Quelques chiffres
6
Ce sont 6 conditions nécessaires (mais pas forcément suffisantes) qui offriront le plus de chances de devenir lecteur :
- être témoin d'actes de lecture. C'est parce qu'ils nous voient faire des choses que les enfants ont envie de les faire à leur tour : s'ils nous voient lire, ils liront.
- être associé à des pratiques de lecture. N'hésitons pas à lire avec eux des textes qui les intéressent même si on les trouve trop complexes.
- être familiarisé avec tous les écrits. Ils apprendront ainsi à lire des écrits aussi différents que des histoires, des journaux, des lettres, des affiches,...
- être destinataire d'écrits. Bien sûr, on les inscrira à la bibliothèque, on leur offrira des livres, on leur découpera des articles dans nos journaux sur ce qu'ils aiment, on leur écrira des lettres.
- avoir un statut de lecteur. Jamais on ne pensera qu'ils sont trop petits pour poser des questions sur ce qui est écrit et obtenir de vraies réponses.
- avoir du pouvoir sur sa vie. Alors ils feront de la lecture une aide essentielle à la vie qu'ils commencent, même tout petits, à choisir.
10 000
10 000 mots/heures : c'est la vitesse maximale de débit de la parole humaine. Au-delà, c'est incompréhensible.
C'est également la vitesse de lecture au-delà de laquelle quelqu'un qui a appris à "lire" en traduisant l'écrit en oral ne peut pas aller, s'il continue à oraliser ou à subvocaliser.
Ce débit est à rapporter aux 30 000 ou 40 000 mots/heures d'un lecteur véloce.
80
Ce sont les 80% d'informations nécessaires à deux personnes qui communiquent d'avoir en commun pour pouvoir communiquer.
Nécessaires a fortiori pour quelqu'un qui lit. Ces 80% d'informations pour un lecteur veulent dire : les mots, le vocabulaire, les faits de langue, les connaissances syntaxiques, les conditions de production de l'écrit, les connaissances dans le champ traité par cet écrit,...

Cela veut clairement dire qu'il ne suffit pas de connaître tous les mots d'un écrit pour le comprendre. Par exemple, un enfant de 8 ans saura lire ce titre de journal : "La maison blanche broie du noir" sans le comprendre. On lit un texte, comme on comprend le monde, avec les connaissances que l'on a derrière l'œil.
70
Ce sont les 70 mots-outils (les déterminants, pronoms et autres conjonctions) qui à eux seuls constituent 50% de tout écrit.
- Si on ajoute 500 mots, on obtient 80% de tout écrit.
- 5000 mots de plus et on arrive à 93% de tout écrit.
- les 7% restants sont les dizaines de milliers de mots du vocabulaire, employés plus rarement.

Pourquoi ces chiffres ?
D'abord, on fait comprendre aux parents d'élèves ou aux formateurs la non-pertinence, voire la nocivité, de l'enseignement des correspondances grapho-phonétiques (le transcodage) pour l'acquisition des comportements de lecteur. C'est facile.
Ainsi, on a montré que, outre les problèmes que cette croyance crée pour la lecture, son principal inconvénient réside également dans l'orthographe des enfants ainsi enseignés puisqu'ils se contentent souvent de choisir parmi les possibilités de transcrire un son et écrivent "phonétiquement". Donc, la seule solution est de mémoriser, de construire un dictionnaire mental des mots de la langue.
Et c'est là que ces chiffres interviennent pour rassurer et faire prendre conscience que ce travail de mémorisation n'est pas si difficile. Il est même facile mais ne suffit pas du tout pour faire des lecteurs : voire ci-dessus "80".
30
30%, c'est la proportion de lecteurs de nos sociétés industrielles.
0
0%, c'est la proportion d'analphabète de la société française à notre époque.
5% en 1914.
75% en 1800.
6 à 8
C'est, en millions, le nombre d'illettrés en France actuellement.
15
Ce sont les 15% de la population qui consomment 85% de la production écrite.
Correspondent-ils au 15% qui possèdent les 85% du patrimoine national ?
85
Ce sont les 85% de la population qui consomment 15% de la production écrite.
37 - 130
37, c'est le nombre actuel de phonèmes de notre langue.
130, c'est pratiquement le nombre de graphèmes de la langue française.
(Attention, les graphèmes et les phonèmes ne sont pas les lettres et les sons.)


Imaginons des enfants de CP ou de CE1 qui veulent écrire un mot qu'ils n'ont jamais rencontré, jamais vu.
C'est possible.
Imaginons que ces enfants aient étudié les correspondances graphèmes/phonèmes et qu'on leur ait fait croire que l'on peut se baser sur ce que l'on entend pour écrire.
C'est possible.
Imaginons même qu'ils se servent consciencieusement de tableaux de correspondances consciencieusement construits en classe avec leur enseignant consciencieux.
C'est possible.


Imaginons donc qu'un enfant veuille écrire le mot "hippopotame" [ipopotam] ; Il peut le connaître oralement sans l'avoir jamais vu.

1) hypothèse la plus basse :
Si l'on se réfère au tableau de correspondances, en prenant seulement les graphèmes les plus courants, on a 768 possibilités d'écrire hippopotame :
[ i p o p o t a m ]
( 4x1x4x1x4x2x3x2 = 768) ; 4 manières d'écrire le [i], 1 manière d'écrire le [p], 4 manières d'écrire le [o], etc.

2) hypothèse la plus haute :
En considérant toutes les graphies possibles pour chaque phonème, on obtient 65 856 possibilités :
[ i p o p o t a m ]
( 6x2x7x2x7x4x7x2 = 65 856)
Si on a une quelconque conscience qu'il pourrait y avoir un "h" en début de mot, nous passons à :
65 856 x 2 = 131 712.
Si on a une quelconque conscience qu'il pourrait y avoir un "e" muet en fin de mot, nous passons à :
131 712 x 2 = 263 424.

Écrire "hippopotame" en utilisant les correspondances graphèmes/phonèmes, c'est impossible.
Pardon, ce n'est pas impossible, puisqu'on a 1 chance sur 263 424 d'y parvenir.
Certes, direz-vous, c'est un peu pervers de considérer toutes les graphies possibles.
Soit, mais considérer seulement les graphies courantes ne nous offre que 1 chance sur 768 d'y parvenir (et encore, il faudrait dire 1 chance sur 768 x 2 x 2 = 3072, si l'on prend en compte le "h" initial et le "e" final ; les 768 possibilités ne comprenant même pas la bonne...)
Ce qui reconnaissons-le est assez aléatoire pour l'orthographe, si ce n'est criminel.
50 - 250
Ce sont deux chiffres importants pour comprendre le processus de lecture.

50 ms (millisecondes) : c'est le temps de déplacement de l'œil entre deux fixations sur la page.

250 ms : c'est le temps pendant lequel l'œil est fixe et perçoit les éléments graphiques de la page.

Le lecteur déplace donc son œil, non pas linéairement, mais par saccades entrecoupées de moments d'immobilité qui permettent de prélever l'information.
Et cela est vrai pour tout le monde, que l'on soit excellent lecteur où qu'on ânonne. Un lecteur rapide n'est pas quelqu'un qui déplace plus vite son œil ou qui fixe son œil moins longtemps pour prélever de l'information.
La différence vient de la nature de ce qui est prélevé par l'œil.
(voir explication ci-dessous)
1°08'
2°39'
4°23'
Ces chiffres concernent des valeurs d'angle dans le domaine du champ visuel.

1°08' est l'amplitude de l'angle de vision nette. Il définit une largeur sur la page, l'empan visuel, équivalent à trois lettres.
Cet empan visuel est le même pour tout le monde.
Il correspond au déplacement de l'œil effectué par celui qui lit syllabe par syllabe.

2°39' est l'amplitude de l'angle de prélèvement visuel de quelqu'un qui s'approche des 10 000 mots/heure (voir ci-dessus 10 000).
Cela veut dire qu'un faible lecteur lit déjà avec, dans son empan de prélèvement d'informations, deux zones mi-floues/mi-nettes de part et d'autre de la netteté de son empan visuel : son empan de lecture est donc composé de 3 lettres mi-nettes + 3 lettres nettes + 3 lettres mi-nettes.

4°23' est l'amplitude de l'angle de prélèvement visuel d'un bon lecteur (20 à 25 000 mots/heure).
Son empan de lecture est donc composé de 3 lettres quart-nettes + 3 lettres mi-nettes + 3 lettres nettes + 3 lettres mi-nettes + 3 lettres quart-nettes.

(Ces chiffres sont significatifs à 0,001 près.)

Ils montrent que, ce qui varie, c'est bien la nature de ce que l'œil prélève lors de chaque fixation, et non une quelconque différence de saccades occulaires lors de la lecture.
Ils montrent que le bon lecteur prélève, et donc traite, une bonne partie de matériau graphique flou dans son empan de lecture, qu'il en fait du sens mieux et plus vite que celui qui ânonne ou subvocalise.

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