Extrait de |
L'enfant, le maître et la lecture |
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INTRODUCTION
Le tout est de tout dire et je manque de mots et je manque de temps et je manque d'audace. Éluard Une observation banale : toute personne quelque peu entraînée à produire des textes, écrivain, chroniqueur ou auteur de rapport, témoigne volontiers du dur métier d'écrire. Sans même prendre en compte ses préalables, la confrontation avec la feuille blanche aboutit, dans ses instants fastes, à une production qui rarement dépasse les 500 mots définitifs à l'heure. Que peut-il se passer, alors que les idées étaient là, alors qu'il semblait n'y avoir plus qu'à les transcrire, pour que leur mise à l'écrit impose un tel effort ? À l'autre bout de la chaîne, toute personne entraînée à lire des textes, roman ou article, va en prendre connaissance au rythme de 20 000 mots à l'heure. En d'autres termes, une heure de lecture donne accès au fruit de quarante heures d'écriture. Situation particulière car l'écoute d'une parole permet, elle, de rencontrer un fonctionnement intellectuel de même durée. Cette observation ne compare pas la rentabilité de deux outils de communication mais interroge la spécificité de leurs messages et l'impossibilité de leur équivalence. La pensée investie dans la production d'une phrase orale et d'une phrase écrite n'est pas de même nature car elle ne procède assurément pas des mêmes opérations. C'est autre chose qui s'élabore et donc tente de se communiquer et que laisse pressentir ce rapport comptable de 40 à 1, quelque chose qui relève assurément de l'exercice difficile d'une "raison graphique" à l'œuvre dans l'écriture. Dès lors, apprendre à lire, c'est entrer dans une nouvelle manière de travailler l'expérience ; d'où son importance et sa difficulté. Mais aussi les multiples façons d'en manquer la rencontre à travers l'enseignement. Façons d'autant plus probables que, selon la remarque d'Arnauld Clausse dans Philosophie de l'étude du milieu : "On peut être un Pasteur dans son laboratoire et y manifester une rigueur scientifique qui ne laisse aucune place à l'approximation [...] et se mettre, quand on parle de Dieu ou de la Patrie, au même niveau qu'un garde-champêtre ou qu'un sous-officier instructeur." Remplacez Dieu et Patrie par Lecture et Pédagogie et vous aurez la clé de nombreux débats actuels. La pédagogie de la lecture revêt souvent l'aspect d'un champ clos où soliloquent, sous l'œil incrédule de quelques pédagogues, des linguistes et des psychologues sollicités par une majorité silencieuse rêvant que les choses soient différentes sans qu'il soit nécessaire de les changer. Cette confusion est d'autant plus grave que, s'il est inconcevable que les pratiques puissent évoluer sans la contribution d'autres disciplines, cette évolution ne peut avoir lieu que dans le champ propre de la pédagogie de la lecture et non en important de disciplines externes des propositions qui n'ont fait et ne font l'objet d'aucune expérimentation dans le champ nouveau où on les introduit. En cela la lecture est exemplaire de la recherche pédagogique en général à qui on ne cesse de contester un statut scientifique autonome. Ce livre tente de réunir des conditions pour un nouveau dialogue en offrant un état de la question vue du côté de l'action pédagogique dans ses liens avec l'enfant, l'école et le rapport social à l'écrit. Il montre qu'un praticien est nécessairement un chercheur, un artisan aux mains sales qui, solidaire de tous les autres "horribles travailleurs", agite, innove, anime, mesure, crée et comprend un peu mieux ce qu'il fait en le transformant... |
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L'enfant, le maître et la lecture sommaire
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