Princes et princesses, entre autres...
À l’'occasion du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, Sonia Déchamps a interviewé Yvanne Chenouf pour le site Toutelaculture.fr. Elles sont revenues sur le thème du salon.
Le thème retenu pour l’exposition du salon du livre est « princes et princesses ». Quelle a été votre réaction en prenant connaissance de ce thème ?
Quand nous avons découvert le thème de cette année, nous étions un peu inquiets. Nous nous sommes demandés ce qui allait être fait à partir de ce thème…
Aujourd’hui, il reste quelques princesses dans les contes traditionnels qui sont réédités bien sûr, mais il y a beaucoup de princesses que moi j’appelle effrontées, odieuses, des contre-princesses. Elles ne veulent pas épouser des princes charmants, elles ne veulent pas qu’on les sauve, elles prennent leur destinée en main… Du coup, ce sont des espèces de chipies énervées, caractérielles, insupportables… Il y a beaucoup de parodies qui ne sont pas toutes bonnes.
Après, la princesse, c’est vrai qu’elle reste dans quelques bons livres pour enfants. Chez Claude Ponti, par exemple, il y a, de temps en temps, une petite princesse qui traine par là, mais c’est très rare. C’est alors le symbole de la confiance en l’amour, de ce que l’avenir d’un enfant peut être assuré par le fait qu’il sera aimé…
Quand le salon du livre de Montreuil choisit un thème, tous les éditeurs, en général, se jettent dessus pour publier des livres qu’ils vendront au salon (puisque le salon du livre représente parfois près de 30 % des ventes annuelles, en tout cas avec l’approche de Noël…). Mais, étant donné qu’il n’y a pas une réflexion extraordinaire là dessus, qu’allons-nous découvrir ? Des princesses sans véritable création ou des pastiches sans grand intérêt ?
Pour l’instant, nous avons lu deux ou trois ouvrages relativement intéressants dont « La princesse parfaite » chez Thierry Magnier.
Si les princes et les princesses n’alimentent plus – bien – la littérature jeunesse, qu’est-ce qui a remplacé ces figures ? Qu’est-ce qui nourrit le plus les histoires pour enfants ?
Les filles ne sont pas très gâtées dans la littérature de jeunesse aujourd’hui. Il y a eu, dans les années 80, des contre-modèles surtout aux « éditions des femmes » par exemple. Aujourd’hui, il existe une maison d’édition « Talents Hauts » – je n’ai pas vraiment été voir ce qu’ils faisaient – qui serait féministe…
Pour revenir à votre question, je ne sais pas ce qui a remplacé le thème des princesses… Peut-être l’amitié. Pour les plus grands, les 10-12 ans, il me semble que le thème a tourné au roman d’amour, à ce qui va amener les enfants vers le roman d’amour ; c’est-à-dire la passion amoureuse, le cœur qui bat, des choses comme cela.
Il y a eu un colloque en avril dont le thème était justement « princes et princesse ou le sexe des anges » avec plusieurs intervenants… Cette question de l’avenir de « la princesse » n’a pas été utilisée dans la mesure où, actuellement, la princesse est un contre modèle. Quand même, la princesse, c’est l’être humain le plus neutre possible au niveau de son apparence physique et au niveau de son caractère parce que – je vais dire cela un peu vulgairement – il ne fallait pas qu’elle corrompe la semence masculine du prince, qui lui allait continuer la lignée.
En gros, la princesse était une génitrice. C’était elle qui devait assurer la lignée suivante, faire les enfants et réunir les royaumes. C’était, d’une certaine façon, un argument politique mais un argument politique qui ne lui demandait aucune conscience ; elle était simplement là pour ça. Aujourd’hui, un tel système n’est plus possible notamment en raison de la loi de 1949 qui stipule que les publications destinées à la jeunesse ne doivent pas comporter d’illustrations et de récit qui entretiennent des préjugés ethniques et sexistes.
De toute façon, j’ai l’impression que dans les albums pour les tout petits, les jeunes enfants, on ne se marie pas beaucoup. On reste dans le domaine enfantin ; les héros ne grandissent pas. Ou si on se marie, c’est avec les valeurs occidentales actuelles, c’est-à-dire on se marie avec quelqu’un qu’on aime parce qu’on l’a choisi, parce qu’il a des qualités humaines. On est dans le bien-pensant.
L’Association Française pour le Lecture a mené un travail avec des enfants autour de la thématique de la princesse, dites-nous en un mot… Qu’est-ce qui en ressort ?
Nous avons fait travailler 300 élèves de la moyenne section au CM2. Les petits étaient très critiques par rapport aux princesses, les plus grands ont trouvé cela très complexe parce qu’en fait tout le monde trouve que « c’est cucul » mais tout le monde a envie de trouver la princesse ou le prince charmant. Les plus grands ont bien remis cela du côté de l’amour et de la promesse d’un avenir heureux. Ils ont ainsi mené des réflexions sur le sexisme et ont constaté que les filles avaient des meilleurs résultats à l’école que les garçons et que, pourtant, elles n’étaient pas ministres ou chefs d’entreprises. Et, quand nous leur avons demandé pourquoi cet état de fait existait, ils ont émis l’idée que les filles, quand elles se mariaient, se concentraient sur le travail de la maison et donc délaissaient leur carrière ou bien que, par gentillesse, elles laissaient la place aux garçons. Les plus petits sont plus critiques, c’est tout ou rien. C’est nul ou c’est très bien.
Le prince de Motordu fête ses 30 ans. Beaucoup le connaissent, ont appris un peu avec lui… Est-ce qu’aujourd’hui on l’étudie encore dans les écoles ?
Je le pense parce qu’il y a des encore gens qui le défendent mais il faut admettre qu’aujourd’hui, Pef, ce n’est pas très mode. Il est sûrement moins étudié qu’il ne l’a été à un moment ; il a mis au point une veine parodique qui est maintenant très utilisée par de nombreux auteurs : Geoffroy de Pennart, Mario Ramos …
Il faut noter que c’est aussi les 50 ans de l’Oulipo. Je trouve que Motordu et Oulipo cela va ensemble. C’est dommage que Pef ne soit pas à la table ronde.
Est-ce qu’il y a, aujourd’hui, des « grands noms » de la littérature jeunesse ?
Dans les albums, il y a l’inénarrable et l’incontournable Claude Ponti. Il y a aussi des gens comme Corentin, d’autres que j’aime moins comme Carl Norac… Oui, il y a encore des gens qui ont plus de succès que d’autres.
Dans les romans, dans les gens importants, ils sont encore plus confidentiels. Ce sont François Place, Michael Morpurgo, Jean-François Chabas…
Il y en a deux qui ont franchi la barre de la notoriété, et qui du coup n’écrivent plus (ou plus seulement) pour les enfants ; il y a Christophe Honoré, qui fait des films pour adultes et Emmanuel Carrère. Bizarrement, tous les deux font du cinéma – pour adultes – maintenant.
Il n’y a pas de politique publique pour la littérature de jeunesse ; elle n’est pas connue. Il n’y a guère d’émissions qui en parlent. Je ne vois pas comment le grand public pourrait connaître cette littérature.
Comment évolue l’intérêt des jeunes pour la lecture ? Est-ce que les enfants continuent de lire autant qu’avant ? Moins, plus ?
Tant que l’école continuera à dire qu’il faut lire des livres pour enfants, les enfants s’y intéresseront. Ceci dit, l’école, c’est de moins en moins une de ses préoccupations.
À l’exception des lieux publics (écoles, bibliothèques), cette littérature est confisquée et est réservée aux classes moyennes…
Il y a un très gros succès éditorial, paraît-il, des livres pour adolescents. Je me demande pourquoi un adolescent ne lit pas Boris Vian, Rimbaud, Philippe Djian… Je ne vois pas trop l’intérêt pour des adolescents de 14-15 ans de lire une littérature fabriquée pour eux.
J’ai l’impression qu’on les ghettoïse un peu dans l’amour, la drogue, l’acné… dans des problèmes un peu comme cela, alors que je pense ce n’est pas cela qu’ils vont chercher au cinéma. S’ils vont voir Harry Potter, les adultes y vont aussi.
En même temps, je crois qu’il y a des gens bien qui s’occupent de ça. Je me dis que s’ils s’en occupent, c’est qu’il doit y avoir un intérêt. Pour l’instant, cela m’a un peu échappé.
Pour les lecteurs de Toute La Culture, quelques petits conseils de lecture ?
Il y a une fille qui fait un travail très bien en ce moment, c’est Anne Crausaz, chez MeMo, c’est très intelligent. Il y a une autre fille, chez Kaleidoscope, que j’aime beaucoup : c’est Emily Gravett. C’est vraiment bien. Et sinon, moi je dirais qu’il faut que les gens regardent les albums de François Place, c’est pour les plus grands, c’est difficile, mais c’est quand même d’une rare beauté. Le dernier qu’il a fait « La fille des batailles » chez Casterman, est très beau. Il a aussi sorti un roman exceptionnel « La douane volante » chez Gallimard qui peut être lu par les adolescents et les adultes.
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