La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°61  mars 1998

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novembre 1997
3èmes Assises nationales de la Lecture
l'université rurale


La Fédération Nationale des Foyers Ruraux a organisé les 10 et 11 décembre 1997 à Arras une Université rurale sur le thème Lecture et école publique : quels partenariats pour demain ? Le sous-titre : « un temps de dialogue et de recherche entre les acteurs locaux pour la mise en œuvre de politiques concertées et d'actions conduites en partenariat en faveur de la lecture publique en milieu rural » indiquait d'emblée la communauté des préoccupations des acteurs de cette rencontre et de ceux des Assises nationales. Un clivage, qui est peut-être plus souvent une mise en catégorie, semblait d'emblée invalidé entre le monde rural et celui des villes.


LES POLITIQUES GLOBALES DE LECTURE DANS UNE COMMUNE :
UN ENJEU POUR LE MONDE RURAL AUSSI !



Nous rendons compte ici du contenu de la première journée, consacrée à la position des deux institutions tutélaires de la lecture : Jean Claude Van Dam (Direction du livre et de la lecture) intervint tout d'abord au nom du Ministère de la Culture, suivi de Jean Hébrard pour le Ministère de l'Education Nationale.
L'intervention de Mme Barras, Présidente du Conseil Supérieur des Bibliothèques de la communauté française en Belgique a montré ce qu'une politique nationale volontaire de développement des bibliothèques en tant qu'espace d'éducation pour tous peut signifier en d'autres lieux… Deux journées d'échanges autour de pratiques ont suivi, organisées en ateliers de travail le plus souvent.

Que faut-il attendre d'une université rurale ?
En 1993, un groupe de travail s'est réuni pour définir le concept de l'université rurale et en faire un lieu où se produisent, pour les mouvements d'éducation populaire, des références théoriques :
- un thème
- une cellule d'organisation
- des interventions théoriques
- une production théorique (les actes)
L'université rurale est un événement qui rend compte de l'ancrage territorial des foyers ruraux et qui a pour effet de soutenir l'action locale. Elle doit correspondre à ce que sont les foyers ruraux dans leur espace : un territoire de convivialité et un réservoir de savoir, d'expériences de terrain, de réflexion théorique.

Quelle politique des foyers ruraux autour du livre et de la lecture ?
La fédération régionale du Nord Pas de Calais, hôte de cette 4ème université rurale, s'est illustrée par une politique du livre et de la lecture volontaire depuis 1984 : des dotations de livres et des créations de bibliothèques dans les villages aux différentes sessions d'animations et de formation ainsi qu'à la 1ère université rurale sur le livre et la lecture. À l'échelle du territoire, les fédérations conçoivent la bibliothèque comme lieu de vie et de ressources documentaires. Au cœur d'un partenariat, elles doivent être un élément d'un réseau dans un bassin de vie. C'est ainsi qu'en 1995, l'université rurale avait placé la bibliothèque comme élément du développement et de l'aménagement du territoire, appuyée sur la volonté des élus et la participation des habitants. Dans cette université rurale comme dans les suivantes, la question lancinante des rapports avec l'école se posait. Il est vrai qu'en milieu rural, les moyens manquent souvent et que la cohabitation d'une bibliothèque de lecture publique et de la BCD d'une école elle-même publique choque et fait naître des envies de rapprochement et de fusion des richesses, de mutualisation des compétences. Dans le respect des missions de chacun s'empresse-t-on d'ajouter…
Apprendre à se connaître… pour se respecter semblait le mot d'ordre ici.


Lecture publique, école et culture selon le Ministère de la Culture
(J.-Cl. Van Dam)

La question plus que d'actualité est récurrente et s'inscrit dans l'histoire passionnée qui connaît les orages et les séparations. Les institutions de la lecture en milieu rural sous la tutelle des collectivités territoriales, les BCD et les CDI sous celle du Ministère de l'Éducation nationale. Or le texte de loi ne règle pas en France les discordes : des règlements clairs régissent les bibliothèques scolaires et les personnels mais aucune loi n'énonce les missions culturelles, éducatives et sociales des bibliothèques publiques. Il est d'ailleurs peu probable que la loi en cours d'élaboration couvre les champs des bibliothèques scolaires et de lecture publique ; la culture professionnelle des enseignants et des agents de lecture publique sont différentes, les formations aussi. Le clivage domine ; l'idée d'associer les missions éducatives d'enseignement et de culture n'est historiquement pas posée. Ponctuellement des rapprochements se sont opérés par le plan BCD dans les écoles par exemple. Des retraits ont aussi été enregistrés : dans une circulaire de 1989, J. Gattegno rappelait aux BCP de ne pas servir de manière prioritaire les bibliothèques scolaires… Aujourd'hui tout se passe comme si l'urgence des problèmes posés imposait qu'on dépasse les énoncés théoriques et les blocages administratifs.

Parce que le livre et l'écrit apparaissent comme le socle de toute politique culturelle et de toutes les politiques d'intégration, le Ministère de la Culture opte pour des politiques globales et concertées qui permettent de dépasser les clivages et fait des jeunes sa cible prioritaire à la confluence de la politique culturelle et éducative. Dans cet esprit des initiatives sont prises et annoncées :

1) le Ministère de la Culture met en œuvre une politique de contrats «ville lecture» inspirée du concept de l'AFL et destinée à favoriser des partenariats au sein de la collectivité locale. Le cadre communal ou intercommunal s'avère le plus pertinent pour associer les partenaires concernés (lecture publique, école, parents d'élèves, professionnels du livre ou de l'écrit, associations, organismes inscrits dans les politiques d'intégration et de formation, d'alphabétisation).
Le 1er objectif est d'établir un constat, un bilan du lectorat, un état des pratiques de lecture et de la lecture publique, ses atouts et ses insuffisances. Le discours devrait se construire autour d'objectifs et de priorités locales tendant à mettre en réseau les BM et les BCD ainsi qu'à mettre en commun les formations. Le 2nd objectif est d'élaborer un plan de développement local qui :
- prévoira le développement du réseau de lecture publique,
- définira les projets partenariaux autour de l'écrit dans et hors de l'école et des bibliothèques,
- programmera la venue d'écrivains et de créateurs, acteurs de ces projets
- organisera la formation des acteurs associatifs, des enseignants, des bibliothécaires dans le domaine de la connaissance de la littérature contemporaine et jeunesse.
Ces contrats «Ville-Lecture» seront financés par des sources multiples : les collectivités territoriales, le Ministère de l'Éducation nationale et celui de la Culture. Ce dernier puisera sur des fonds particuliers d'une part et sur des fonds de droit commun gérés par les DRAC d'autre part. Les villages ne pourront vraisemblablement recourir à ces contrats que par la voie des organismes intercommunaux.
Par ailleurs si l'esprit de ce projet est bien celui de l'implication des villes dans leur politique de lecture et la participation accrue des acteurs et habitants, l'interrogation subsiste concernant la résistance que sauront opposer ces villes à des agences d'ingénierie et de développement culturel qui transformeraient le projet en audit, comme autant de produits d'évaluation sans nécessaire conséquence sur la participation citoyenne à l'action culturelle.


La lecture et la conversation au Ministère de l'Éducation nationale.
(J. Hébrard)

La lecture, plus qu'une question d'actualité, est devenue un thème majeur du débat et de l'inquiétude du public. Depuis les années 60, les propos alarmistes « on ne lit plus, on ne sait plus lire, l'école ne fait plus son travail » agissent comme une auto-intoxication. Pourtant les médias autres que la lecture ont toujours coexisté avec celle-ci (le cinéma faisant irruption dans les campagnes avant 1914, la radio outil de pénétration des foyers par les régimes totalitaires dans les années 20,…) ; la lecture a toujours été entourée de médias qui ne sont pas des médias de l'écrit : la situation actuelle n'est en aucun cas exceptionnelle.
Avant la lecture, dit Jean Hébrard, il y a la conversation, outil pour vivre socialement. Elle s'appuie sur un code commun (le langage) et sur le partage de ce à quoi renvoie ce code (l'échange de significations, d'expériences). L'interaction permet l'ajustement du message et le partage d'expériences. L'interaction assure l'ajustement progressif de la compréhension.
Or le livre, à certains moments de l'histoire des sociabilités de la lecture, peut récuser la conversation. 3 épisodes l'illustrent :

Enseigner la lecture aux élèves : après le Concile de Trente, au début de la Renaissance l'alphabétisation est au service de la transmission de la religion. Le catéchisme créé alors ne peut opérer que sur un public en cours d'alphabétisation ou alphabétisé. L'identité culturelle et religieuse est centrale et passe par la référence à un texte intangible et différenciateur. « Une fois le texte appris, il reste toute la vie pour le comprendre », mot pour signifier que le travail de compréhension du texte relève de la conversation qui s'instaure à son propos le dimanche matin à l'office.

Avant la Révolution, l'immense développement de l'alphabétisation. Alors que Paris, vers 1770, est entièrement alphabétisé, savoir lire sert à échapper aux deux institutions que sont la monarchie et la religion, ainsi qu'à penser des idées nouvelles. La lecture devient le lieu d'expression de l'inouï, du non su, de l'impensable. Les colporteurs diffusent à cette époque les livres de la Bibliothèque bleue ainsi que des livres interdits venus des Pays-Bas et de Suisse, sous couvert de livres pornographiques, qui font de leurs cibles privilégiées le roi, la reine et le pouvoir. Les clés de la lecture se trouvaient encore une fois dans les conversations, les paroles qui s'échangeaient autour de ces livres.
Parallèlement, la rue était le lieu d'existence de communautés d'interactions sauvages, populaires, non prévues autour des affiches apposées ou dans les cabinets de lecture. C'est la rue qui dit le sens des livres ou des textes. Un sens subversif, qui désacralise.

Aujourd'hui, existe-t-il des communautés d'échanges ?
Le pouvoir de la presse, issu de la critique littéraire du 19ème siècle, consiste aujourd'hui à produire le texte sur le livre qui ne prend son sens que par rapport à la conversation : « As-tu lu ce qu'écrit untel sur le livre de untel ? ». Existe-t-il d'autres communautés d'interprétation qui permettraient à la lecture de trouver sens dans l'espace social qui la porte ?
En milieu rural, le livre peut être occasion, prétexte à la recréation de cet espace très distendu : on voit au prix de combien d'efforts, l'école tient en milieu rural et maintient le réseau des échanges et des conversations sur le livre autour de l'enseignant et de sa parole. Mais tous les livres ne méritent pas nos paroles.
Lire, mais lire quoi ? Le verbe s'emploie comme pour lui-même ; il faut rétablir la transitivité de l'acte. Le verbe appelle le complément : lire un livre, lire ce texte,… c'est réaffirmer le droit et le devoir du choix des livres qui autorisent les médiations ; c'est aussi réclamer le droit à l'interprétation. C'est dans l'écart à l'attendu que se fonde la littérature (« tout livre est un piège, là où j'attendais B, l'auteur propose C ») et c'est la résolution de problèmes qui guide l'auteur et le lecteur, dans la production et dans la réception.
Pour développer une fréquentation de la littérature qui favorise les espaces de discussion et d'interprétation du sens porté par les livres, l'une des préoccupations ministérielles actuelles est au décloisonnement, à la réduction du clivage culture/apprentissage et passe, semble-t-il ici aussi par la voie de la formation commune aux différents professionnels qui interviennent en médiation du livre.


Des conditions pour démocratiser
(V. Barras)

Le contrat ville-lecture tel que le présente le Ministère de la Culture est d'une certaine manière déjà contenu dans la législation belge sur les bibliothèques publiques. L'obligation qui est faite aux bibliothèques de créer des comités de concertation autour d'elles correspond à un choix net : faire que ces espaces soient adaptés aux besoins d'éducation permanente des populations. Les bibliothèques publiques de communauté française ont en effet trouvé chez des législateurs politiques inscrits dans la volonté historique d'en faire des lieux qui tissent des liens avec les autres instances culturelles, associatives, sociales, avec les enseignants et la formation des instituteurs. Ces missions sont :
- dialoguer sur son territoire avec les élus, les mouvements associatifs, les enseignants, les responsables documentaires, etc.
- travailler avec des créateurs sur projet et hors les murs de la bibliothèque
- construire des relations de travail avec les autres bibliothèques locales. Les villes sont en général desservies par une bibliothèque principale pivot qui se doit d'assurer tous les services et 20 heures d'ouverture/semaine au public et de bibliothèques filiales qui assurent au moins 10heures/semaine le service jeunesse et adulte. S'ajoute à ceci un service itinérant ce qui dresse un tableau proche du service de lecture publique en France.

Cette notion de travail concerté semble prendre un tour nouveau et positif avec une nouvelle génération de bibliothécaires : travailler ensemble, considérer le rapport qu'il convient d'entretenir avec les non lecteurs (connaissance des publics), le partenariat avec les institutions scolaires leur paraissent être des préoccupations professionnelles essentielles d'où il faut construire des savoir-faire objectivés.
L'ombre au tableau : en Belgique, le milieu rural connaît une situation critique. En l'absence de volonté politique, un vide bibliothéconomique peut s'installer. Il est, là-bas aussi, urgent de sensibiliser les élus aux enjeux du développement culturel.

Nathalie Bois