourquoi t'obstines-tu À avoir cette clientèle de miséreux ? " (p. 10) ou qui l'entourent (comme Laeticia ) : " Pour avoir de bonnes notes en français dans ce lycée, il faut être pauvre ou orpheline. " (p. 64). Une de ses armes pour attirer l'attention et dépasser ce genre d'attitude est le mensonge : ainsi, Lili fait croire, par exemple, que la rue où elle vit (rue de la Goutte d'Or) est magique :

" Il n'y a plus qu'une seule goutte d'or, dans ta rue ?

(...)

- Oui, il n'y en a plus qu'une seule. Elle est sous verre et personne ne peut la voler. Elle est gardée par un policier. " (p. 14/15)

Son autre arme est d'écarter ceux qui lui rappellent d'où elle vient. Elle ignorera ainsi longtemps Luisa " Elle m'a fait un geste mais je me suis détournée. Elle portait les chaussures de montagne, celles de la mairie " (p. 26) avant de comprendre que c'est elle, sa véritable alliée. Lili se rend donc compte qu'il ne sert À rien de revendiquer un autre mode de vie que le sien car elle s'aperçoit qu'elle est toujours en décalage avec le milieu social bourgeois. Elle finit en revanche par comprendre que la complicité naturelle qui existe entre Luisa et elle, lui permet de devenir plus forte, et finalement plus heureuse.

On ne peut donc pas nier les conséquences du manque de ressources financières. Mais elles ne sont pas les seules À intervenir dans le désarroi de certains face À ces différences de mode de vie. Etre différent socialement, c'est aussi se sentir marginalisé, désoeuvré, par l'absence de travail. Elle est souvent ressentie comme un grand vide, où tout À coup plus rien n'a de valeur. Or, B. Smadja rend bien compte de cette idée dans Le Cabanon de l'Oncle Jo où l'on retrouve Lili.

" - Tata Denise ? 

- Oui, ma vie, qu'est-ce qu'il y a ?

- Pourquoi il est devenu comme ça, l'Oncle Jo ?

- Il s'ennuie.

- Il n'a qu'À sortir.

- Il n'a pas de travail. Il ne sait pas où aller. Tous ses amis travaillent.

- Pourquoi il ne vient pas nous aider À faire les brioches ?

- Il n'aime pas faire les brioches.

- Qu'est-ce qu'il aime ?

- Travailler. 

Je me tais un moment.

- Alors, il va toujours rester comme ça ?

-Non ! C'est un moment, ça passera. Dieu le protège ! 

(...)

Dans la salle À manger, l'Oncle Jo n'a pas bougé ; c'est comme s'il dormait les yeux ouverts. " (p 17/18)

Les enfants sont loin de se montrer indifférents au chômage car ce mal fait maintenant souvent intimement partie de leur vie familiale. Cet extrait suscite donc chez eux de nombreuses réactions. Est-ce que l'Oncle Jo va s'en sortir ? Comment ? En assignant À l'Oncle Jo la tâche difficile de transformer une sorte de décharge en un magnifique jardin, B. Smadja transmet un message d'espoir, montre que le désir d'accomplissement d'un rêve, d'un projet motivé est le meilleur remède pour pallier un problème. 

Se différencier socialement, cela peut aussi vouloir dire, vouloir changer d'identité. Or, qui n'a jamais rêvé d'être quelqu'un d'autre ? Alors que les parents d'Emilie (J'ai décidé de m'appeler Dominique) sont tout joyeux de lui annoncer qu'elle va avoir un petit frère, cette nouvelle provoque chez elle une forte déception. Lasse de n'entendre parler que de cet intrus, elle décide alors de changer de prénom pour trouver (ou retrouver) ses marques.

" - Mais pourquoi ? Pourquoi, Emilie ?

- Parce que c'est pas moi qui ai dit que je voulais m'appeler Emilie. C'est pas moi, c'est vous ! Alors maintenant, j'ai choisi mon nom À moi, et c'est Dominique.  " ( p. 40). Si cette décision provoque de la jalousie chez ses copines, elle lui ouvre de nouvelles portes d'un autre côté : " Dominique, c'est unique, c'est magique, pense Emilie. C'est un nom qui a tout changé. Elle lance la balle beaucoup plus fort et elle court beaucoup plus vite qu'un garçon. Elle a plein d'idées qu'elle n'avait jamais eues. Par exemple, elle va arrêter le judo et faire du karaté. " (p. 50)
 
 
 
 Les différences socio-culturelles Elles s'expriment À différents niveaux.

Dans Maxime fait de la politique B. Smadja met davantage l'accent sur les différences intellectuelles. Lorsque Maxime, élève en CM2, apprend que son école va perdre sa classe d'adaptation, il décide de réagir en fondant un syndicat, afin que les plus faibles ne soient pas pénalisés. " S'il n'y a plus de classe d'adaptation, ça veut dire que Sokun, Virginie, Gordona, Hong, Gérard, Suzanna, ne pourront jamais savoir les conjugaisons, les règles de trois, ils ne pourront même jamais lire, ils confondent hier, aujourd'hui et demain, ils ne seront même pas capables de faire les courses, ils se feront toujours avoir, toujours, et ils finiront peut-être un jour par dormir sur les bancs du métro !  " (p. 56/57). Cet extrait montre bien que derrière un discours qui prône l'égalité des chances, la réalité flirte souvent avec l'injustice. Ce sujet m'interpelle d'autant plus que l'avenir qui se dessine pour les élèves que j'ai en perfectionnement apparaît vraiment incertain.

Des modes de vie et de pensée différents peuvent aussi être À l'origine des différences culturelles. Ainsi, Théo, le héros de Billie, n'a pas les mêmes aspirations que les jeunes de son âge. Cet adolescent de 16 ans est un élève brillant, très renfermé, persuadé d'être abandonné et trahi par son meilleur ami, Mathieu. Il se construit sa propre réalité en tentant différentes expériences, en luttant pour ne pas mener plus tard une vie monotone et résignée comme les gens qui l'entourent et surtout en trouvant son seul réconfort - la nuit - auprès d'une Harley Davidson (Billie) qu'il a volé un soir. " Cela fait trois ans qu'il n'adresse plus la parole À Mathieu : depuis qu'il sait que Mathieu, sans l'en avertir, a détruit leur enfance. D'ailleurs, il ne parle plus À personne. Ce n'est pas par défit, par haine. Il n'a tout simplement plus rien À dire. Et surtout depuis un an qu'il y a ce secret entre Billie et lui. " (p. 30). Mais Théo n'est pas le seul À choisir de se démarquer de la sorte. Dans Une Bentley boulevard Voltaire, B. Smadja confronte deux personnages qui intriguent également de par leur attitude. D'un côté, il y a Gabriel si populaire " Il a de la classe, Le Guernec. C'est pas un mec comme les autres. Si tu le connaissais, tu comprendrais " (p. 14) mais qui dérange par ses sautes d'humeurs, ses besoins de solitude (quel est donc son secret ?), de l'autre, il y a Samuel, ce garçon si bizarre " Samuel Pichet sort en titubant, les yeux mi-clos. Il mime des gestes de guitariste, s'arrête, tape du pied. Soudain il lance son bras droit en avant, le ramène vers lui en accompagnant ce geste d'un signe approbateur de la tête.  " (p.12) dont on se moque. Et pourtant, ils vont, d'une certaine manière, devenir complices...

Dans La tarte aux escargots, au même titre que dans Le Cabanon de l'Oncle Jo, B. Smadja combine les différences sociales avec les différences culturelles qui existent entre la France et la Tunisie. Ces deux dimensions semblent alors se renforcer mutuellement. Lili doit donc s'adapter À une nouvelle expression orale, aux habitudes différentes, essayer de les comprendre, tout en luttant sans cesse contre la nostalgie de son pays d'origine (odeurs d'enfance, paysages, mode de vie,...). Et comme le montre l'extrait suivant, beaucoup de choses surprennent également son petit frère :

" Soudain, Renzi qui m'avait suivie s'est mis À crier : 

- Des crapauds sanglants !

- Où ça ? a dit Betty en regardant la table, derrière la table, sous la table. Où ça, mon petit bonhomme ?

- LA ! a crié Renzi en désignant un plat de betteraves.

- Ce ne sont pas des crapauds, ce sont des betteraves ! (...) Vous ne mangiez donc pas de betteraves en Tunisie, Lili ?

- Non. " (La Tarte aux escargots, p. 91)
 
 
 
 Les différences entre générations C'est dans Maxime fait de la politique que les conflits entre générations sont les plus présents. En effet, Maxime se heurte autant au scepticisme de son père qui ne le prend pas au sérieux lorsqu'il décide de se lancer dans la politique, qu'À l'ascendant sur lui de sa directrice d'école.

" - Tu es beaucoup trop jeune pour faire de la politique, Maxime. Je ne le tolérerai pas. Tu vois À quoi ça mène ? Est-ce que tu en es conscient ?

Elle parle comme papa l'autre jour, quand maman était en retard À cause de sa réunion syndicale.

_Tu vois le désordre dont tu es responsable ? C'est inadmissible. J'ai eu ta mère au téléphone. Je la verrai À 16H30. Il faut que ça cesse, tu m'entends ? (...) " (p. 73)

Malgré les obstacles, Maxime ne baisse pas les bras et va jusqu'au bout de son projet, pour prouver À son père et aux plus récalcitrants que l'on peut changer le monde. Il nous offre donc ici une belle leçon de courage et de détermination.

Samuel (Une Bentley boulevard Voltaire), quant À lui, se sent aussi en décalage avec le discours de ses parents, mais également avec leur existence.

" ... - Vous n'allez pas recommencer. " Tu te rends compte, qu'est ce qu'on va faire de toi ? Tu perds un an bêtement. " Je suis en seconde maintenant, papa, et je n'ai pas l'intention de redoubler.
- Je sais, je sais, mais on ne peut plus se permettre aujourd'hui de perdre du temps. Tu dois travailler. Toi et moi, on n'a pas eu la même jeunesse. 

Samuel l'arrête d'un geste. Il ne supporte plus son père évoquer la crise et de voir l'anxiété sur son visage. " (p. 33)

En fait, c'est plus souvent la difficulté À communiquer qui accroît les différences entre générations et qui créé un frein relationnel. Ainsi, pour Théo (dans Billie), l'amour qu'il porte À sa mère et qui va de pair avec sa peur de la décevoir, l'empêche de se confier À elle (avec qui, il s'entend pourtant bien) et donc de gommer leurs différences de génération.

De leur côté, les parents d'Emilie (J'ai décidé de m'appeler Dominique) ne comprennent pas la réaction de leur fille lorsqu'ils lui présentent comme un cadeau de Noël la venue d'un petit nouveau dans la famille. Ils ne prennent pas alors en compte sa psychologie enfantine et le sentiment d'abandon qu'elle peut ressentir.

À l'issue de cette présentation des différences présentes dans les livres de B. Smadja, nous pouvons remarquer qu'elle ne se contente pas d'évoquer le sujet mais qu'elle essaie d'apporter des solutions possibles pour les affronter. Ces solutions sont des solutions concrètes et réalisables. Les personnages de B. Smadja ne fuient pas la réalité, au contraire. Ce sont autant " d'atouts " potentiels qu'elle livre aux enfants en leur faisant appréhender le pouvoir supérieur de celui qui affronte la réalité par rapport À celui qui cherche un remède dans le rêve.

Si de mon point de vue de lectrice, l'approche de la différence par B. Smadja retient tout À fait positivement mon attention, qu'en est-il pour les enfants ? Voient-ils plutôt l'histoire elle-même ou sont-ils vraiment touchés par les thèmes abordés et par les personnages mis en scène ? Dans ce cas, le sont-ils spontanément ou une fois que l'on a mis l'accent dessus ? Enfin, est-ce que sans le vouloir, B. Smadja joue un rôle en éducation civique et contribue de ce fait À former des citoyens ?

Sylvie MERGY