La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°59  septembre 1997

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note de lecture
Illetrisme : quel chemin vers l'écrit. 

Actes de l'université d'été or ganisée  en juillet 1996 par le Ministère du travail et des affaires sociales (G.P.L.I), l'Universioté Lyon 2 (psyEF), AG3i et Centre INFFO.  
Ss la dir. F;Andrieux, J.M Besse, B. Falaize 
Editeur : Magnard. collection : guides Magnard. 

                    Après le jeu de massacre qui devait ravager, depuis le début des années 90, le champ de la formation continue pour adultes dits de bas niveau de qualification, les rescapés s’organisent, tissent des réseaux, forment des alliances, et tentent de fonder une incontestable légitimité. On l’aura noté, le triumvirat institutionnel qui coordonne l’ouvrage qui fait suite À une Université d’été, en est la manifestation. La répartition des origines institutionnelles des auteurs, plus de 50, montre cette volonté d’alliance consensuelle qu’orchestre le GPLI : 52 % des auteurs sont issus du monde de la formation (où dominent en nombre les chargés de missions et d’études, responsables de formation, conseillers pédagogiques pour 2 formateurs). Quant À l’Université, elle fournit 43% des signatures aux origines géographiques diverses afin de mieux s’adapter À la régionalisation des instances de décision qui régissent À présent les dispositifs de la formation continue. C’est dire que l’image dont se pare le champ est résolument différente de celles des débuts de la lutte contre l’illettrisme où le secteur associatif était dominant. Ici, 2 auteurs seulement en sont issus. De même que l’on compte sur les doigts d’une main les signatures de bibliothécaires et d’orthophonistes. Plus de pastorale, le caritatif est exclu du champ et l’objet passe aux mains des experts. Ce sont ces derniers qui en dévoilent la complexité et la pluralité et c’est l'explication du " s " À illettrisme. 

Charpenté autour de quatre grands chapitres : Pour une analyse des usages sociaux ; rapport À la langue, rapport À l’écrit ; Conditions et modalités de l’accompagnement vers l’écrit ; logiques identitaires et images de soi, le livre tente de fédérer, d’organiser " la confrontation de différents savoirs ", de synthétiser débats et témoignages afin d’élaborer une référence commune et de répondre À la question-titre de l’université d’été : Illettrisme : où en sommes-nous ? 

Au final, nous disposons d’une mosaïque de textes que les préfaciers expliquent en ces termes : " La rencontre de l’université d’été 1996 n’avait pas pour but de construire une méthodologie unique, ni de proposer une ligne de conduite définie, ni même d’organiser un corpus de savoirs intouchables. Tout au contraire, chacun a pu y puiser ce qui lui importe dans son travail quotidien, ce qui fait sens pour lui. (...) Des passerelles et des ponts sont maintenant jetés. ". Mais, c’est l’idée de " la pluralité du phénomène illettrisme " qui est sensée assurer la cohérence des différentes contributions pour mieux les justifier sous le sceau de la légitimité universitaire. 

À la lecture, les choses se confirment et semblent même bien avancées. Mais cette analyse en forme de profession de foi cache en fait l’immobilisme des pratiques et des pensées. 

Sur la question de l’apprentissage, le débat laisse place À l’expression d’une pensée unique cognitiviste et connexionniste, d’inspiration anglo-saxonne : dans le chapitre intitulé rapport À l’écrit et recherches en psychologie, 88% des citations font référence À des titres anglophones non traduits. Une recherche sur les enfants non-lecteurs aboutit À ce type de propos " les tests qui mettent en oeuvre l’utilisation de la coordination bi-manuelle montrent que les interactions hémisphériques requises dans cette épreuve ne seraient pas aussi développées chez les enfants non-lecteurs que chez les tout venant. " 

Si les formations font l'objet d’analyses, les adultes sont toujours en but aux mêmes écrits. Les témoignages nous en livrent un intéressant florilège. Pendant que les experts étudient " la raison graphique" de la facture, du chèque, des tableaux signalétiques des chemins de fer et autres bordereaux, dans les stages, on continue imperturbablement À faire la dictée où " les poissons rouges du bocal agitent les nageoires... ", À écrire le message après communication téléphonique, À lire la petite annonce, et l’horoscope des poissons de Fatima. Madani ne lave plus la salade mais les commentaires de Fatima , note l’observateur " laissent apparaître une prise de recul par rapport au texte et une mise en sens personnel de ce qui a été lu. " 

" Plus que jamais vous faites preuve d’imagination fantaisiste - pour moi je penserais que j’essaye toujours de voir positif - et cela vous réussit - pour moi réussir, jusqu’À présent je ne sais pas - Et vous aimez entretenir un certain mystère - je combats en ce moment pour ça - vous savez parfaitement en jouer - c’est ma vie que je joue en ce moment. " 

C’est incidemment, involontairement, qu’on lit toute La misère du monde que l’AFL avait À sa manière fait surgir, dans son étude du dispositif PAQUE (1). Et tout cela semble bien éloigné des cours d’économie politique dispensés pendant les stages afin d’aider À comprendre les causes réelles du chômage . (2) 

Dans ces conditions, faut-il parler des absents ? On ne s’étonnera pas de l’absence de références aux recherches menées en partenariat par l’INRP et l’AFL. Les mêmes exclusions qu’avait marqué, on s’en souvient, l’édition du fascicule La maîtrise de la langue À l’école, sont ici réitérées et confirmées. Pourtant, c’est incidemment, À l’occasion de la citation d’un texte concernant un outil de positionnement qu’on peut lire l’unique référence À l’AFL (3) et À Paulo Freire. Comme quoi... 

D’ailleurs le propos éditorial n’est pas de lutter. Lors de la présentation de l’ouvrage, J.-M. Besse nous avait prévenus : (c’est un livre " pour "). La volonté est plutôt de positiver... 

Car le livre s’avère être une vaste entreprise d’euphémisation ou comment rendre supportable un phénomène social qui après avoir sapé les fondements de la démocratie et rétabli le suffrage censitaire, inspire sans doute quelque crainte À la bourgeoisie et À la classe politique qui n’a trouvé pour l’instant que la parade de l’alternance. 

On comprend mieux l’enjeu de la pluralité du phénomène illettrisme. Bernard Lahire est très explicite " plutôt que de chercher une définition minimale de l’illettrisme, on devrait parler d’"illettrismes " au pluriel, en veillant À ne pas enfermer symboliquement les personnes dans des catégories. Il s’agit À chaque fois de cibler un certain nombre de types de pratiques d’écriture, de types de pratiques de lecture et de compétences qui vont avec. Je pencherais personnellement pour cette attitude lA, moins mobilisatrice politiquement, mais plus efficace pratiquement ". 

Démobilisation politique et efficacité. De quelle efficacité s'agit-il ? Car nous savons bien que la lecture n’est en crise que de croissance et qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Car les leçons de l’histoire profitent aux classes dominantes. Cité par Jean Foucambert dans L’école de Jules Ferry par ceux qui la transforment, Edwy Plenel montrait que l’école de Jules Ferry a été conçue pour s’attaquer " À l’autodidaxie, À toutes ces pratiques éducatives directes et mutuelles qui ne supposent pas l’école, son ordre hiérarchique et son échelle de valeurs. " Cette agitation officielle et médiatique concernant l’illettrisme et son traitement confié À l’expertise laissent penser que nous sommes face aux mêmes enjeux qu’À l’époque de Jules Ferry. Eviter que la lutte pour la promotion de l'écrit comme outil de pensée au service de la transformation de ce monde inégal ne s'exerce pas par ceux que cela concerne.  

Il ne s'agit pas de regretter le bon vieux temps de la pastorale, et des bonnes volontés incompétentes. Mais alors que se répand l'analyse selon laquelle la même précarité sociale, économique et culturelle guette toujours davantage formateurs et formés, l'urgence est plutôt dans l'union et dans les actions de conscientisation mutuelle de ces publics. À l'AFL, nous  

penchons davantage pour cet objectif-lA, plus mobilisateur politiquement et plus efficace pédagogiquement. 

Anne MAHE 

  

  1. À.L. n°45 (mars 94) À 50 (juin 95).
  2. Le dossier que les À .L. n°58 consacrent À la formation et À l’illettrisme et en particulier le compte-rendu d’une table ronde.
  3. Il s’agit d’un texte de Marie Ange Favre, chargée d’études au CLAM de Marseille. L’origine de ce texte n’est pas indiquée.