La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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QUOI LA RECHERCHE ?

Colloque sur l'École du XXIème siècle, États généraux de la lecture, bureau de la valorisation des innovations... De la Charte du XXIème siècle A la réforme des lycées en passant par le collège des années 2000, c'est une prescription généralisée de réussite qui s'impose au système scolaire français. Sur l'ordonnance, les mots "recherche" et "innovation" sont repris si souvent qu'ils évoquent plus la méthode Coué qu'une médication soignée. S'il n'est pas question dans ces pages de mettre en cause le bien fondé de l'innovation - l'AFL avec quelques compagnons de route la fait vivre depuis longtemps - ou celui de la recherche - les plaidoyers pour la recherche-action jalonnent comme autant de repères la plupart des 66 numéros précédant celui-ci - il se pourrait qu'une approche critique révèle ce que les discours s'attachent A cacher.

«Les pouvoirs publics devront renoncer A l'idée que l'innovation ne concerne que quelques-uns pour un temps limité» écrivait Jean-Pierre Bénichou dans le numéro de juin 1998. Qu'est-ce qui, un an après, permet de penser qu'il a été entendu ? «L'école du XXIème siècle... est un cadre et une mise en cohérence qui clarifiera les actions et simplifiera votre travail» répond Claude Allègre dans l'intervention qui ouvre le colloque sur l'école du XXIème siècle A la Cité des sciences le 23 janvier dernier. Et de poursuivre : «toutes les autres écoles seront informées par l'INRP des résultats obtenus dans l'échantillon pour pouvoir se préparer.» Doit-on comprendre qu'il s'agit de généraliser les façons de faire auxquelles une observation, plus statistique que scientifique, servira de caution ? Le risque serait de s'en satisfaire tant il est vrai que sont majoritaires dans l'école, ceux qui attendent de la recherche qu'elle réponde A leur soif de certitude. Mais l'aspiration du corps enseignant dans son ensemble A la vérité pédagogique n'est que le reflet de son souci d'être sûr, dans l'intérêt des élèves, de ne pas se tromper : une liste finie de savoirs A faire apprendre, associée A une liste tout autant finie de méthodes pour y parvenir, le rassure et lui ôte le sentiment d'une responsabilité dont on l'accable trop souvent. Pour autant, cette posture dévoile un goût pour l'universel qui n'est pas sans rappeler ce qu'écrit Maurice Blanchot A propos de l'écrivain classique : «Le calme d'une forme réglée, la certitude d'une parole libérée du caprice, où parle la généralité impersonnelle, lui assurent un rapport avec la vérité.» L'enseignant classique, parce que tout autour de lui l'y encourage, tend A «se satisfaire de la solitude de la raison (...) qui n'est en fait que l'équilibre d'une société aristocratique ordonnée, c'est A dire le contentement noble d'une partie de la société qui concentre en elle le tout, en s'isolant et en se maintenant au-dessus de ce qui la fait vivre.» 

L'AFL entretient de longue date avec la recherche pédagogique une relation permanente d'une tout autre nature. Les travaux dans lesquels elle s'engage avec l'INRP conduisent de nombreux enseignants dans un mouvement qui va de la question A une réponse et de la réponse A une nouvelle formulation de la question. Son hypothèse fondamentale est que les savoirs nouveaux s'élaborent dans des pratiques effectives de transformation du réel. C'est le premier intérêt de la recherche-action de type stratégique qui dialectise les deux concepts "recherche" et "action" et permet aux participants de mener A bien une action consciente et réfléchie (*). Or, c'est précisément parce que la recherche-action permet A des praticiens de produire des connaissances qu'elle se heurte A une hostilité qui vise A lui enlever sa légitimité, en la discréditant sous des prétextes toujours renouvelés. Au bout du compte, ce qui continue d'agacer dans la recherche-action, c'est qu'elle introduit de fait, dans le champ scientifique, une nouvelle catégorie d'acteurs susceptibles de capitaliser ces biens symboliques dont Pierre Bourdieu a depuis longtemps démontré que l'accumulation assure le pouvoir. Il n'est, pour s'en convaincre, qu'A observer tous ceux qui, nouvellement promus, s'empressent d'adopter un comportement de nouveaux riches.

La nécessaire prise de conscience de ce qui est A l'oeuvre dans la constitution du capital symbolique est certainement l'autre intérêt de la recherche-action. Cette prise de conscience donne toute sa mesure quand elle se transforme en acte de résistance chez des militants.
 
 
   

(*) Lire La recherche-action in Les actes de l'université d'été de Cahors - session 1998. AFL – 1999.

 
Paule Bichi