La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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LU

Apprendre A lire, bâtir une culture au CP : une année de lecture.  

J. Boussion, M. Schöttke, C. Tauveron, Hachette éducation, 
1998 - (Pédagogie pratique A l'école) - 287p. 

Alors que certains éditeurs osent encore sortir des manuels entièrement fondés sur la méthode syllabique (Coucou Lilou, Frisapla, pour ne citer que deux titres très récents), d'autres réfléchissent A la manière d'aider les jeunes enseignants, et les moins jeunes, A faire de leurs élèves des lecteurs de textes, et ainsi, fondamentalement, des lecteurs experts. 

Le sommaire de cet ouvrage attire très vite l'attention : ce sont des titres de textes qui constituent les têtes de chapitres, textes de fiction, textes documentaires, textes pour agir, textes poétiques, BD, fables, textes mythologiques... Outre les différents types de textes, apparaissent des préoccupations telles que structure d'histoire, lecture de dialogues, parcours du personnage, progression de l'information, organisation des documents, notion de point de vue, lecture et chronologie, lecture comparée, autant d'éléments de fonctionnement d’un texte, en vue d'une lecture interprétative. On relève aussi l'attention portée aux stratégies de lecture, puis au fonctionnement de la langue: les noms génériques et leur référent, la syntaxe de la phrase, les groupes essentiels dans la phrase, l'orthographe lexicale, etc. Enfin, la production d’écrit est présente dans le prolongement de chaque étude de texte. On retrouve, dans l'ensemble de cette approche, l'influence des travaux de Catherine Tauveron sur le personnage et le texte littéraire.
Le programme annoncé semble prometteur, et l'on se réjouit qu'il soit proposé au CP, que l'on cesse enfin de prendre ce dernier pour la première roue d'un chariot A construire en lego ! 

Jean Foucambert regrettait la distinction en strates des compétences de base, approfondies et remarquables : «Quand se décidera-t-on A enseigner la lecture ?» (A.L. n°54, juin 96, p.66). L'introduction de ce livre propose une réponse positive : «Nous postulons, pour notre part, qu'on ne forme pas des lecteurs véritables en n'ayant d'autre visée que le développement de techniques de base et d'autres supports que des textes "transparents" qui dévalorisent leurs destinataires. Nous proposons donc, dès le début de l'apprentissage, des textes narratifs exigeants, d'accès non immédiat, riches symboliquement ou générant des conflits d'interprétation que seul le lecteur peut résoudre, non pour mettre l'enfant gratuitement en difficulté mais pour lui apprendre précisément A cheminer dès le départ dans cette difficulté et A adopter la posture de lecture adéquate.», d'aucuns auraient dit "la manière d'être lecteur"...

La lecture de l'ensemble de l'ouvrage confirme une vigilance sur le choix des textes : ils sont parfois ambitieux (lecture d'un recueil poétique complet en novembre, étude comparative de l'écriture d'au moins 6 textes classiques et modernes autour du personnage de la grenouille, par exemple) ; parfois aussi, ils le sont moins (les textes documentaires sur les oiseaux), mais ils font, A chaque fois, l'objet d'un travail approfondi et leur enchaînement est réfléchi. On pourrait peut-être remarquer que ces textes tiennent les enfants éloignés d'une réflexion sur leur vie...

A lire ce livre dans la peau d'un enseignant "désireux d'apprendre A lire autrement qu'A l'aide de manuels traditionnels", on peut être heureux des précautions ou précisions apportées dans certaines formulations : jamais il n'y a confusion sur le mot "écriture", réservé A la production d'écrit, l'autre acception du mot est nommée "calligraphie" et même, seconde précaution non des moindres, "calligraphie accompagnée" ; d'autre part, les liens établis vers les autres disciplines linguistiques sont explicites : «orthographe porteuse de sens», lit-on, (on y verrait presque une redondance), donc qu'on ne peut séparer de l'activité de lecture. Les indications relatives A l'élaboration d'outils collectifs vont également dans ce sens et montrent comment peuvent être présentés rigoureusement les apprentissages linguistiques.
 
Mais l'une des préoccupations des enseignants n'est pas traitée : quelle est l'organisation de la classe au moment de la découverte du texte ? Une réponse se décèle entre les lignes : les enfants semblent en collectif face au texte (mais toute latitude est laissée A l'enseignant) et leur activité semble essentiellement orale. 

Puis se pose une question majeure : quelle représentation de la lecture les enfants construisent-ils ? Nous avons beaucoup parlé des préoccupations des auteurs relativement aux supports textuels. Voyons un deuxième aspect. Comme Bernard Devanne, dans Conduire un CP (Lire & écrire, des apprentissages culturels. 3. - Colin, 1997), les trois pédagogues clermontaises insistent sur l'association lecture et culture (par les textes) et consacrent au code graphophonologique l'extrême fin du livre, en l'occurrence les 15 dernières pages sur 287 ! Elles soulignent, en effet, que la travail sur les graphies-phonies n'est ni un préalable, (au contraire, elles sont préconisées a posteriori), ni une activité de lecture !
Malgré tout, on ne peut l'omettre, elles en proposent une étude systématique (4 séquences hebdomadaires de 25 minutes chacune !) avec progression et programmation annuelle, ce qui n'est pas sans conséquence : le faible développement du volet "Exercices" tient sans doute A la place A réserver A cette étude des phonèmes et graphèmes. D'autre part, l'attention accordée aux mots sous cet angle se retrouve dans les découvertes de texte, au cours desquelles une part importante de l'activité consiste A décoder des mots nouveaux...

Lorsque l'on imagine une semaine de lecture ainsi menée, on se prend A se demander si les enfants ne risquent pas de se focaliser sur le repérage des mots, perdant une grande partie de l'intérêt de l'approche textuelle. L'introduction de l'ouvrage laissait pourtant croire que la «spécificité scripturale» des textes rendait l'activité fine du lecteur primordiale. Quand se décidera-t-on A accepter que l'on peut apprendre A lire sans recourir au décodage ? Ce livre donne l'impression que l'on n'ose franchir le pas...

Que l'on accepte aussi que l'on s'étonne de voir les premiers jours considérés comme un début, comme une entrée dans l'apprentissage de la lecture. Le CP n'est-il pas la deuxième année du cycle 2 ? Et le cycle 1 n'a-t-il pas joué son rôle en matière d'apprentissage de lecture et d'écriture ?

Enfin, il me semble étonnant, mais ce n'est pas la première fois, qu'un tel livre nourri d'autant de références n'affiche aucune source autre que de rares indications ponctuelles sur des points techniques en bas de page ? Pas de bibliographie. Comment les auteurs ont-elles fondé leurs convictions ?

 
Annie Janicot