La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°62  juin 1998

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note de lecture

Se construire dans le savoir
A l'école, en formation d'adultes

Odette BASSIS.
ESF Édition.

Le livre d'Odette Bassis est un livre qu'il faut lire par les temps qui courent, un livre d'artisan, un livre d'acteur, donc un livre non pas en retrait de l'expérience quotidienne mais en travail sur cette expérience, en construction théorique, par l'exercice d'opérations intellectuelles inséparables de l'entreprise de transformation du réel. On sait les liens d'Odette Bassis avec le GFEN et les difficultés de l'éducation nouvelle de poursuivre une réflexion sur le savoir et la culture avec cette tentation récurrente de les poser lA comme des objets isolables de l'histoire qui les a produits autant que des processus par lesquels ils sont advenus. Cette chosification du savoir et de la culture où se confondent les penseurs de droite et les penseurs au nom de la gauche est plus que jamais au centre de la réflexion et de l'action sur l'école. Et notamment, comme dans les ZEP, lorsque ses difficultés dévoilent paradoxalement ce qu'est cette école lorsqu'elle réussit.

L'ouvrage d'Odette Bassis me semble nécessaire aujourd'hui par l'effort dont il témoigne pour alimenter cette réflexion sur le savoir, pour en faire, non le résultat d'une aventure qu'on pourrait, dans cette opportune retraite sociale que serait la classe, s'approprier en tant que tel avant de se lancer soi-même dans l'aventure, mais dès le premier instant une aventure périlleuse contre la violence de l'état de fait. Le savoir est toujours ce qui se construit A partir du refus et on comprend bien alors le souci d'une classe dominante, A travers l'école, de canaliser ce refus, de décider lA où il est légitime. D'où les consternantes propositions actuelles, pour réussir A faire réussir les enfants de milieu populaire, qui consistent A les inviter A adopter les « postures » du fils de notaire, c'est-A-dire A partager ses refus. Et pourquoi pas l'inverse ?

Ce qu'Odette Bassis alimente par son travail, c'est bien cette réflexion sur ce qu'est « savoir », donc sur ce qu'est apprendre et quel peut bien être le rôle de l'enseignant lA dedans. Son premier chapitre questionne les certitudes didactiques actuelles et montre comment les processus d'invention diffèrent de l'explication ou de la démonstration sur lesquelles l'école sélectionne. Ce chapitre a d'autant plus de force qu'il prend appui sur le témoignage des sciences dures et qu'il interdit de confondre la problématique de l'éducation nouvelle avec un enfermement complaisant dans du senti/vécu. Comment redonner A la raison sa fonction d'agressivité en aidant l'individu par le groupe A concevoir ses savoirs dans la complexité, c'est le développement de ce livre A partir d'un travail en ZEP et d'une expérience fondatrice de formation d'enseignants au Tchad. On y retrouve cette nécessité de la démarche de projet dont les dérives délibérément provoquées par le système ne peuvent ni justifier le retour de l'école au mode traditionnel de construction/transmission de savoirs ni donner A l'éducation nouvelle cette mission, doublement vaine, de tenter d'y adapter, malgré tout, les enfants contre lesquels cette conception du savoir a été produite.
Jean Foucambert