La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°64  décembre 1998

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Lire au cycle 2
De la nécessité de théoriser

Tout apprentissage nécessite de théoriser


- Les actes de lecture : A l'heure où la nécessité de l'immersion des élèves dans un bain d'écrits variés et de qualité semble mettre d'accord enseignants et même inspecteurs généraux, on t'a souvent entendu réagir face A cet engouement par cette mise en garde : "Attention, un bain d'écrits, certes, mais pas sans théorisation ni systématisation qui en découle rigoureusement menées".
Qu'est-ce que pour toi la théorisation ? En quoi ce travail est-il indispensable ? Quelle est sa place dans la leçon de lecture ?

- Gilles Mondémé : Le bain d'écrits, s'il est nécessaire est loin d'être suffisant quand il n'est pas accompagné d'activités réflexives et d'entraînement. Je ne suis pas sans savoir que parfois même nous est fait le reproche de risquer de dénaturer le texte, de lui faire perdre toute sa magie, A trop vouloir le disséquer, pourtant, je persiste A affirmer qu'il est indispensable d'aider les enfants A se construire les repères indispensables A la maîtrise du système de l'écrit, A dégager un certain nombre de régularités de son fonctionnement, si l'on veut former des lecteurs et scripteurs "experts".
Dans tout apprentissage, théoriser avec l'apprenant, l'aider A théoriser, c'est indispensable pour qu'il parvienne A passer du stade de l'observation d'un fait particulier A celui de la généralisation, de l'abstraction, si l'on veut que s'élabore un savoir et qu'il puisse y avoir transfert dans d'autres situations d'apprentissage. Théoriser, c'est conceptualiser. C'est ce qui permet d'entrer dans l'apprentissage, sinon on reste dans le dressage, dans des réponses de type réflexe, des réponses A un stimulus sans faire de sens.


Théoriser sur l'écrit pour comprendre son fonctionnement

- A. L. : Théoriser sur de l'écrit, qu'est-ce que c'est ?

- G.M. : C'est dégager les règles de son fonctionnement pour apprendre A comprendre ce fonctionnement.
Qu'il s'agisse de repérer et conceptualiser comment et pourquoi le texte produit les effets qu'il produit, comment fonctionne le système de l'écrit, comment le texte s'inscrit dans le système plus général des autres textes. Si l'on fait référence A la métaphore de J. Bruner (1) : "Les livres sont comme ces îlots rocheux qui jaillissent de l'océan...", on peut dire que théoriser, c'est faire comme un plongeur qui essaierait de découvrir la partie immergée des îles, ce qui se tisse au-dessous.
Par exemple, A partir du mot "l'emplumé" (2) pour désigner le corbeau, on peut faire plusieurs théorisations :
- une portant sur le fonctionnement du texte, le ton adopté, l'humour avec la connotation péjorative, (la substantivation de l'adjectif emplumé précédé de l'article défini l')
- une sur le fonctionnement du système de l'écrit, A savoir ici, le principe de dérivation, une racine plume précédée du préfixe en, suivie du suffixe é (transformation d'un adjectif en nom), construction identique A celle utilisée pour les mots enfariné, endimanché, enrubanné, encapuchonné, envenimé, engraissé...
- une sur le fonctionnement du texte par rapport A d'autres textes (référence au corbeau de la fable de La Fontaine).

- A.L. : Mais c'est un travail qui demande d'exercer des compétences remarquables ?

- G.M. : Absolument. Si on considère avec Jérome Bruner (3) qu'un texte n'est jamais "orphelin", il convient de l'observer en tant que "parole située portant la trace de la force élocutoire de l'intentionnalité d'un émetteur. Dans la parole située, la signification devient culturelle et conventionnelle, il faut rétablir le contact entre les conventions linguistiques et la trame des conventions qui constituent une culture." C'est en théorisant qu'on apprend A rechercher ce lien, A le capter pour savoir se repérer dans cette trame, donner tout son sens, ses sens multiples au texte, augmenter ainsi ses possibilités d'interprétation et pouvoir réinvestir ces savoirs dans ses lectures A venir. Découvrir ce qui se tisse entre les divers éléments, A divers niveaux, comment ils se combinent pour donner du sens, pour répondre aux intentions de l'auteur sur son lecteur, un lecteur qui soupçonne le texte, qui va A la rencontre d'un auteur, A la recherche d'une écriture.
On va aider l'apprenti-lecteur A prendre de la distance par rapport au "flux discursif", A prendre conscience que l'auteur a fait des choix d'écriture pour produire des effets sur ses lecteurs, A aller A la recherche de ses intentions. Passer du stade de "l'écriture de l'aventure" (le flux discursif, l'histoire) au stade de "l'aventure de l'écriture" (l'utilisation par l'auteur des différents moyens linguistiques qui sont A sa disposition, son écriture). Sans ce recul du lecteur par rapport au texte, il n'y a pas de lecture véritable, pas de savoir lire, on reste dans les compétences de base (reconnaissance des mots, compréhension littérale de l'histoire, des personnages, des lieux...) ou, au mieux, approfondies (reconnaissance du type de texte, des thèmes, des techniques d'écriture...).

- A.L. : Il faut faire apparaître des choses qu'on ne voit pas ?

- G.M. : Exactement. Il s'agit de faire émerger ce qui est invisible dans le texte, essayer de rendre visible toutes les structures cachées, des structures qu'on retrouve A divers niveaux : "macro" (niveau du texte), "méso" (niveau du chapitre, du paragraphe et de la phrase), et "micro" (mots et microstructures qui les constituent).
Au niveau "macro", on étudie tout ce qui est de l'ordre de l'organisation spatiale, du type de texte, du schéma narratif, de la structure du conte, de la notion de quête, de personnage...
Du côté du "méso", on verra A l'intérieur du paragraphe ou de la phrase : les substituts, les connecteurs, le vocabulaire, l'énonciation, la ponctuation...). Dans Yakouba (4), on verra l'emploi des infinitifs pour évoquer comment le héros se représente l'épreuve initiatique, l'emploi des adjectifs habituellement réservés aux animaux pour qualifier les plantes ou le vent ; ou bien, ce sera les compléments de temps qui présentent les évènements dans Jojo la Mache (5) : Un jour, le lendemain, le surlendemain ; les références A La Fontaine haletant et honteux, tu as les yeux plus gros que le ventre, meurtri et vexé... dans Monsieur Renard.
Du côté du "micro", on aura A travailler sur les accords grammaticaux, les terminaisons verbales. les radicaux et affixes, la majuscule,...). Ce sera de rechercher pourquoi la vache s'appelle la Mache dans Jojo la Mache, de regarder comment les mots de Boujon sont fabriqués les arrosés, les espionnés (6), ou comment et pourquoi il désigne les animaux (en reprises anaphoriques) par un nom générique : le carnassier pour le renard, le ruminant pour le bœuf...
Le texte n'est pas seulement une suite de mots juxtaposés avec une syntaxe appropriée mais un tout organisé faisant partie du système général de l'écrit, en référence A d'autres textes qu'il prolonge ou amplifie, parodie ou détourne, avec des mots choisis par l'auteur pour leurs effets, une construction élaborée selon des intentions bien marquées.


C'est ça apprendre A lire

- A.L. : On voit un peu ce que pourraient chercher A découvrir des lecteurs confirmés A travers des activités d'observation, de démontage, et d'analyse du texte A divers niveaux. Mais comment faire avec des apprentis-lecteurs qui ne connaissent pas tous les mots ?

- G.M. : C'est ça apprendre A lire. Savoir lire ça n'est certainement pas savoir des mots isolés. C'est savoir que le mot l'emplumé, c'est plus que trois syllabes : em-plu-mé ; c'est de voir que sous ce mot, l'auteur a fait des choix, assemblé, combiné, construit, tissé et "rétabli(t) le contact entre les conventions linguistiques et la trame des conventions qui constituent une culture." (7) Si l'on souhaite former des lecteurs experts, c'est dès l'apprentissage de la lecture qu'il faut développer ces compétences remarquables, c'est A dire ayant accès A l'implicite. Ce n'est pas la maîtrise du code de correspondance grapho-phonologique qui permet de les acquérir ou de s'y entraîner. Un mot n'arrive jamais seul, il dépend du contexte dans lequel il est utilisé, il apparaît au croisement de plusieurs champs : syntaxique (c'est un nom, un sujet inversé), sémantique (il désigne le corbeau), graphique (on peut le décomposer en monèmes), il résulte de l'écriture de l'auteur (on retrouve la substantivation de l'adjectif), il véhicule des références culturelles (renvoi A La Fontaine). Bien entendu, si un mot n'est pas connu, on le donne (le maître ou un enfant qui le sait) et ensuite on va l'apprendre mais pas n'importe comment, seulement après avoir repéré et analysé ces divers niveaux de fonctionnement. En enseignant uniquement les trois syllabes em-plu-mé, on empêche de voir tout ça.


A quel moment fait-on de la théorisation ?

- G.M. : Tout le temps. Au moment de la découverte du texte, d'abord, pour repérer, mettre A jour comment on a fait interagir le graphique avec ce qu'on sait déjA de l'histoire, de l'auteur, du monde..., comment cela infirme ou confirme les hypothèses, comment ça évolue. On regardera donc des points qui portent sur l'écriture du texte (présence de dialogues, structures récurrentes, rapport texte et illustration, références A l'auteur si on le connaît déjA, A son écriture, au type de texte...) Puis, il y a la séquence "théorisation" du dispositif de la leçon de lecture qui découle de la question de recherche, qui porte sur l'écriture et qui est une séquence A part entière au cours de laquelle on focalise plus particulièrement parmi toutes les théorisations possibles sur celle qui va faire l'objet d'un travail spécifique et qui mettra en œuvre une batterie d'exercices d'entraînement.
Il y a A distinguer des théorisations qui sont des rappels de ce qu'on a déjA vu ailleurs et qui vérifient des règles provisoires qu'on s'était données, et puis des théorisations sur des choses nouvelles sur lesquelles on va travailler dans cette leçon-lA.
Sachant qu'il est vrai qu'on théorise tout le temps, dans chaque partie du dispositif, il peut et devrait y avoir des éléments de théorisation, sur les exercices, A propos des exercices, sur les stratégies, les objectifs poursuivis, (c'est ce qui donne du sens aux exercices, ils doivent renvoyer A une généralisation), également sur la mise en réseau, la production d'écrit, quand on fait le point sur ce qu'on sait déjA très bien, pas encore tout A fait, pas du tout...


Théoriser, oui, mais comment ?

- A.L. : En pratique, comment procéder ?

- G.M. : Il s'agit d'organiser un discours sur le discours. Il ne suffit pas de dire les choses, il faut les faire apparaître mais vraiment, en s'adressant A la vue, d'un point de vue sensoriel.
Dans le temps de théorisation, nous sommes dans une "médiation sémiotique décontextualisée" (8) puisqu'il s'agit d'introduire des formes de conceptualisation : on sort de l'histoire, des événements, du flux discursif ( le contexte) et on s'arrête (hors du contexte) suivant un effet de zoom pour démonter, observer, classer, catégoriser. On établira donc des listes, des ensembles, des tableaux, on classera, on étiquettera... Et pour nommer ces observations classées et répertoriées, on emploiera les "mots du métier", le métalangage, pour "matérialiser" ces activités métalexiques ; l'emploi du métalangage est le garant de l'acquisition d'un concept ; ce passage par le métalangage est essentiel, Vygotski dit que "le mot est toujours prêt lorsque le concept l'est". On construit déjA le concept en triant, catégorisant puis on se l'approprie, on le nomme.
Si on admet que la théorisation du paysage est le plan ou la carte, on peut voir la théorisation sur le texte comme différents types de plans où les choses seront organisées non plus dans leur déroulement linéaire mais où on les fera apparaître dans un tableau faisant ressortir l'organisation interne du texte, avec deux dimensions, et lA, on est en plein dans la "raison graphique" selon Goody. Le tableau met A jour "l'aventure de l'écriture", il permet d'englober la totalité des choses, non plus les faits rapportés mais l'organisation, le tissage (la chaîne et la trame qui constituent tout tissu, d'ailleurs texte, étymologiquement, c'est tissu).
Toutes ces activités de tri, de classement, d'étiquetage se font en groupes hétérogènes permettant échanges, confrontation, collaboration, mutualisation des savoirs.


Le récit, un support privilégié pour théoriser

- A.L. : Et pourquoi donnes-tu la priorité au récit pour la leçon de lecture ?

- G.M. : Effectivement je privilégie le récit comme support de leçon de lecture, il m'arrive aussi de travailler sur des textes documentaires, des lettres, des notices explicatives, des énoncés de problème... lorsqu'un projet dans la classe le justifie. Il est intéressant et indispensable d'aborder des types de textes variés, leurs caractéristiques linguistiques étant différentes, ils permettront de théoriser sur des points spécifiques du système de l'écrit.
Mais j'accorde une large place au récit, car avec le récit, le projet est différent. Il me semble plus fonctionnel dans le sens de plus important, plus vital, d'apprendre A lire en théorisant sur des visions du monde, des mises en scène de relations humaines. Le récit permet le pilotage par le culturel. Il offre la possibilité de donner des repères culturels, or, pour apprendre A lire, beaucoup d'enfants ont plus besoin d'avoir des repères culturels que de savoir des mots. De plus, avec le récit, on peut aborder une façon particulière et particulièrement intéressante de se servir de la langue. Par exemple, dans un texte documentaire, l'adjectif emplumé ne serait pas substantivé, il aurait une signification précise (avec des plumes) type définition de dictionnaire. Alors que "l'emplumé" de Boujon est porteur de plein de sens différents produits par le contexte, l'écriture, les connotations, les références du lecteur et de l'auteur... dans un récit, les mots sont souvent chargés de sens multiples et permettent l'interprétation.
C'est encore Jérome Bruner que je vais citer "...un récit, ce n'est pas seulement le dramatisme ou la structure d'une intrigue. Ce n'est pas non plus seulement de l'historicité ou de la diachronicité. C'est aussi une façon de se servir de la langue. Il semble en effet que son efficacité dépende... de sa littérarité, y compris dans les récits des événements de tous les jours. Elle dépend A un point difficilement imaginable du pouvoir des figures de rhétorique (métaphores, métonymies, synecdoques, implications, etc...). Sans elles le récit perd de sa capacité A étendre l'horizon des possibilités, A explorer tout l'éventail des connexions entre ce qui est l'exceptionnel et l'ordinaire..." (9)

- A.L. : Avec le récit on peut donc aborder la langue littéraire ?

- G.M. : Oui, mais pas seulement par souci d'aborder la langue dans toute sa richesse, dans toute sa complexité. Le récit permet le mieux d'articuler des théorisations sur ce qui fait fonctionner un texte en tant que tel, sur ce qui le fait fonctionner par rapport A d'autres textes (intertextualité), sur le système de l'écrit (utilisation de la langue dans toutes ses possibilités).
Ce qu'offre le récit, c'est la création et la transmission de significations plus larges. A l'inverse du simple exposé de la réalité, la fiction se caractérise par le fait qu'elle place les événements dans un horizon aux possibilités plus vastes, "L'histoire qu'elle soit appuyée sur les faits ou qu'elle soit imaginaire invite A reconstruire ce qui aurait pu arriver" explique Paul Ricœur (cité par J. Bruner) Le récit permet diverses interprétations et même y invite.
Il permet au lecteur de s'identifier, de vivre par procuration des expériences, de procéder A une sorte "d'essayage" psychologique, en combinant des éléments de la réalité avec des "aspects relevant d'une imagination façonnée par la culture." (10)
On peut voir le récit, comme un "médiateur entre le monde canonique de la culture et le monde des croyances, des désirs et des espoirs... Il rappelle les normes de la société sans être didactique." (11)
Une des fonctions du récit est de créer et de transmettre des représentations du monde. Quand on donne A lire un récit, il est essentiel de s'interroger sur les raisons qu'on a de le donner A lire, et aussi dans quel contexte et pourquoi il a été écrit. Par exemple, dans le conte anglais Les Trois petits cochons, parution contemporaine du Capital de Marx, il est clair que l'auteur fait l'apologie de l'effort, de l'économie et de la débrouillardise individuelle. Au contraire, dans Les trois petites cochonnes (12), détournement du conte anglais, Frédéric Stehr, auteur contemporain, prend les valeurs A contre-courant, propose un autre système de valeurs sous un discours féministe.
On théorise sur des récits pour aider A se distancier de l'histoire, A se situer, dans une perspective d'acculturation.


Le fonctionnement du lecteur et la théorisation

- A.L. : A L'AFL, on parle souvent de fonctionnement de lecteur, la théorisation peut-elle porter sur cet aspect ?

- G.M. : Il est indispensable de théoriser sur la manière d'être lecteur, de rendre conscient ce qu'on fait quand on est lecteur. Le lecteur adulte, quand il aborde un texte oublie ce qui s'est passé en amont au niveau de son projet, de sa connaissance du monde, de l'écrit... , d'une part et , d'autre part, de ce qui se passe en même temps qu'il lit : l'interaction entre le graphique et le sémantique.
Lire, c'est faire interagir des procédures de haut niveau qui gèrent le sémantique, les concepts, les connaissances et des procédures de bas niveau qui traitent le graphique, les données, le texte. Dans notre conception de l'acte lexique, le sémantique pilote le traitement graphique.
Prendre conscience de ce qu'il faut savoir faire pour lire, de la manière d'être lecteur, c'est prendre conscience de cette interaction.
La mise en scène pédagogique de la "découverte" du texte va permettre la mise en évidence de cette interaction et de la modéliser.

Voici une description sommaire d'une mise en scène (l'objectif est de faire agir les deux procédures avec pilotage par le sémantique) :
Le texte et les illustrations sont affichés dans leur présentation originale mais les mots apparaissent "en silhouettes" car les lettres sont masquées par des traits. (feutre noir indélébile feutre noir indélébile)
La ponctuation est rendue plus visible car repassée en rouge. (le rôle de la ponctuation est souvent négligé dans l'apprentissage de la lecture alors qu'elle apporte des indices très important, on dit souvent qu'elle est l'orthographe du texte)
Les hypothèses émises sont prises en notes, en tenant compte A la fois de l'architecture de surface du texte : les paragraphes, les phrases, les mots, la ponctuation, [le graphique], des illustrations, de ce qu'on connaît de l'histoire, de l'écriture de l'auteur (chez Boujon on attend autre chose que vache : ruminant, brouteur d'herbe …), de la psychologie des personnages … [le sémantique]. Il faut faire sentir, comprendre, qu'on écrit des idées et pas des mots.
Ces hypothèses sont vérifiées partiellement par recherche des mots "lourds" (de sens) : noms, verbes, adjectifs, adverbes... [le sémantique] dans la liste alphabétique des mots du texte [le graphique].
On revient au dictionnaire du texte et on alloue les mots "lourds" de la liste non pointés (bovidés pour vaches) [ le graphique] A des paragraphes d'où l'apparition de nouvelles hypothèses [le sémantique].
Une synthèse et la vérification des différentes hypothèses par la lecture du texte [le sémantique et le graphique] sont enfin effectuées.
Cette mise en scène rend compte des différents plans (texte, § et phrases, mots) où les deux procédures interagissent.
Dans la séquence théorisation de la leçon de lecture, grâce A un mouvement de type zoom, on va s'intéresser au fonctionnement du texte, il faut l'avoir en tête pour le comprendre.
On traite d'abord de l'architecture de surface par l'étude de la ponctuation, du découpage en paragraphes, des zones de dialogues ou de narration, de description … Le texte étant rétroprojeté sur un écran, on entoure ces zones et on titre chaque § soit en reprenant un ou des mots du texte soit en faisant référence au schéma narratif. Le rétroprojecteur étant éteint, il apparaît alors une première structure vide qui va permettre de resituer géographiquement des scènes, des événements, des dialogues …
On va ensuite traiter les reprises anaphoriques des personnages (groupes nominaux, pronoms,..) les indications de lieux, du temps, de cause …, les verbes.
Le texte étant rétroprojeté, ces différents éléments vont être soulignés, entourés, identifiés par un code de couleur. Quand le texte disparaît, c'est une nouvelle structure qui se révèle.
Une troisième étude peut consister A repasser les mots-outils (déterminants, prépositions, adverbes, pronoms…) et A souligner les autres mots (noms, adjectifs, verbes). Quand le texte disparaît on a donc A traiter une sorte d'exercice A trous où ne subsistent que les mots-outils.
Il peut paraître pour le moins saugrenu de construire des séquences de lecture quand les mots sont dégradés au point de ne plus pouvoir reconnaître les lettres qui les composent voire même quand ils disparaissent complètement ! Et pourtant c'est bien A travers ces différentes cartographies, qu'on va mettre en évidence qu'un texte n'est pas composé de mots juxtaposés mais organisés suivant des structures plus ou moins complexifiées. Il s'agit de rendre conscient ce qui se fait quand on est lecteur, donc ce qu'il faut apprendre A faire, ce qu'il ne faut pas faire seulement, A savoir, lire les mots l'un après l'autre. Il faut automatiser ce comportement.

- A.L. : Tu as donc le souci de former des lecteurs experts dès l'apprentissage ?

- G.M. : Il faut théoriser pour apprendre.
Tout ce travail de théorisation a pour objectif de comprendre, d'apprendre et de faire fonctionner le système de l'écrit. Il concourt A faire acquérir des compétences remarquables dès le cycle 2, A former des lecteurs qui soupçonnent le texte, vont A la recherche des intentions de l'auteur, discernent les effets pour mieux les savourer ou s'en méfier, replacent le texte dans un réseau d'autres textes.
Dans chaque partie du dispositif "leçon de lecture" il devrait y avoir théorisation suivie de systématisation.
C'est au cours de ces activités de théorisation que va s'effectuer ce que Vygotski (13) appelle le passage de "l'interpsychique" : communication avec l'adulte, coopération avec les autres enfants, dans un groupe hétérogène, A "l'intrapsychique" : intériorisation, conquête, appropriation individuelle des concepts élaborés dans ce groupe.
Ce sont aussi ces activités qui donneront A l'enseignant des indications sur une sorte de "zone proximale de développement" (14) pour sa classe et l'aideront A mieux cerner le minimum et le maximum que sa classe sait faire A ce moment-lA. A


(1) ... Car la culture donne forme A l'esprit. Georg Eschel

(2) Bon appétit, Monsieur Renard. Claude Boujon, Ecole des Loisirs

(3) op.cit.

(4) Yakouba. Thierry Dedieu, Seuil Jeunesse

(5) Jojo la Mache. Olivier Douzou, Ed. du Rouergue

(6) L'intrus. Claude Boujon, Ecole des Loisirs

(7) J. Bruner. Op.cit.

(8) Vygotski aujourd'hui, B. Schneuvly, J.P. Bronckart, Delaschaux et Niestlé.

(9) Op. cit.

(10) J. Bruner, op.cit.

(11) Op.cit.

(12) Les trois petites cochonnes. F.Stehr, Ecole des Loisirs

(13) Vygotski, op.cit.

Propos recueillis par Jo et André MOUREY