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           La diablesse
Un superbe album de très grand format avec des illustrations somptueuses, une écriture simple en apparence mais laissant planer beaucoup d’implicite pour des interprétations à différents degrés.
 
  Lu dans  le document ministériel : 
Difficulté de lecture : niveau 2La diablesse va de maison en maison, réclamant son  enfant, qu’elle a perdu. Mais dès qu’on s’aperçoit qu’au lieu des pieds, la  diablesse a des sabots, comme ceux d’une chèvre, les portes se referment, on  éteint la lumière et on tremble dans le noir.
 La diablesse se souvient que, du temps où son enfant  était présent, elle n’avait pas de sabots, mais des pieds. Elle vivait aussi  dans une maison qui a disparu, et elle s’est réfugiée dans la forêt.
 Finalement,  la diablesse décide de prendre pour enfant le premier qu’elle rencontrera.  C’est une petite fille aux pieds difformes, chassée par les villageois  persuadés que « les petits pieds mal formés vont tourner en sabots ». La  petite fille accepte la diablesse comme mère et, soudain, les sabots de cette  dernière redeviennent des pieds, tandis que sa maison réapparaît.
 Cette histoire étrange, écrite simplement, peut aisément  être mise en voix par les enfants, et donner lieu à un spectacle. Le thème de  la différence peut être exploité, et le récit servir de support à la création  de textes sur le thème de la quête d’un être aimé et de la reconnaissance.
 
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        |  Présentation
Cette présentation se concentre sur le thème de cette  histoire d’amour qui rend « pleinement humain lorsqu’il est donné et reçu » (1)  ; elle aurait pu aussi traiter de l’écriture qui donne tout son mystère et son  sens au récit : - le texte comporte 1673 mots dont 497 mots différents ce  qui indique une moyenne de répétition des mots importante (3,37)
 - le nombre de mots de base est 993 (sur 1673) dont 497  vocables (2) différents. Ce qui signifie que le texte est écrit avec un  matériau plutôt familier pour les enfants.
 Un récit court donc, avec un fort taux de répétition de  mots qui n’empruntent pas à un vocabulaire très compliqué, un récit qui prend  alors des allures de conte populaire, où la simplicité le dispute à l’évidence  quand l’énigme insensiblement se forme et s’épaissit à la nuit tombée. Cette  histoire d’une mère qui cherche un enfant perdu et que le village rejette sous  prétexte d’une difformité physique pourrait offusquer le jeune lecteur, le  toucher précisément dans ses bons sentiments, la tendance culturelle qu’ont les  auteurs et les éditeurs – les parents et autres éducateurs – de trouver naturel  que les enfants soient bons, justes et honnêtes. Il n’en est rien et Marie  Ndiaye le sait, elle qui, indiscutablement, écrit hors de la sensiblerie, écrit  en jouant habilement sur les contrastes (nos contradictions) : le visage de la  diablesse est beau mais ses pieds sont ceux d’une chèvre, la diablesse a des  sabots fins et petits mais personne n’a de pieds pareils, la diablesse souffre  et elle est polie, gentille mais elle est trop différente... Alors, la faible  lumière d’une maison qui éclaire, au bout du conte, cette nuit somptueuse  trouble le lecteur pris d’un indicible malaise.
 Cette diablesse, douce et malheureuse, inoffensive et en danger, impossible que  le lecteur, à un moment de sa lecture, ne s’en méfie pas lui aussi, par rejet  de l’autre, par peur de la différence ou par faiblesse parce qu’une mauvaise  réputation est presque toujours une preuve et que le genre humain doit faire tant  d’efforts pour se montrer bienveillant. Alors, la longue plainte peut se  dérouler, éternelle et répétitive – remarquablement soutenue par l’écriture -  infinie douleur d’aimer et d’être aimé dans l’humanité civilisée et bien  pensante. La force de ce livre, c’est d’installer la critique sociale dans un  univers fantastique et d’impliquer le lecteur jusqu’à ce qu’il se découvre  peut-être complice d’ostracisme. Il serait dommage de passer à côté d’une telle  chance de découvrir, en si peu de pages, de la littérature, de celle qui, sans  complaisance, donne du monde une vision éblouissante sans le montrer superbe.  Le désespoir qui plane dans ce livre – même si apparemment ça se termine bien,  mais c’est à voir – est relevé par les illustrations de Nadja qui, en jouant du  sombre et du flou, renforce la confusion des sentiments, leur faux éclat, notre  terrible condition humaine.
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            | (1) Sélection de Livres au Trésor 2001, p. 30 Voir coordonnées à la fin de ce livre |  
 
 
 
            
              | (2) Le logicielIdeographix dont il est question ici (voir p.31) « recense comme vocables différents toutes les formes que peut revêtir le même ‘mot’ : [chien] et [chiens] sont recensés comme 2 vocables ; [aimes], [aimeraient] et [aimez] comme 3 vocables (…) Pour aider à s’y retrouver dans ces conventions d’appellation, convenons qu’un mot dans le texte est l’occurrence d’un vocable dans le lexique, lequel vocable peut être une forme fléchie d’une souche, d’une entrée dans un dictionnaire. Le vocable [et] se confond avec le mot souche [et] ; les vocables [chien], [chiens], [chienne], [chiennes] activent le mot souche [chien]. » Jean FOUCAMBERT,
 « Idéographix au pays des albums », Les Actes de Lecture n°77, mars 2002, p.60
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        |  La collection
La collection « Mouche » de L’école des loisirs s’adresse  aux lecteurs « qui aiment déjA lire tout seuls ». Les textes sont courts,  aérés, écrits en gros caractères, ils se veulent simples et sont encore  abondamment illustrés. Ils constituent une transition entre l’album  |  |  | 
      
       
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        |  Premières  approches
- Couverture Le titre de ce livre, très court, très fin, annonce deux  personnages : une diablesse et son enfant mais un seul personnage déambule de  dos dans la rue déserte d’un village, la nuit, puisque toutes les maisons sont  éclairées et que la lune, ronde et blanche, illumine d’en haut la scène. Le mot  diablesse évoque maléfices et autres sortilèges... On s’attend à entrer dans  une histoire avec des drames, des ruses et des choses effrayantes. Quels  méfaits la diablesse a-t-elle pu ou va-t-elle commettre ? Sur son enfant ? Avec  lui ? Doit-on avoir peur d’elle ? De quelles menaces est-elle porteuse ? Est-ce  à cause d’elle que les gens sont enfermés chez eux ? La couleur bleue domine,  bleu nuit pour le ciel et les maisons, gris bleuté que l’argent de la lune  irise pour la rue du village. De cette couverture se dégage une impression de  solitude, de silence et de mystère.
 - 4ème de couverture
 Tip-tap, tip-tap, quel est ce bruit dans la nuit ? C’est  la diablesse qui va de maison en maison, à la recherche de son enfant perdu.
 à la vue de ses petits sabots noirs, on lui claque la  porte au nez et on éteint toutes les lumières jusqu’à ce que ses pas se soient  éloignés, tip-tap, tip-tap...
 Et la diablesse prend son chemin. Elle cherche sans se  lasser. Ses yeux sont tristes et pleins d’espoir.
 Elle sait qu’autrefois, il y a longtemps, elle avait un  enfant, et aussi une maison. Et elle sait qu’elle n’a pas toujours eu des  sabots noirs.
 Un livre pour les enfants qui aiment déjA lire tout  seuls.
 La 4ème de couverture apporte quelques réponses :  c’est bien la diablesse qui se promène dans le village à la recherche de son  enfant perdu. Les gens ont peur à cause de « ses petits sabots noirs », un des  attributs du diable (le diable, symbole du méchant, de la nuit, était  représenté sur les chapiteaux des cathédrales, grimaçant, couvert de poils,  souvent avec des cornes et des pieds fourchus). Avant, elle avait une maison,  un enfant et pas de sabots noirs (elle n’était pas diablesse, donc) mais ce  temps reste flou comme si cette femme avait perdu la mémoire ne gardant que le  pauvre souvenir d’une vie ordinaire que des circonstances étranges auraient  dégradées, apportant au personnage déclassement social et vide affectif.  D’autres questions surgissent : Va-t-elle le retrouver ? Redevenir « normale » ?  mais aussi qui lui a pris son enfant et sa maison et pourquoi ?
 Si le diable est largement représenté dans la littérature  jeunesse, la diablesse l’est moins, les figures féminines maléfiques empruntant  plus volontiers aux sorcières et autres ogresses. Les formes symboliques du  diable nous encouragent dans nos hypothèses premières : ce conte, loin de  chercher uniquement à nous toucher par le thème de l’amour perdu et retrouvé,  puise dans la profondeur de nos contradictions, nos ambivalences, notre cruauté  superbement mise en valeur par l’opposition avec le sentiment culturellement le  plus valorisé dans nos sociétés : l’amour maternel.
 « Le diable symbolise toutes les forces qui troublent,  assombrissent, affaiblissent la conscience et la font régresser vers l’indéterminé  et l’ambivalent (...) Qu’il s’habille en Monsieur très bien ou qu’il  grimace sur les chapiteaux des cathédrales, qu’il ait une tête de bouc ou de  chameau, les pieds fourchus, des cornes, des poils sur tout le corps, peu  importent les figures, il n’est jamais à court d’apparences, mais il est  toujours le Tentateur et le Bourreau. (...) Sur le plan psychologique, le  Diable montre l’esclavage qui attend celui qui reste aveuglément soumis à  l’instinct, mais il souligne en même temps l’importance fondamentale de la  libido, sans laquelle il n’y a pas d’épanouissement humain... » (3)
 
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            | (3)CHEVALIER J., GHEERBRANT à., Dictionnaire  des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Coll. Bouquins, 2000, pp. 352-353
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        |  Feuilletage
Le texte est écrit en gros caractères, de façon aérée. Il  est accompagné d’illustrations en noir et blanc qui créent une  impression de mystère et d’angoisse,  l’histoire se déroulant la nuit, un univers opaque. Elles présentent lieux et  personnages. On retrouve la rue du village, il y a aussi une forêt. On  reconnaît le personnage de la couverture, on lit l’épouvante sur le visage des  personnes qui lui ouvrent leur porte, on voit les pieds fourchus de la  diablesse, un enfant qui s’enfuit, un autre accroupi qui attend.  Enfin la diablesse tient un enfant par la  main, puis dans ses bras, puis se penche sur un enfant allongé et l’enfant ne  se débat pas : tout a l’air de se dérouler sereinement. Ces illustrations d’une  femme et d’une fillette font écho à deux autres personnages, de même nature,  que Nadja avait mises en scène dans « La petite fille du Livre » (4).  Qui est cette enfant ? Celui de la diablesse qu’elle a retrouvé ? Comment  l’a-t-elle retrouvé ? Va-t-elle redevenir humaine ?Les illustrations de l’intérieur n’occupent pas toutes la  page à l’identique : si certaines semblent servir de décor au texte (pp.6-7,  pp.25-26...), d’autres (p.11, p.15) surgissent de la page déchirée du livre,  tandis que d’autres, classiquement (pp. 21, 27, 31) sont droites et mordent sur  le texte sauf celle de la page 31 ; certaines enfin, occupent tout l’espace  (pp. 12, 13, 39) obligeant le texte à s’inscrire en blanc. Une illustration est  encadrée (p.18) offrant un portrait serré de la diablesse.
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            | (4) NADJA, La petite fille du livre, L’école des loisirs
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        |  Résumé
Depuis qu’elle a perdu son enfant, une « diablesse » le  cherche. Sans trêve, elle va de maison en maison le réclamant mais les portes  se ferment d’autant que ses pieds se sont transformés en sabots ; elle est la  diablesse qui fait peur à tout le monde. Lasse de ne pas le retrouver, elle décide de prendre le  premier enfant venu. C’est une fillette aux pieds difformes, chassée par les  villageois, qui accepte cette adoption et rend, à la femme esseulée, un statut  de mère douce (elle porte l’enfant à la fin), à la vagabonde un statut social  (elle retrouve sa maison), à la diablesse un statut  humain (elle retrouve ses pieds et découvre  la maternité ce que suggère la dernière phrase « Je ne pensais pas qu’une  petite fille était aussi lourde à porter »).
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        |  Les personnages
- La diablesseUne femme qui, ayant perdu un enfant, n’a plus «... le  pied humain » mais un pied fourchu. Sa vie ne consiste plus qu’à chercher  inlassablement cet enfant. Elle est belle, a de « beaux yeux »,  un « beau visage doux », une « jolie figure ». Ne dit-on pas  d’une femme qu’elle a la beauté du diable ? Mais ses pieds diffèrent,  l’apparentant, par leur aspect caprin, à l’espèce animale à laquelle son mode  de vie l’associe : elle trouve de quoi manger dans la nature et « dormait le  jour, sortait à la nuit ». Si ce n’étaient ces allures de nomade et  d’oiseau de proie, peu de choses la distingueraient des humains, elle a même «  des habits bien propres ».
 Enfermée dans sa douleur, elle n’a pas conscience de la  peur qu’elle inspire, elle « ne savait même pas pourquoi on la redoutait. » Elle  a parfois conscience de son état  (les bruits de ses pieds « quand elle entrait dans la chambre où son enfant  dormait, elle n’entendait pas : tip-tap, tip-tap ») et de l’anormalité du  changement, « elle voyait, en baissant les yeux vers ses pieds, de petits  sabots de chèvre qui l’étonnaient encore maintenant », mais elle reste  prisonnière de ses sensations : « C’est un soir, un triste soir, qu’elle  avait regardé le creux de ses bras arrondis et constaté que son enfant n’y  était plus ». Sa douleur, sa différence font d’elle une victime  émissaire, un pharmakos au sens mythologique.
 Une femme acquérait et acquiert encore son statut de  femme en devenant mère. En perdant son enfant, celle-ci perd pieds ! Sans  Domicile Fixe, elle fait la manche, quémandant... un enfant, la vie. La peur  des gens du village est peut-être la peur de déchoir, de finir comme elle.
 - Les gens du village
 Ils sont présentés individuellement (la personne) avec  cette peur instinctive de l’inconnu : la personne qui avait ouvert sa porte... la personne qui n’avait pas eu peur d’ouvrir sa porte... la personne  qui avait oublié d’avoir eu peur en ouvrant grand sa porte...
 Ils sont présentés comme des êtres isolés faisant bloc  (chacun... chacun... chacun...) dans l’anonymat de la foule (on... on... on...)  et vibrant à l’unisson : égoïsme, superstition, peur de l’altérité...
 Ils sont organisés et toutes leurs peurs entrecroisées  sont une arme : cet enfant que personne n’a vu se met à exister réellement et  on le traque : on regarda attentivement... on observa de près... on  examinait tout particulièrement... Traque sociale qui rappelle des lieux et  des temps – non disparus – où le politique planifiait, avec le consentement  silencieux de la population, l’extermination d’un genre humain stigmatisé : «  Chassons celle-lA ou elle nous portera malheur. Ses tout petits pieds mal  formés vont tourner en sabots, et alors il sera trop tard. »
 - La petite fille
 Elle est sans défense mais confiante, s’abandonne  facilement en posant « sa toute petite main dans la main tremblante  de la diablesse », trouvant refuge dans les bras de celle qu’elle reconnaît  et trouve belle, inoffensive et aussi parfumée que la forêt. C’est une exclue,  une vagabonde, comme la diablesse.
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        |  |  | suite dans "lectures expertes n°3"
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