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La lecture préalables à sa pédagogie |
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2) LA CONCEPTION NOUVELLE DE LA PÉDAGOGIE DE LA LECTURE Depuis les années 70, est apparue en France une conception nouvelle de la pédagogie de la lecture. Elle est le produit d'une réflexion non plus linguistique, mais psycholinguistique sur la nature de l'acte de lire. Les travaux français et américains que nous avons cités pour décrire l'acte de lire sous-tendent les expérimentations proprement pédagogiques. Ces dernières ont été effectuées par l'Institut National de Recherche Pédagogique (INRP), ainsi que par certaines Écoles Normales avec leurs classes d'application. Enfin, il faut citer le rôle militant joué par des groupements pédagogiques (et, tout particulièrement, celui de l'Association Française pour la Lecture) en faveur de la propagation des idées nouvelles sur la lecture. A. CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES a) Dépassement de la querelle des méthodes 1. Produire du sens et non du son Malgré leur opposition sur la démarche suivie, les méthodes, globale et synthétique, se rejoingnaient sur le point important ainsi formulé par le Dr Simon, déjà cité : "Toutes deux cherchent à faire comprendre à l'enfant qu'il existe entre les signes de la langue écrite et les sons de la langue parlée une certaine correspondance." Une des caractéristiques de la nouvelle conception pédagogique de la lecture consiste précisément à refuser de faire dépendre son apprentissage de la maîtrise de cette correspondance. Il s'agit, au contraire, de mettre en place, dès le départ, un comportement de LECTURE VISUELLE et non de lecture oralisée ou subvocalisée. Lire, c'est percevoir directement des significations, apprendre à lire c'est donc apprendre à percevoir directement des significations. Voilà le principe de base de la nouvelle pédagogie de la lecture. Jean Foucambert s'exprime ainsi (Apprentissage et enseignement de la lecture, in Recherches actuelles) : "C'est une méthode non orale au sens que nous donnons à ces mots, c'est-à-dire que l'enfant ne sera jamais habitué à découvrir le sens de l'écrit en transformant les signes écrits en sons. Ce qui ne veut pas dire que l'oral n'est pas utilisé pour élucider le sens de l'écrit, mais jamais par la mise en correspondance d'unités inférieures au mot." Illustrons ces propositions par l'exemple du jeu des messages. Un enfant "tire" un papier (feuille pliée, carton qu'on retourne, peu importe) sur lequel est écrite une consigne qu'il doit lire silencieusement et effectuer ensuite sous le contrôle d'un groupe. Le jeu se termine, chaque fois, par une élucidation : l'enfant justifie son action ("j'ai fait telle chose parce que le texte disait..."). Le groupe de contrôle acquiesce ou conteste, toujours en se référant au message lui-même. Acquiescements ou contestations se font verbalement : on parle de ce qu'on a lu, du contenu, du pourquoi, du comment on l'a compris. Par contre, l'acte de lecture lui-même est silencieux. L'attribution du sens à l'écrit ne se fait pas par la médiation d'une oralisation. On cherche à installer, chez l'enfant, un comportement de lecteur conforme au schéma de la lecture visuelle de F. Richaudeau. 2. La pratique précède la théorie Lorsqu'un enfant apprend à parler, il organise et intériorise un système grammatical qu'il remet en cause constamment au fur et à mesure de ses nouvelles découvertes. Il ne viendrait à l'idée de personne de commencer par lui exposer une théorie grammaticale et de postuler que la parole sortirait tout naturellement de l'apprentissage de cette théorie. On communique avec l'enfant, on le met en situation de parler : il parle. Il utilise des règles avant de réfléchir sur elles. La réflexion suit la mise en œuvre. Pour l'une comme pour l'autre, il procède par essais et erreurs. Le fait qu'il se trompe plus ou moins souvent n'est pas, en soi, inquiétant, dès lors que les progrès existent, sont continus. Pour la lecture, la démarche doit être la même. Il s'agit de mettre l'enfant en situation de lire, de le faire lire. Sa réflexion sur le fonctionnement de l'écrit suivra nécessairement. Elle ne sera pas une condition de sa lecture : elle en sera une conséquence. L'enfant découvre très tôt qu'il existe une correspondance entre la parole et l'écrit, en particulier lorsque, tout jeune, il se fait lire des histoires par un adulte. Quand il commencera à lire lui-même, il élaborera des règles, plus ou moins ponctuelles, plus ou moins pertinentes, concernant le passage de la graphie en phonie. S'il pose des questions à ce sujet il faudra, bien sûr, lui répondre. Mais on n'organisera plus un enseignement systématique de ces règles avec l'idée d'en faire, en quelque sorte, les "clés de la lecture". Car l'apprentissage qu'on développerait ne serait pas celui de la lecture mais celui du déchiffrement. 3. Où trouver les clés de la lecture, à partir du moment où l'on refuse de faire jouer ce rôle au déchiffrement ? Tout simplement dans l'acquisition continue de mots que l'on mémorise et dont le capital s'accroît sans cesse, à condition, bien entendu, que ces mots soient présentés à l'enfant dans une situation authentique de lecture. L'enfant apprend alors à lire exactement comme il a appris à parler : en mémorisant des mots rencontrés lors d'une situation de communication et pas forcément lors de la première rencontre. Cela implique que, pendant un certain temps, il ne sait lire que certains mots et certaines phrases. Mais cela veut dire aussi que, dès le début, il lit. Jean Foucambert : "... l'enfant qui, le troisième jour de classe, lit les dix mots qu'il connaît et comprend le sens des divers messages obtenus avec ces dix mots, peut lire et lit d'une manière fonctionnelle exactement semblable à celle de l'adulte qui fait la même chose avec dix mille mots. Ce que l'enfant acquiert comme comportement de lecture face à la langue écrite doit être, dès le premier jour, le comportement qu'il aura à tout âge, lorsqu'il lira." [...] L'apprentissage se poursuit par l'accroissement du stock des mots connus ainsi que par la maîtrise progressive de la syntaxe de la langue écrite. Ici certains s'effraient, croyant que l'enfant ne saura lire qu'après mémorisation de plusieurs dizaines de milliers de mots. Or, l'expérience montre qu'il se produit une accélération spectaculaire dans la compétence en lecture de l'enfant, lorsqu'il arrive à la connaissance de 500 mots environ. Il se met alors à lire pratiquement n'importe quel texte, à l'exclusion, bien entendu, de ceux qui sont très spécialisés (par exemple un article de journal concernant un point technique de droit constitutionnel). Remarquons, en passant que l'enfant "bon déchiffreur" qui sait "oraliser" un tel texte est, lui aussi, incapable d'en extraire le sens, c'est-à-dire de le lire. Ce qui est le plus étonnant c'est que, passé ce seuil d'environ 500 mots, l'enfant se montre généralement capable de lire, par exemple, des noms propres qu'il rencontre pour la première fois. Non seulement il comprend qu'il s'agit du nom de tel nouveau personnage de l'histoire, mais il parvient à trouver la prononciation de ce nom après l'avoir lu. Cela montre bien que l'enfant peut se construire une compétence pour "oraliser", dérivée de sa compétence à lire. |
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