La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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DES PROPOSITIONS

Les États Généraux se sont terminés par l’énoncé ministériel, lors de la plénière de clôture, des 12 initiatives concrètes pour la lecture et les langages suivantes : 

w Relancer une vraie politique des cycles pédagogiques (aide individualisée A l’élève et travail en équipe des enseignants).
w Perfectionner les évaluations nationales : diffuser la pratique des évaluations de terrain.

w Mieux valoriser les compétences des réseaux d’aide et de soutien aux élèves en difficulté (RASED).

w Apprendre en continu : liaisons GS/CP, CM2/6ème, 3ème/2de.

w Clarifier les objectifs pédagogiques en maternelle.

w Mieux intégrer les BCD et CDI dans les pratiques pédagogiques.

w Mieux définir comment les nouvelles technologies peuvent être mises au service de la lecture et des langages.

w Former les équipes pour accompagner l’évolution du métier.

w Une recherche-action sur les pratiques d’apprentissage.

w Éduquer A l’image (EDUC’IMAGE)

w Quelles actions pour les jeunes illettrés.

w Diffuser les ateliers d’écriture, de lecture et langages pour tous.

Les contributions de l’AFL ces vingt dernières années croisent plusieurs des préoccupations énumérées. C’est pourquoi les actes de lecture ont choisi d’en reprendre cinq pour les soumettre au crible de l’analyse (position de la question) et pour avancer nos propres suggestions de traduction dans les actes (et maintenant ?).
 
 
 
 

1ère initiative

RELANCER UNE VRAIE POLITIQUE DES CYCLES PÉDAGOGIQUES
Aide individualisée A l’élève et travail en équipe des enseignants

Les cycles ont été expérimentés sous l'égide de l'INRP entre 1972 et 1981. Depuis, des écoles n'ont jamais cessé d'en faire évoluer le fonctionnement. Les textes de 1989 ne se voulaient guère injonctifs et il est assuré que personne n'est entré dans l'illégalité en ne les appliquant pas. Que leur réactualisation, dix ans après, figure parmi les initiatives concrètes pour la lecture et les langages constitue une bonne nouvelle.
Nous voulons l'accompagner en formulant quelques conseils que notre ancienneté dans la nouveauté nous inspire.

1) Les cycles, A l'origine, ont été expérimentés non comme une fin mais comme un moyen pour transformer l'organisation générale de l'école primaire (maternelle + élémentaire) ; un moyen non pas parmi d'autres, mais inséparable d'autres, tels que l'existence d'ateliers généraux, notamment la BCD, l'ouverture sur le milieu, le fonctionnement en projet, le travail en équipe des enseignants comme des élèves, l'articulation entre des groupes hétérogènes pour apprendre et des moments individualisés pour être enseigné, une plus grande souplesse du temps afin de réduire les échecs et les retards, etc… Les cycles, dans cette perspective synthétique, apparaissent comme un principe facilitateur. Sans cette perspective, ils constituent une contrainte qui vient s'ajouter A la déjA lourde tâche de la classe.

2) Il n'est pas souhaitable de maintenir l'écart entre l'organisation administrative et l'organisation pédagogique. L'école primaire est la réunion des 3 cycles, comme elle était autrefois la réunion de la maternelle et de l'élémentaire. Dans les petites structures, un directeur pour le primaire, dans les structures plus importantes, un collège de 3 directeurs (un par cycle). Un directeur de cycle intervient pour 50% de son temps dans le travail pédagogique et pour le reste par moitié dans la direction de l'école primaire et dans la coordination du cycle.

3) Un cycle offre sur 3 ans la garantie de la continuité et de la cohérence pour un apprentissage. La manière la plus facile d'en être assuré consiste en ce que l'enseignant suive ses élèves sur le cycle soit en venant les prendre pour la totalité de l'effectif de sa classe, une fois tous les 3 ans en début de cycle (petite section, grande section, CE2), soit chaque année en renouvelant par tiers l'effectif de sa classe. La manière la plus difficile est celle qui ne change rien car elle suppose une concertation entre les enseignants des cours/années (GS, CP, CE1 par exemple). Cette manière impose en effet des contraintes supplémentaires aux enseignants, un surcroît de concertation et un alignement moyen des pratiques ainsi qu'un suivi toujours problématique du franchissement d'une année sur l'autre.

4) Le cycle est l'occasion de réaliser une hétérogénéité du groupe classe nécessaire aux apprentissages individuels. Le principe le plus fondateur de l'organisation en cycles (la première raison de les mettre en place) repose sur la nécessaire hétérogénéité du groupe comme lieu d'apprentissage, dès lors qu'il s'agit non pas d'acquérir ou de se faire transmettre des connaissances mais de développer des conduites complexes impliquées dans des rapports sociaux. Les apprentissages de langage (oral, écrit, mathématique), d'intervention dans le monde social et physique relèvent de ce compagnonnage qui suppose une diversité des manières d'être, des performances et des engagements, A partir de quoi l'enseignement peut devenir ce qu'il doit être, un type d'interventions très spécialisées pour travailler sur l'expérience, pour la décontextualiser, la théoriser, en construire progressivement les invariants que sont les concepts, les outils d'analyse et les formes de pensée. C'est l'hétérogénéité du groupe qui fait exister cette zone proximale de développement dans laquelle ce qui se réussit aujourd'hui avec l'aide des autres prépare ce qu'on saura faire demain tout seul.
On parle toujours, et bien plus qu'on ne la réalise, de l'individualisation nécessaire de l'enseignement. Celle-ci ne peut exister qu'A partir d'une socialisation de l'apprentissage. L'hétérogénéité du groupe en est la condition. Le cycle, sa forme scolaire de réalisation.

5) Si on rapproche cette condition d'hétérogénéité de la condition précédente de cohérence et de continuité, on voit qu'une forme de constitution du groupe classe l'emporte en commodité sur les autres, celle où le groupe se renouvelle par tiers tous les ans. C'est le mode de fonctionnement où les savoirs se mutualisent, où il ne peut y avoir que coopération et mise en commun et non individualisme et compétition. En d'autres termes, si le principe du cycle est retenu par le ministère, ce ne peut être qu'au nom de la continuité, de la cohérence et de l'hétérogénéité comme conditions de la réussite de tous. Dès lors, le maintien du groupe classe correspondant A un seul cours, A un niveau d'élèves et un programme d'enseignement annuel constitue l'option la plus difficile, voire la plus hasardeuse, pour réunir les conditions de cette réussite. C'est dire que la formation initiale et la formation continue doivent se mobiliser autour de la transformation rapide des organisations d'école, en faisant porter les efforts sur les résistances. En ce sens, deux autres initiatives trouveraient un terrain de réalisation concrète dans cette relance des cycles : la recherche-action sur les pratiques d'apprentissage et l'apprentissage en continu grâce aux liaisons entre cycles, encore faut-il qu'ils existent.
En bref, le cycle n'est pas la juxtaposition de 3 cours au cours desquels on ne redoublerait pas mais une nouvelle unité reposant sur des principes pédagogiques profondément différents ; ou comment passer A une école articulant apprentissage et enseignement.
 
   

Lire :

w Évaluation comparée de 4 types de pédagogie A l’école élémentaire, Jean Foucambert, INRP (mars 1977- avril 1979)
w Ce que vit l’enfant de CP, INRP, 1980
w Organisation de l’école en cycles, apports de la recherche. Journée d’études de l’AFL. A.L. n°34, juin 1991, pp.61 – 104.

 
Jean Foucambert