La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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 DES PROPOSITIONS

6ème initiative
MIEUX INTÉGRER LES BCD ET CDI DANS LES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES  

Le développement des bibliothèques centres documentaires (BCD) et des centres de documentation et d’information (CDI) figurent en bonne place parmi les priorités de la ministre. Ainsi se trouve soulignée une nouvelle fois leur importance et implicitement faite l’hypothèses selon laquelle ils constitueraient des leviers privilégiés pour engager et approfondir le développement de la lecture et de l’écriture dont l’impérieuse nécessité est également affirmée.  

Une fois encore le ministère affirme et préconise... Comment ne pas s’en réjouir si on croit A la nécessité d’une impulsion forte témoignant d’une ambition réelle pour l’école ? mais aussi comment ne pas s’inquiéter si on a suivi l’histoire, déjA longue et significative des mesures en faveur des bibliothèques d'établissement et de la lecture ?  
Force, en effet, est de constater que, malgré les injonctions officielles, les différents plans successifs et les moyens non négligeables qui ont été mobilisés aussi bien en équipements, qu'en formation et en personnels, les BCD et les CDI sont restés en marge des établissements. S’ils ont enrichi et diversifié l’offre de lecture, ils n’ont eu que peu d’effets auprès de ceux qui n’ont pas développé ailleurs les raisons et les moyens de tirer profit de leurs ressources.  
L’histoire des BCD est particulièrement éclairante : créées A la fin des années 1970, dans un cadre qui mêlait recherche, secteur associatif et approche militante, elles se voulaient au service du développement de la lecture. en provoquant la transformation de l’école. L’alternative alors posée par les promoteurs de l’innovation était claire : renforcer l’école ou la transformer ! 

La renforcer, c’était mettre des moyens supplémentaires (dont les ressources de la BCD) au service d’un fonctionnement fondamentalement inchangé (en y conservant, par exemple, les mêmes rapports au savoir et A sa construction, et les mêmes raisons de lire – ou de ne pas lire). 
La transformer, c’était s’engager dans des démarches modifiant progressivement mais réellement le statut de la lecture et de son apprentissage et, pour cela, le statut de ceux qui apprennent, vers plus de responsabilité et de pouvoir, une meilleure compréhension des enjeux de leur (dés)implication.  

L’alternative était claire, trop claire sans doute pour être étudiée sinon acceptée, trop radicale aussi aux yeux de beaucoup des responsables en ces périodes de discrédit des « idéologies ». 
Et les débats sur les moyens ont pris la première place, mystificatrice et confortable… On a mis l’accent sur les moyens (réels) en équipements (locaux, mobiliers, ouvrages…), en formation (connaissance de la littérature de jeunesse, maîtrise des techniques d’animation…) et en personnel (postes de documentalistes, instituteurs détachés, plus tard, C.E.S affectés aux écoles, aides-éducateurs...). On a multiplié les débats sur les moyens oubliant l'importance des réflexions A conduire sur les fins (les BCD pour quels lecteurs ?) et sur les conditions A remplir pour les atteindre. On a multiplié les projets et les plans pour introduire des bibliothèques dans des établissements qui n’en avaient pas besoin, les confinant aussi dans des activités marginales par leur nature (loisir) ou le volume (portion congrue des emplois du temps).  
On n’a pas su, ou pas voulu, essayer de comprendre la nature et les données du problème : agissant sur l’offre de lecture lA où il aurait fallu s’efforcer de comprendre les conditions d’une démarche élargie, on a privilégié les réponses alors que les questions n’étaient pas clairement posées (ou restaient posées dans des termes inchangés).   

Cette orientation justifiée par l'urgence, aux dires de ses prescripteurs et de ses animateurs, s'est traduite, depuis plus de vingt ans par un foisonnement de plans et de projets, et concrètement, d'animations aujourd'hui ritualisées dont l'heure du conte et les défis lecture sont des exemples incontestés. Ceci sans effets majeurs sur le développement de la lecture, en particulier chez les "publics" prioritaires, ceux qui ne trouvent pas dans leurs milieux les conditions nécessaires pour réussir A l'école. Quand on prend conscience de ces données et quand on connaît, par ailleurs, les limites des mesures prises pour en faire évoluer le fonctionnement du système éducatif, on mesure l'importance d'une réflexion nouvelle, plus fondamentale, davantage axées sur les "règles du jeu" qui le régissent et de ses ressorts essentiels (et souvent implicites) qui l'animent.  

C'est ce que les BCD et CDI peuvent aider A faire aujourd'hui, A condition d'accepter de ne les considérer que comme des outils dont les effets ne sont ni immédiats ni directs mais toujours médiatisés par les évolutions… qu'ils doivent provoquer.  
Si on ne comprend pas que les bibliothèques d'établissement n'ont d'importance que comme outils et leviers de transformation des conditions de la lecture et de son apprentissage, si on ne se donne pas les moyens d'approfondir  la compréhension des données des problèmes (en termes de représentations et d'habitudes, de résistances individuelles et institutionnelles …) on a peu de chances de réussir. 
Des "expériences" déjA anciennes menées A l'initiative d'acteurs très différents, dans des contextes eux-mêmes très variés, existent aujourd'hui qu'il faut aider A comprendre en faisant évoluer leurs questionnements, vers une meilleure compréhension de leurs présupposés et de leurs enjeux. Il faut aussi s'intéresser de façon plus sérieuse aux procédures de capitalisation et des transfert des acquis : ce qui suppose attention et donc compétence, certainement collaboration nouvelle et réciproque entre les différentes familles d'acteurs et de chercheurs, les uns et les autres soucieux d'efficacité et conscients de l'importance d'une compréhension approfondie des données, des démarches et des effets des pratiques. 

En conclusion, nous pouvons dire aujourd'hui, A la lumière d'une expérience déjA longue, que les "bibliothèques scolaires" sont nécessaires mais qu'elles ne suffisent pas A créer les conditions qui leur permettraient d'atteindre les objectifs qu'on leur fixe. Ceci, parce que les données sont pour l'essentiel, A l'intérieur d'elles-mêmes inscrites dans le fonctionnement le plus banal et le plus fondamental des écoles et dans "l'inconscient épistémologique" des éducateurs : en cela peu contestables immédiatement puisque revêtues des apparences du naturel, de ce qui va de soi.  
La mise en œuvre, sur un échantillon de sites volontaires, de dispositifs complets d'accompagnement et d'étude des pratiques est indispensable :  ce pourrait être une mesure décisive, aussi bien pour le développement de la lecture que pour la transformation de l'école, son adaptation A l'évolution de la société et A une réelle démocratisation scolaire. Adaptation dont le collège fait aujourd'hui apparaître de plus en plus clairement, la nécessité et qui ne peut se réduire ni A aux mesures portant sur les structures, sur la composition des classes ou le rythme des apprentissages, ni aux démarches de soutien et de différenciation pédagogique … pas plus qu'A l'enrichissement du CDI. 
La priorité accordée aux BCD et aux CDI est encore aujourd'hui A considérer comme un axe privilégie de questionnement de l'école pour engager A travers le développement de la lecture, des transformations nécessaires profondes et passionnantes. Puissent les acteurs de terrain les responsables administratifs,  pédagogiques et les prescripteurs s'en persuader… et ne pas s'engager une nouvelle fois dans une aventure décevante. 
 

  Lire : 

- Les BCD. Pour quelle école ? Pour quelle lecture ? 
- Les BCD. Dossiers des Actes de Lecture n°3 

 
Yves Parent