La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°63  septembre 1998

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note de lecture

Lectures et Lecteurs A l'école
Michel Le Bouffant
Bertrand Lacoste. Coll. Parcours didactiques


Chez Bertrand-Lacoste, une collection dirigée par Marie-Claire et Serge Martin, vient de faire paraître un nouveau titre : Lectures et Lecteurs A l'école. Nous avions déjA beaucoup apprécié la première livraison Les contes A l'école réalisée par Serge Martin (*), une signature que nous retrouvons toujours avec intérêt dans les colonnes du Français Aujourd'hui notamment, une revue familière des auteurs de la collection Parcours didactiques A l'école qui fait l'objet de cette présentation. Michel Le Bouffant fait partie du comité de rédaction du Français Aujourd'hui et il est l'auteur du livre ici présenté.

En parcourant ce livre et en le refermant ce qui domine c'est l'impression d'avoir été constamment face A une écriture. Ca signifie ici que toutes les données accumulées sur la lecture ces dernières années et qui paraissent nombreuses, complexes, contradictoires quand on prépare sa classe sont ici souplement enchaînées, finement reliées par un réel travail d'écriture : l'homme qui parle ici de lecture, de littérature est un lecteur et c'est cette expérience-lA qui domine tout au long de ce propos qui se veut didactique. Toutefois, c'est bien d'enseignement dont il est question ici, enseignement de la lecture dans ses caractéristiques pluridimensionnelles. La maîtrise des questions abordées (le statut de la lecture socialement et scolairement, la nature et la fonction des écrits et des textes, leur spécificité, la place de la lecture, de l'élève et du maître A l'école) n'empêche pas une exposition simple, sans réduction aucune de la complexité du sujet. Mais le ton, l'angle de vue, le découpage du texte parviennent, sans concessions, A donner de la pédagogie de la lecture une vision ample et accessible. Ça tombe bien car l'objectif affirmé est d'aider les maîtres A « prendre une distance avec la pratique quotidienne d'enseignement », « aborder ce temps particulier de la réflexion qui accompagne toute préparation de classe. » Du coup, l'auteur, attentif aux questions scolaires, accompagne paisiblement son lecteur dans les chemins trop souvent réservés aux théoriciens. Les propos qui ne souhaitent opposer aucun des éléments constitutifs des discours dominants sur la lecture (déchiffrage, compréhension, acculturation) sont lourds d'une culture élargie qui n'est jamais prétentieuse, écrasante ou disqualifiante même lorsque le lecteur est en désaccord avec l'auteur. Non, ce texte donne envie d'aller lire plus loin et les références raisonnables qui constituent la bibliographie (non exhaustive mais excluante tout de même) rendent ce projet réaliste. Les parties générales sont suffisamment larges pour que le lecteur peu averti des questions de langue trouve un cadre de référence, suffisamment personnelles pour que le lecteur mieux informé retrouve, sous une bonne plume, ses problématiques habituelles.

Au niveau des principes exposés, les lecteurs que nous sommes ne seront pas désorientés. Ils se retrouveront dans les grands principes : on n'apprend pas A lire hors de l'acte de lecture « il n'y a pas vraiment d'antériorité entre l'apprentissage de la lecture et la lecture elle-même », on apprend en relation avec des pratiques d'écriture, on est lecteur d'écrits divers dans des situations diverses, la lecture n'est pas séparable de la compréhension, la lecture des textes longs commence dès la maternelle, elle est référentielle, activité intelligente, engageant profondément un sujet culturel, un sujet social, historique... Les supports modernes de lecture ne sont pas éludés, l'auteur, aux fibres culturelles, n'est pas un passéiste : « Ce qui, ainsi, change, c'est le statut même de la lecture, cette passivité dépassée, au profit d'une interactivité par laquelle lire n'est plus seulement se soumettre aux intentions d'un auteur, mais bien « construire le paysage de sens qui nous habite. » (...) Se dessinent ainsi de nouveaux chemins de liberté, des horizons nouveaux A inventer. Et ces nouveautés elles-mêmes interrogent nos habitudes et peuvent nous faire voir autrement le passé de nos propres valeurs. » (p. 40/41)

Le souci pédagogique qui domine conduit l'auteur A fournir de nombreuses définitions concernant des termes qui pourraient poser problème. C'est toujours dans l'intention de se faire comprendre que l'auteur multiplie les classifications qui, parfois, pourraient être caricaturales. C'est ainsi que, reprenant les distinctions faites par Michel Fayol, Michel Le Bouffant découpe la compréhension en trois niveaux (intégration, extraction, élaboration) - p. 24 -, c'est ainsi que la lecture se voit dépliée en trois nouvelles dimensions (instrumentale et cognitive, culturelle, sociale) - p. 33 -, c'est ainsi que les écrits sont soit fonctionnels, soit documentaires, soit fictionnels (p. 49).

Le cours de la réflexion est ça et lA interrompu par des détours, véritables pauses dans la fluidité du discours. Offrant des cadres conceptuels, ces détours veulent aider les enseignants A questionner leurs pratiques A clarifier leurs troubles. Ils ont pour titres inférences, passage de la fiction A la littérature, relations de l'élève au texte, pistes pour varier les façons de lire A l'école, et se terminent sur un document ministériel accompagnant les IO et concernant les BCD. Ces détours qui se présentent comme des outils n'évitent pas la simplification, la schématisation et ne valent pas toujours le déplacement.

Il n'en va pas de même pour les cinq ouvertures où l'auteur s'expose en tant que lecteur, où il prend le risque de nous livrer quelques-unes de ses lectures personnelles et savantes de titres bien connus de la littérature jeunesse : Ma chère Grand-mère (Catherine Brighton, Albin Michel) Le monde est comme une orange, Lola, (Yvan Pommaux, dans Lola, 10 histoires instructives, Sorbier), Ming Lo déplace la montagne, (Arnold Lobel, École des Loisirs, Lutin Poche), Boréal Express, (Chris Van Allsburgh, Ecole des Loisirs), L'arbre sans fin, (Claude Ponti, École des Loisirs). Et ces lectures de lecteurs sont de grands voyages immobiles.

Alors bien sûr, tout n'est pas rose pour nous dans ce livre vert. Le chapitre II qui concerne la définition de la lecture n'est malheureusement pas nouveau et l'auteur emprunte A ce moment un ton jusque-lA ignoré, la polémique, l'accusation gratuite : « Mais, contrairement A quelques idées facilement reçues, la complémentarité des aspects cognitifs et culturels, tels que nous les formulons est indispensable. C'est elle qui justifie que l'apprentissage de la lecture, A part égale, se soucie toujours du décodage et de la signification, qui justifie que l'enfant approche la lecture par le contact direct avec les signes et par le contact, médiatisé par le maître, avec les significations. » (p. 30)

Nous avions signalé la déception de quelques détours, nous pourrions y associer la partie réservée A la BCD : inventaire succinct des pratiques largement publiées ces dernières années, on sent comme une fracture entre l'ampleur et la générosité de l'écriture quand l'auteur évoque son expérience de lecteur, l'étroitesse ou l'insuffisance dès qu'on passe A de strictes prescriptions pédagogiques. C'est qu'il manque une dimension importante dans ce livre, la dimension sociale, le projet social de lecture que l'école enrichit, découvre autrement, interroge profondément. Les enfants ici évoqués sont « tous les mêmes », rien n'est dit de leur culture de base qui pourrait freiner ou interdire les interventions d'enseignement, aux vertus si évidentes pour l'auteur qu'elles semblent indiscutables. C'est ce refus du dialogue qui porte comme une ombre dans un texte qui, rappelons-le, parvient A tenir ensemble des dimensions régulièrement isolées : les savoirs savants sur la langue, les contraintes incontournables de l'enseignement de la langue, la variété des supports de lecture et leurs cadres d'utilisation, l'ambition pour les élèves et la prise en compte du dur métier d'enseignant et enfin, et surtout, la qualité de l'écriture qui prouve par l'exemple que la forme est toujours celle d'un contenu. Tout cela semble caractériser la collection dans laquelle ce livre s'inscrit en prolongeant qualitativement la lignée. A

(*) Voir la présentation que nous en avons faite dans ces colonnes (A.L. n°60, déc.97 , p.90-91).
Yvanne Chenouf